Bonjour, Alain, et merci de me recevoir pour cet entretien. Pourriez-vous vous présenter rapidement ?
Je suis né en 1953 à Chantilly, dans l’Oise. J’ai fait une grande école d’ingénieur à Toulouse. J’ai occupé un premier poste au Bureau de normalisation de l’aéronautique et de l’espace à Boulogne-Billancourt, puis je suis entré dans le groupe Snecma, devenu ensuite Safran, où j’ai travaillé pour Hispano-Suiza, à Bois-Colombes puis au Havre.
Je me suis marié en 1982. J’ai eu trois enfants, qui ont aujourd’hui trente-trois, trente et un et vingt-cinq ans. Mon épouse a demandé le divorce vers l’été 1999, alors que nous résidions à Honfleur. La première chose que j’ai faite a été de naviguer sur internet pour voir ce qui s’y disait. J’ai découvert avec énormément de surprise – cela a été pour moi une révélation – qu’il y avait de très nombreux pères qui se plaignaient de la façon dont les choses se passaient et qu’il y avait une bonne dizaine d’associations de pères. Mais je n’ai vu aucune mère se plaignant de sa situation dans un divorce, ni aucune association de mères. J’ai été un peu interpelé, parce que je suis quelqu’un de très égalitariste et je ne comprenais pas cette différence. Je me disais qu’il n’y avait pas de raison naturelle pour qu’existât à ce point sur internet une telle différence d’impact dans les situations de divorce. Comme beaucoup de pères, je partais du principe qu’après un divorce les enfants allaient la moitié du temps chez un parent et la moitié du temps chez l’autre. Cela me paraissait tellement évident que je ne m’étais jamais posé de question sur ce point.
En parcourant internet, j’ai donc vu que ce n’était pas si simple, que cela risquait même d’être extrêmement dur, et qu’il valait donc la peine de s’intéresser de très près au sujet. J’ai regardé les différentes associations qui existaient sur internet, et j’ai vu assez rapidement qu’il y en avait une qui sortait très nettement du lot : SOS PAPA. Les autres associations étaient extrêmement marginales. SOS PAPA semblait de loin la plus structurée, celle qui offrait le plus de services, et… la plus chère ! Mais souvent ces choses vont de pair. Je me suis donc inscrit à SOS PAPA, à la racine, au Pecq, où se trouvait Michel Thizon, et j’ai participé aux permanences qu’il animait.
Vous alliez d’Honfleur au Pecq à chaque fois ?!
Oui.
Il n’y avait donc encore rien en Normandie à cette époque ?
Non, rien n’existait encore en Normandie. J’ai donc été régulièrement pendant plusieurs mois aux permanences de Michel Thizon, où j’ai appris beaucoup de choses. C’était extrêmement intéressant. Un jour, un certain Yasser Abouzeid m’a téléphoné pour m’expliquer qu’il était en train de monter une structure sur Vernon, en accord avec Michel Thizon. Il avait vu dans le fichier de l’association que j’habitais Honfleur et voulait savoir si ce projet pouvait m’intéresser. Il avait obtenu l’usage d’une salle municipale à Vernon et nous avons commencé à y faire des permanences. Au bout de quelques mois, nous avons créé une délégation sous forme d’association, indépendante mais rattachée à SOS PAPA national. Avec l’aval de Michel Thizon, puisqu’il était propriétaire de la marque SOS PAPA. Yasser était le président et j’étais le trésorier. Je me suis également autoproclamé webmaster et j’ai monté un site internet pour SOS PAPA Normandie. Cette structure a extrêmement bien marché, nous avions pas mal d’adhérents, et nous avons fait beaucoup de choses, notamment des passages à la radio et à la télévision – qui m’ont d’ailleurs valu quelques difficultés avec mon ex. Ça a marché comme ça pendant cinq ans.
En octobre 2004, on m’a demandé d’intégrer le bureau exécutif de SOS PAPA national, parce que des sujets un peu délicats y étaient débattus. Jean-Louis Touchot était alors le président et il était en conflit avec Michel Thizon. À SOS PAPA Normandie, nous avions un peu perdu de vue ce qui se passait au niveau national, et c’est à cette occasion que j’ai découvert que Michel Thizon, qui avait fondé SOS PAPA au Pecq, y avait aussi créé en 2000 une structure, dont il était président, qui était indépendante de la structure nationale présidée par Jean-Louis Touchot. Le Pecq avait en fait un double statut : c’était à la fois le siège historique de l’association nationale SOS PAPA et le siège de la délégation de l’ouest parisien. Les choses auraient pu bien se passer, mais Thizon et Touchot en étaient arrivés aux dépôts de plainte réciproques !
Nous étions un certain nombre à penser que c’était une très mauvaise chose et qu’il fallait absolument éviter cette cacophonie. La cause des pères est une cause très difficile, victime de préjugés très négatifs. Les pères étaient parfois perçus à l’époque comme des individus dangereux, violents, et il était inutile d’y ajouter des conflits internes : l’effet ne pouvait qu’être destructeur. Le bureau exécutif a donc pensé qu’il était hors de question d’entrer dans un conflit, qu’il fallait essayer de trouver des accords et de s’entendre intelligemment.
Touchot a préféré donner sa démission et on m’a alors demandé si je voulais prendre la suite. On m’a fait cette demande notamment parce que, comme Emmanuel Macron, j’étais en dehors des partis. Je ne m’étais battu dans aucun des deux camps, j’arrivais de l’extérieur, de Normandie, où tout se passait très bien, et j’apparaissais comme la meilleure solution pour renouer le dialogue. Je n’y étais pas préparé, mais j’ai accepté le deal. J’ai donc été désigné président par le bureau exécutif le 3 janvier 2005, sous réserve de confirmation par une assemblée générale.
J’ai repris contact avec Michel Thizon, que j’avais bien connu aux permanences du Pecq, et cela s’est très bien passé. Il a participé à la première assemblée générale qui s’est tenue sous ma présidence, le 9 avril 2005. C’était une excellente chose, qui montrait que nous étions dans un esprit non plus conflictuel mais associatif. L’assemblée générale s’est très bien passée, elle a permis de tout normaliser et de repartir dans un bon contexte.
Je suis donc resté cinq ans à la présidence de SOS PAPA, avec un double axe de travail, dans la continuité de Michel Thizon. Le premier, c’est l’assistance aux pères dans les permanences, que vous connaissez bien. Les permanences sont très importantes pour le père qui, brutalement, comprend qu’il ne verra plus jamais ses enfants, ou qu’il ne les verra plus que dans des conditions monstrueuses du style un weekend sur deux, ou qu’il va se retrouver accusé d’attouchements sexuels parce qu’il a eu le malheur de faire la toilette de sa gamine. Toutes choses qu’on ne comprend pas tant qu’on ne les a pas vécues. Tous les pères sont confrontés à un problème de fond : même leur famille ne les comprend pas. On ne peut en parler à personne, ni à ses frères, ni à ses sœurs. Tous disent, gentiment parce qu’ils ne veulent pas être désagréables : « Mais enfin ! Tu as bien dû faire quelque chose… » Et c’est tellement insupportable qu’on se retrouve complètement isolé.
Au début d’une permanence, personne ne veut prendre la parole, tout le monde attend. Alors moi, j’expliquais d’abord mon cas. Et, immédiatement, j’entendais : « Moi, c’est pareil ! » – « Moi aussi ! » Le déclenchement se faisait, tout le monde était libéré. Ils pouvaient enfin parler, être entendus, compris. Psychologiquement, c’est déjà quelque chose de considérable. On passe du statut de vilain canard, complètement malade, pervers, qui a tout faux, au statut de victime normale. Je crois qu’on ne peut vraiment commencer à se battre qu’à partir du moment où on a franchi ce cap : je n’ai rien à me reprocher, je suis quelqu’un de normal. Et pour cela, il faut des permanences de type SOS PAPA. Elles sont importantes, extrêmement importantes, et même vitales : elles permettent aux gens de revivre et d’arriver à se battre. Et j’en ai animé suffisamment pour savoir que cela fait aussi du bien à l’animateur ! Les permanences servent de défouloir, des gens réceptifs vous écoutent, on se sent utile parce qu’on évite effectivement pas mal d’erreurs, et c’est agréable.
Il y a également la présence des consultants extérieurs, avocats et psychologues. Une psychologue participait aux permanences de Yasser Abouzeid, et c’était très intéressant, tant pour les parents que pour les enfants. Mais Michel Thizon avait fait quelque chose d’absolument génial en passant un deal avec des avocats, où tout le monde était gagnant : les avocats, qui trouvaient des clients, et les adhérents, qui trouvaient des conseils évitant parfois de commettre des erreurs de stratégie. Dans les affaires de divorce, on s’aperçoit très vite qu’on peut très facilement s’enfoncer dans une très mauvaise direction, alors qu’on n’a droit qu’à une balle dans chaque dossier : si vous commettez une faute devant un juge dès le départ, par exemple le mauvais mot au mauvais moment, c’est terminé. On peut faire quinze ans de procédures derrière, c’est mort, on n’arrivera jamais à rattraper l’erreur initiale. Et il y a des tas d’erreurs qu’il ne faut pas commettre. J’ai vu par exemple arriver des pères disant : « Ma femme ne travaille pas, il n’y a donc aucune raison pour qu’elle ait les enfants, c’est moi qui vais les avoir. » Il faut leur expliquer qu’ils n’ont rien compris, qu’ils sont complètement à côté de la plaque, et comment cela fonctionne en réalité !
Le top, c’est de commencer à fréquenter SOS PAPA avant le début des procédures. Là, on peut brosser le tableau, expliquer comment fonctionne le système, ce qu’il faut faire, etc. Quand des pères viennent nous voir avant que la procédure soit lancée, en disant : « Je veux lancer une procédure de divorce contre ma femme parce que j’en ai marre et que je veux avoir mes enfants pour moi tout seul ! », on peut leur répondre qu’il y a peut-être beaucoup plus intelligent à faire…
Mais pour moi, paradoxalement car beaucoup pensaient autrement, ce n’était pas le plus important. Le but n’est pas de jouer les pompiers. SOS PAPA n’est pas là simplement pour éviter des erreurs ou résoudre des problèmes dramatiques. Le vrai rôle de SOS PAPA, c’est de faire progresser la société et la gestion des divorces et séparations, notamment en faisant du lobbying auprès des politiques. Mais pas qu’eux. Les politiques sont des gens quand même très particuliers, qui ne font qu’aller dans le sens du vent. Il faut donc déjà pousser le vent dans le bon sens, et ensuite aller voir les politiques. Le vent, c’est, entre autres, les médias. Il faut donc en permanence être à leur assaut. J’étais devant les médias – journal, radio, télévision – quasiment chaque semaine. Ce que je ne vois plus du tout maintenant : la façon dont les choses se déroulent aujourd’hui m’effraye… Bref, par voie de conséquence, j’étais souvent à l’Assemblée nationale, au Sénat, ou dans différents ministères. Car c’est un travail de fond : le système ne change pas avec une simple conversation. C’est comme quand votre fils vous demande un scooter : vous ne sortez pas immédiatement le carnet de chèques pour en acheter un. Il faut quand même qu’il vous travaille au corps pendant un certain temps pour vous persuader que ce n’est pas si dangereux que ça, qu’il ne va pas se le faire voler, etc. C’est pareil pour les associations de pères : il faut un travail de fond pour arriver à bien présenter les choses.
Il y avait autrefois ce qu’on appelait la puissance paternelle, ce qui voulait dire qu’il n’y avait en réalité qu’un seul vrai parent, l’autre n’étant qu’un assistant. En cas de décision importante, en matière de religion, scolarité, etc., un seul avait vraiment la parole. Paradoxalement, quand le couple divorçait, le père ne conservait pas cette puissance paternelle, qui était attribuée à la mère !
En 1970, le législateur a supprimé la notion de puissance paternelle et a introduit celle d’autorité parentale, en disant qu’en cas de divorce elle serait exercée par le parent ayant la garde des enfants. C’est dix-sept ans plus tard, en 1987, que les parlementaires ont compris qu’il fallait passer à une deuxième étape en rendant possible l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Mais c’est pratiquement resté lettre morte : en effet, avec la loi du 22 juillet 1987, l’exercice conjoint de l’autorité parentale n’était pas la norme mais une simple possibilité, et les juges ont continué de donner l’autorité parentale uniquement à la mère dans presque tous les jugements ultérieurs. Les pères ne l’avaient quasiment jamais.
Anny Duperey, la première marraine de SOS PAPA, a connu cette situation. Elle avait expliqué dans un numéro de SOS PAPA Magazine qu’il lui avait fallu prendre l’initiative d’aller devant un juge pour que son ex-compagnon Bernard Giraudeau puisse lui aussi exercer l’autorité parentale sur leurs deux enfants.
Oui. Et il a fallu attendre six années supplémentaires, avec la loi du 8 janvier 1993, pour que l’autorité parentale soit exercée de façon conjointe par défaut, charge au juge de motiver son refus le cas échéant. Mais cette obligation concernait surtout les parents mariés, et il a encore fallu attendre la loi du 4 mars 2002 pour que l’exercice conjoint de l’autorité parentale concerne tous les parents, quelle que soit leur situation. À partir de là, tous les pères ont pu bénéficier de l’autorité parentale, même si c’est resté purement formel. Nous avions évidemment fondé énormément d’espoirs sur cette loi de Ségolène Royal, mais nous nous sommes aperçus par la suite qu’elle n’était pas appliquée.
Alors l’histoire se répète : de même qu’il a fallu attendre la loi de 1993 pour que l’autorité parentale soit exercée de façon conjointe par défaut, il faut encore attendre une hypothétique loi qui en fera de même pour la résidence alternée, rendue seulement possible en 2002, afin qu’elle devienne la norme. En fait, les juges refusent obstinément d’appliquer l’esprit des lois concernant la famille : ils ne s’y résignent que contraints, mis au pied du mur. Aujourd’hui, quand dans un divorce les deux parents parviennent à se mettre d’accord et se présentent devant le juge avec un projet commun de résidence alternée, elle est systématiquement homologuée. C’est la seule chose que retiennent les journalistes dans leurs reportages, où on entend souvent : « Aujourd’hui, la résidence alternée s’applique très couramment. » Ils omettent toujours de préciser : « Si les deux parents sont d’accord. » Mais s’il y a un conflit parental, il est clair que le père ne voit plus ses enfants. Nous en sommes toujours là. Il y a vraiment un problème de fond et un gros travail à faire, qui n’est malheureusement pas fait aujourd’hui…
Quoi qu’il en soit, la résidence alternée est aujourd’hui seulement possible, et il reste donc à en faire le mode de résidence par défaut. Deux députés, Richard Mallié et Jean-Pierre Decool, s’étaient bien investis dans notre cause et avaient déposé deux propositions de loi en ce sens. Nous avons eu aussi de très bons contacts au Sénat, où nous avons fait des démarches communes avec Stéphane Ditchev.
Tout cela n’a débouché sur rien, mais ce n’est pas grave : la politique, ce n’est pas du one-shot. Ceux qui pensent qu’il suffit de demander une fois pour obtenir quelque chose n’ont rien compris.
En plus, du temps de Nicolas Sarkozy, c’était catastrophique. J’ai gardé une assez mauvaise image de lui. J’ai assisté le 13 février 2009 à la remise des médailles de la famille à l’Élysée. C’était quand même un moment important, où on rendait hommage aux familles de plus de quatre enfants. Nicolas Sarkozy a prononcé un discours navrant de trente-deux minutes, montre en main, que j’ai enregistré. J’y ai décompté une quarantaine d’occurrences du mot « mère », pas une seule du mot « père ». Pour lui, la famille c’était la mère. À partir du moment où on considère que la famille c’est la femme et que l’homme est uniquement là pour rapporter du fric, cela ne peut pas marcher. J’en étais tellement choqué, outré, que je lui ai envoyé une lettre d’insultes dans la foulée pour lui dire que j’avais trouvé son discours scandaleux. Ce n’était pas une lettre politique, mais de défoulement pur. Et j’ai reçu une lettre d’invitation à l’Élysée une vingtaine de jours plus tard ! Thierry Doriot et moi avons rencontré Julien Samson, un des conseillers de Nicolas Sarkozy, et nous avons discuté pendant près de deux heure, le 16 mars 2009, alors que Nicolas Sarkozy recevait le président libanais, Michel Sleiman. À l’issue de cette discussion, Julien Samson a accepté de nous photographier dans la cour du Palais de l’Élysée devant les gardes républicains, comme si c’était nous qui avions été reçus en grande pompe.
Lors de cette remise de médailles à l’Élysée, j’avais eu aussi l’occasion de discuter avec Nadine Morano, qui était à l’époque secrétaire d’État chargée de la Famille. Alors qu’elle est devenue aujourd’hui un gag permanent sur internet, elle m’avait tenu ce jour-là des propos infiniment plus intelligents que ceux de Nicolas Sarkozy : pour elle, il était clair que la famille c’était la mère, le père et les enfants.
Je disais tout à l’heure qu’il fallait arriver à bien présenter les choses. Michel Thizon avait déjà fait un excellent travail, qui lui a même valu la Légion d’honneur en 2007, et j’en suis très content. Mais il y avait encore chez SOS PAPA certains militants qui n’avaient rien compris : pour eux, le combat des pères était un combat contre les mères. C’est bien entendu particulièrement stupide, surtout quand on souhaite demander la résidence alternée, c’est-à-dire partager l’éducation des enfants avec leur mère. Ce partage implique respect et coopération.
Moi, j’étais là pour faire avancer l’association et la cause des pères. Ma grande force a été de considérer que je n’étais pas président de SOS PAPA pour me défouler, ou me venger de mon ex et des juges qui m’avaient fait du mal. Cela, je l’ai mis de côté. J’étais là pour faire progresser une cause qui me semblait évidente : les enfants ont deux parents avant le divorce, ils doivent toujours en avoir deux après. Point barre. J’étais là uniquement pour cela, et mes divers ressentiments étaient hors sujet. Ce qui m’y a beaucoup aidé, c’est que mes enfants étaient déjà suffisamment grands pour être un peu hors de portée de la justice lorsque je suis devenu président de SOS PAPA ; ils étaient déjà majeurs, ou s’approchaient de la majorité, et étaient donc de moins en moins concernés par les procédures. Ne restaient à résoudre que les aspects financiers, mais c’était moins important que la parentalité. Cela m’a beaucoup aidé à prendre de la distance par rapport à mon cas personnel. Plusieurs ministres ou conseillers ministériels m’ont d’ailleurs dit : « Quand on reçoit les représentants d’autres associations de pères, ils ne parlent que de leur situation personnelle ; c’est insupportable et on les vire dès qu’ils ont fini leur petit baratin. Vous, au moins, vous ne parlez pas de vous. Vous parlez d’un sujet général, l’évolution des lois pour faire progresser notre système. C’est cela qui nous intéresse, et on aime discuter avec vous. »
Je ne suis quand même pas con ! J’avais bien compris la séparation des pouvoirs : aussi gentil et réceptif qu’il soit, un ministre ne peut rien sur un dossier personnel, c’est évident, et cela ne sert donc à rien de lui en parler. Avec mon ami Thierry Doriot, qui m’a le plus aidé dans tous ces contacts, nous avons toujours étayé nos dossiers, notre vision des choses, les évolutions de la loi que nous souhaitions dans le contexte de la réalité, etc., en évitant la haine des femmes. Il est impossible de revendiquer et obtenir la résidence alternée, qui est la demande de base de SOS PAPA et toutes les autres associations de pères, si on a de la haine ou du mépris pour la mère de son enfant. La demande n’est pas recevable, surtout devant les politiques ou les médias. Nous avons essayé d’être cohérents, et c’est la raison pour laquelle Évelyne Sullerot a accepté d’être notre marraine : c’était complètement son point de vue.
Puisque vous l’évoquez, comment Évelyne Sullerot a-t-elle succédé à Anny Duperey comme marraine de SOS PAPA ?
J’étais président de SOS PAPA depuis une petite dizaine de mois quand Anny Duperey m’a téléphoné et m’a dit : « Je soutiens toujours votre association, mais je voudrais en soutenir davantage une autre. Je suis obligée de faire un choix et je ne pourrai plus être votre marraine. » Il a donc fallu que je trouve quelqu’un d’autre. C’est là que j’ai découvert qu’Évelyne Sullerot faisait partie du comité d’honneur de SOS PAPA. Je lui ai téléphoné pour lui expliquer la situation et lui demander si elle voulait bien être la nouvelle marraine. Elle a accepté avec enthousiasme. Je lui alors proposé de participer à l’assemblée générale qui devait se tenir peu de temps après, le 13 mai 2006, pour la présenter à l’ensemble des membres de l’association.
Le jour dit, je l’ai donc présentée en disant quelque chose comme : « Notre nouvelle marraine, madame Évelyne Sullerot, féministe de la première heure… » Et là, une paire de baffes en pleine assemblée générale : « Je ne veux surtout pas qu’on m’appelle féministe ! Je ne suis pas une féministe ! » Petit moment de flottement. J’avais dû mal préparer mes fiches ! Et elle nous a expliqué : « Aujourd’hui, le féminisme, c’est n’importe quoi. Le féminisme, ce sont simplement des femmes qui défendent des idées de femmes. Mais quelles idées ? Ce peut être n’importe quoi : la domination des femmes sur les hommes, la haine envers les hommes, tout ce qu’on veut. Mais cela ne veut pas dire égalité entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, les trois quarts des mouvements qui s’autoproclament féministes sont des mouvements de haine envers les hommes, incompatibles avec la résidence alternée. Il n’y en a qu’un quart qui est pour l’égalité entre les femmes et les hommes. » Ayant eu par la suite beaucoup de contacts avec des associations de femmes, j’ai largement pu constater que c’était bien la réalité. Et Évelyne Sullerot conclut : « Dites simplement que je suis pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. » Voilà comment elle est devenue marraine de SOS PAPA.
Et c’est là que j’ai perçu combien cette notion de féminisme était compliquée et le mot dangereux. Nous avons donc supprimé de nos documents toute référence au féminisme. C’était d’ailleurs très bien vis-à-vis de tous nos interlocuteurs – pères, politiques ou médias : quand un mot est ambigu, les uns et les autres n’en ont pas la même acception, et c’est l’incompréhension. Pour les uns, le féminisme c’est l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité des droits, l’égalité des salaires, etc. Pour les autres, ce sont des harpies qui haïssent les hommes. Éradiquer ce mot nous a permis d’avoir un discours beaucoup plus clair et beaucoup plus sain.
Cela a même permis au bureau exécutif de SOS PAPA de participer une année à une manifestation de Ni putes ni soumises avec Fadela Amara, avant qu’elle devienne secrétaire d’État chargée de la Politique de la Ville sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Fadela Amara aimait énormément son père. Le nom de son association peut choquer un certain nombre d’oreilles fragiles, mais c’est un combat contre le machisme, pas contre les hommes. J’étais allé la voir pour lui demander si notre présence dans sa manifestation, avec nos banderoles, pouvait la gêner ; elle m’avait répondu que cela ne lui posait aucun problème et qu’elle était tout à fait d’accord avec notre démarche !
Évidemment : les femmes qui mènent un combat vraiment égalitaire veulent que les hommes soit présents pour s’occuper des enfants, afin de n’être pas seules face au problème de leur éducation. Quand on parle boulot, elles ne veulent pas que leur patron leur dise : « Je ne te donne pas d’augmentation parce que tu nous embêtes à longueur de journées avec tes gamins ! » Les femmes qui sont pour l’égalité sont évidemment favorables à la cause des pères. C’est la raison pour laquelle certaines associations de pères commettent une grossière erreur en mettant les femmes dans le camp adverse.
J’étais syndicaliste avant de prendre ma retraite, et je suis 100 % d’accord quand j’entends aujourd’hui à la télévision qu’il faut une égalité des salaires entre les femmes et les hommes. Mais cette égalité est impossible s’il n’y a que les mères qui quittent le bureau à chaque fois qu’il y a un problème avec les enfants tandis que les pères restent tranquillement au boulot jusqu’à 20 heures : « On termine la réunion à 20 heures ? Il n’y a pas de problème, mon épouse est partie chercher les enfants. Et il faut venir plus tôt demain ? Il n’y a pas de problème non plus, mon épouse emmènera les enfants à l’école. » Il est évident que l’égalité des femmes et des hommes dans l’activité professionnelle passe par leur égalité dans la gestion des enfants. On ne peut pas mettre en opposition les deux. J’ai bâti tous mes contacts là-dessus, et c’est très bien passé. Tous les journalistes et tous les politiques ont très bien compris ma démarche.
Je vais volontairement employer un terme provocateur : SOS PAPA est certainement la première association féministe – ou plutôt égalitariste – de France ! La première chose que vous dira n’importe quelle féministe si vous l’interrogez, c’est que ce sont toujours les femmes qui font le ménage à la maison et s’occupent des enfants. Eh bien ! Les associations de pères disent : nous, nous voulons prendre notre part. J’ai rencontré un certain nombre d’associations de femmes qui étaient enthousiastes vis-à-vis de notre combat, parce que c’était en fait le même que le leur.
Quel a été l’impact médiatique de ce positionnement ?
Nous nous sommes aperçus que nous marquions de plus en plus de points face aux journalistes. Quand on fait mal son travail face à un journaliste et qu’il n’apprécie pas votre discours, il n’a qu’une obsession, on le voit bien en ce moment avec les élections, c’est de vous prendre en défaut, en vous posant des questions-pièges et en attendant l’expression imparfaite, le petit mot mal placé. Et c’est le seul qui va ressortir dans son article : vous avez passé deux heures à discuter avec lui et vous vous retrouvez avec un article hallucinant. C’est d’autant plus difficile pour nous, à SOS PAPA, que nous ne sommes pas des chatters professionnels, mais des pères. Quand, au contraire, le journaliste a assez bien apprécié votre discours, toutes vos maladresses sont édulcorées dans son article, où ne restent plus que les choses pertinentes. Et là, vous comprenez que vous avez marqué des points.
Les journalistes, c’est très compliqué à gérer, parce qu’en fait ils ne fonctionnent pas comme on le pense. Les journalistes ne cherchent pas à recueillir votre opinion mais à justifier la leur ! Ils extraient et retiennent de vos propos ce qui va dans leur sens, et le reste est hors sujet. Juste avant que j’arrive à la présidence de SOS PAPA, Jean-Louis Touchot avait reçu une équipe d’Arte, qui l’avait interviewé. Ils ont fait une émission d’une heure et demie, un reportage vraiment monstrueux, où les pères et leurs associations, comme SOS PAPA, étaient quasiment présentés comme des nazis. Le titre était révélateur du contenu : « Quand les pères se vengent » !
Vous avez d’ailleurs saisi la HALDE à ce sujet.
Oui. Cette histoire a été un traumatisme pour moi, j’en ai été malade. Je connaissais bien Jean-Louis Touchot : c’était un mec adorable, calme, doux, posé. Il était tombé dans un piège, non parce qu’il était mauvais ou naïf – n’importe qui à sa place se serait aussi fait piéger – mais parce que les gens d’Arte n’avaient qu’une ambition : dézinguer la cause des pères. Il faudrait voir chaque journaliste un par un pour comprendre ce qui a pu se passer. Le reportage a peut-être été réalisé en fonction d’un vécu personnel, de très gros problèmes avec un mari violent, une séparation conflictuelle. C’est possible, c’est malheureusement souvent le cas. Quoi qu’il en soit, on voyait bien que n’avaient été retenus dans toutes les interviews que les passages qui allaient dans le sens du sujet. Il faut faire très attention avec les gens d’Arte, ils sont dangereux : j’ai vu d’autres reportages sur d’autres sujets où la même technique était mise en œuvre. Nous les avons d’ailleurs aussitôt « blacklistés ». Nous ne sommes pas capables de résister aux coups bas des médias, comme peuvent le faire Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon.
Quand je me suis ensuite moi-même trouvé face aux médias, j’avais toujours assez peur ! Il suffit de tellement peu de choses… Mais, honnêtement, je crois n’avoir pas eu une seule intervention médiatique sabotée en cinq ans de présidence. Je ne dis pas qu’elles ont toutes été bonnes, mais aucune n’a été détournée. Nous avons fait beaucoup de plateaux où ça s’est même très bien passé, sans piège. Je me souviens notamment d’une prestation avec Marie Drucker qui s’était remarquablement bien passée, parce que j’avais en face de moi quelqu’un comprenant parfaitement le problème et me soutenant.
Vous avez par contre été confronté à des tentatives de sabotage internes. Par exemple, juste avant l’assemblée générale du 13 mai 2006, deux membres du bureau exécutif, Loïc Brunet et Gérard Révérend, respectivement secrétaire adjoint et trésorier adjoint, avaient démissionné, contestant notamment le rapprochement auquel vous aviez procédé vis-à-vis de Michel Thizon.
Quand j’étais président, il y avait à peu près une dizaine d’associations de pères. Dans presque toutes, il n’y avait qu’un seul père : le président, dont le seul but était de faire avancer son propre dossier. Quelques gogos venaient adhérer, puis comprenaient et partaient. Avec Loïc Brunet, Gérard Révérend a créé une association à Marseille en dehors de SOS PAPA pour cette même raison. Il était venu au bureau exécutif pour travailler son dossier personnel, et on l’a viré quand on s’en est aperçu. On ne vient pas au bureau exécutif pour travailler son dossier personnel mais parce qu’on pense qu’on peut éventuellement apporter quelque chose.
Au bout de cinq ans, vous avez finalement donné votre démission. Pourquoi ?
Pour deux raisons. D’une part, professionnellement, j’étais sur le point de changer de fonction, avec un travail bien plus accaparant et incompatible avec une forte activité associative. La présidence de SOS PAPA, c’était un travail d’enfer, cinq ou six heures par jour, en plus de mon boulot ! Je me levais à quatre ou cinq heures du matin pour m’occuper de SOS PAPA avant d’aller travailler. Ce n’est pas comme faire une permanence une fois par semaine. Honnêtement, je n’en pouvais plus.
Vous avez même eu des problèmes de santé…
Oui, j’ai fait un infarctus, dû au stress. J’étais en permanence sur le pont et, en plus, je n’habitais pas Paris, ce qui était un gros handicap. Je devais me déplacer pour le moindre contact, et c’était compliqué.
D’autre part, j’ai été fortement démobilisé… par notre incapacité à mobiliser. Le gros problème dans une association comme SOS PAPA, c’est que tous les adhérents ne voient que l’aspect « assistance » et sont incapables de comprendre que SOS PAPA n’est pas un service public destiné à les assister. SOS PAPA, c’est une association de pères, où tous sont à égalité et où tous ont leur rôle à jouer, leur contribution à donner. Comme dans n’importe quel syndicat, tous sont là pour essayer de trouver des solutions afin de faire avancer les choses. Et le gros problème qu’on a toujours eu, c’est qu’on n’a jamais réussi à faire participer les gens au lobbying de SOS PAPA.
C’est très vrai. Quand j’anime des permanences, je dis toujours que personne, ni à SOS PAPA ni chez nos prédécesseurs, n’a réussi à trouver le moyen permettant de transformer des consommateurs en acteurs. J’ai d’ailleurs trouvé un jour un courrier que vous aviez adressé à un de ces consommateurs revendicatifs, que vous aviez assez gentiment envoyé promener en le plaçant face à ses propres responsabilités. Cette lettre m’a tellement plu que je m’en suis fortement inspiré dans ma propre correspondance pour répondre à des types de ce genre-là.
C’est un excellent exemple, et je suis très content que vous ayez ce document. Le montant de la cotisation était assez important, notamment parce que nous n’avions aucune subvention, et les gens pensaient qu’en retour SOS PAPA allait gérer la défense de leur dossier et payer les avocats. C’était le cas de ce monsieur. Ce type de comportement est quand même assez curieux : si la cotisation devait permettre à chaque adhérent de bénéficier d’un support complet, il faudrait en porter le montant à 5000 euros ! Les avocats acceptent de participer gratuitement aux permanences, mais on ne peut leur demander davantage.
C’est comme si personne ne voulait distribuer des tracts ou faire grève dans un syndicat. Or, nous sommes dans une structure où on doit se battre. Avec Thierry Doriot, nous avons pourtant lancé un tas d’opérations afin d’essayer de motiver les gens. Nous avons créé, par exemple, des groupes de travail, baptisés « groupes action », avec un réseau informatique permettant à tout le monde, dans l’ensemble de la France, d’y participer – à une époque où les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter n’existaient pas. Aujourd’hui, ce serait plus facile.
Les outils dont vous vous êtes servi, Google Groupes ou Yahoo! Groups, étaient effectivement assez rudimentaires.
Oui, c’était rudimentaire, et inconfortable ! Alors, le but était d’abord d’interpeler tous les parlementaires, qui sont des gens extrêmement importants – on le voit bien en ce moment avec les élections législatives. Les membres du gouvernement sont à l’origine de la majorité des lois, mais ce sont les parlementaires qui les votent, et ils peuvent aussi les proposer. Il fallait ensuite mettre au point des argumentaires, pousser les gens à aller devant les médias, susciter des analyses et des réactions en rapport avec l’actualité. Tout cela demandait énormément de travail, qui ne pouvait être fait par une seule personne. Ce travail devait être collectif. Il fallait que toutes les ressources de l’association puissent être mobilisées dans l’élaboration d’un certain nombre de choses. Je n’ai jamais réussi à le faire. Échec total.
La seule chose que les gens étaient prêts à faire, c’était l’animation de permanences, parce que cela n’exige pas de travail préalable, il n’y a pas de dossier à préparer. Nous avons déjà parlé des permanences tout à l’heure, je ne vais pas y revenir. C’est extrêmement important, mais, je le redis, ce n’est pas le plus important.
Il y a quand même eu un moment où vous avez réussi à faire travailler des adhérents, c’est l’université d’été 2006. En est sorti un certain nombre de choses concrètes, qui servent encore : la mise à jour des propositions de SOS PAPA, le mode d’emploi des avocats, etc.
C’était effectivement une bonne chose. Mais on n’a pas réussi à refaire cette opération les années suivantes.
Certains à SOS PAPA ont fait courir le bruit que vous étiez parti comme un voleur, du jour au lendemain. Juste avant l’assemblée générale du 27 novembre 2010, Jean Latizeau avait diffusé une circulaire assez méchante dans laquelle il vous rendait responsable de l’état catastrophique des finances…
Il est important de faire la lumière sur ce point et je vais vous dire exactement comment les choses se sont passées. Lorsque j’étais président de SOS PAPA, j’étais professionnellement dans ce qu’on appelle un placard. Et heureusement ! Je n’aurais rien pu faire d’autre si j’avais eu une activité professionnelle pleine. Puis, comme je vous l’ai déjà dit, j’ai eu une opportunité professionnelle : on m’a proposé un poste intéressant pour terminer ma carrière, mais totalement incompatible avec mon activité associative. Il m’a fallu faire un choix.
Par ailleurs, Jean Latizeau venait d’arriver dans l’association. Je l’avais rencontré lors d’une manifestation pour la fête des pères que nous avions organisée en juin 2009. Il m’avait paru pas mal : un manager, polytechnicien, assez tonique, avec pas mal d’idées et la tête sur les épaules. Je l’ai fait entrer au bureau exécutif, où il est devenu vice-président. La fonction semblait bien lui correspondre. On lui a confié, ainsi qu’à son copain Alain Chauvet, une mission : essayer de mettre en œuvre une synergie à travers les groupes action dont j’ai parlé tout à l’heure. On lui a donné un téléphone portable avec un forfait illimité, à une époque où cela coûtait une fortune, pour qu’il puisse passer ses journées au téléphone. Nous pensions que l’informatique, outil dont nous avons parlé tout à l’heure, pouvait bloquer beaucoup de monde – à l’époque – et que le téléphone semblait plus de nature à permettre à l’ensemble des adhérents de toute la France de participer à distance aux réflexions communes. En dépit de nombreuses relances, on n’a vu aucun résultat. On a été assez déçu, parce qu’on y croyait beaucoup.
À un moment donné, j’ai donc envisagé de donner ma démission. Alors que je commençais à en parler de façon seulement informelle, Thierry Doriot m’a coupé l’herbe sous le pied en donnant immédiatement la sienne ! Cela m’a un peu ennuyé parce que j’espérais secrètement qu’il resterait : avec moi, c’était le seul à bosser dans l’association ! Il a fait énormément pour l’association. C’est d’ailleurs lui qui m’avait poussé vers la présidence de SOS PAPA. Mais il a tout de suite compris que tout était foutu si je m’en allais. C’est ce qu’il m’a dit quand je lui ai demandé pourquoi il démissionnait.
J’ai ensuite écrit et téléphoné à tous les membres du bureau exécutif pour leur dire que j’envisageais de prendre ma retraite et quitter l’association, et que je voulais qu’on en discute de façon à organiser au mieux le passage de flambeau : aucune réaction. Je les ai relancés à plusieurs reprises : toujours rien. Tous étaient subitement devenus absents et injoignables. Le bureau exécutif ne voulant pas comprendre et moi ne sachant plus trop comment faire, j’ai fini par envoyer un courrier à l’ensemble des adhérents pour leur annoncer mon intention de prendre prochainement ma retraite. Toujours aucune réaction de la part du bureau exécutif. Là, j’étais vraiment très ennuyé. On a un tas de choses entre les mains quand on est président : les banques, tous les contacts en cours, les dossiers, les outils informatiques, etc. Il fallait quand même que la succession soit bien organisée. Finalement, j’ai envoyé au bureau exécutif une lettre officielle – recommandée avec accusé de réception – de démission au mois de juin 2010, annonçant que je prendrais ma retraite deux mois plus tard, et que le vice-président, Jean Latizeau, assurerait l’intérim. J’avais choisi la période des vacances, pendant lesquelles l’activité de l’association est au plus bas. Toujours aucune réaction. Je pense qu’ils espéraient que je renoncerais à partir. Mais les deux mois passés, j’ai considéré que je n’étais plus président.
Être président d’une association comme SOS PAPA, ce n’est pas simple : il y a quand même un certain nombre de « fondus », de gens très spéciaux, chez nous ! Mais, à l’époque, j’avais confiance en Jean Latizeau, que je voyais plutôt bien pour me succéder. Il n’a pas voulu prendre la suite et, honnêtement, je n’ai pas du tout compris son attitude. Peut-être avait-t-il des raisons personnelles. Il y a toujours eu à SOS PAPA des gens qui ne voulaient pas être exposés aux médias, et je le comprends très bien : lorsqu’une procédure est en cours, c’est une catastrophe ! Et être président de SOS PAPA, c’est quasiment un suicide ! Moi, cela m’est retombé en travers de la gueule : l’avocat de la partie adverse a montré des documents de SOS PAPA au juge aux affaires familiales. Mais je n’avais pas perçu cette crainte chez Jean Latizeau. En fait, j’ai eu l’impression que tout le monde se défilait.
Dans le compte-rendu de cette assemblée générale du 27 novembre 2010, il est dit que « les déficits proviennent de dépenses excessives, en particulier de publicité, quoique celles-ci soient bien afférentes à l’activité de l’association ». Est également mentionnée « une perte inexpliquée d’environ 1300 euros dans la caisse de liquidité », etc.
Déjà, tous les comptes de l’association SOS PAPA étaient gérés par le secrétariat permanent, qui n’existe plus aujourd’hui. J’avais deux ou trois secrétaires, salariées dans le cadre de contrats aidés – nous n’avions pas les moyens d’embaucher avec des contrats classiques. Un comptable bénévole, adhérent de l’association, vérifiait leur travail chaque semaine. Et un expert-comptable, ancien adhérent, certifiait les comptes chaque année pour l’assemblée générale.
Après, il faut savoir qu’il y a deux façons de tenir des comptes. Il y a d’abord l’approche dépenses/recettes, que tout le monde connaît. C’est la plus facile à comprendre. Sur un an, il y a tant de dépenses, tant de recettes, et les deux colonnes doivent être égales. Le reliquat éventuel est mis en banque comme provision pour l’année suivante ; le déficit éventuel est une dépense à rattraper l’année suivante. Il y a ensuite l’approche actif/passif, un peu plus difficile à comprendre, mais plus importante. L’actif, c’est tout ce que possède l’association : biens immobiliers, cotisations payées, meubles, etc. Le passif est constitué par les dettes de l’association : dépenses non encore réglées, etc. Cette approche est plus importante car elle saisit toute l’histoire de l’association jusqu’au jour où on arrête les comptes, tandis que l’autre ne donne qu’une vision annuelle. Une association richissime, avec des assurances-vie et des plans d’épargne, peut se permettre d’avoir davantage de dépenses que de recettes sur une année sans que cela prête à conséquence. On peut par exemple acheter un photocopieur au lieu de le louer, puisque cette grosse dépense entrera dans l’actif, de même que les goodies (ballons de baudruche, T-shirts, etc.) et les revues.
Quand je suis arrivé à la présidence de SOS PAPA, Jean-Louis Touchot m’avait laissé une trésorerie plutôt faible, avec des revenus – les adhésions – en chute libre. Mais il y avait un trésor de guerre : une cave remplie de magazines et de plaquettes. En termes comptable, c’était de l’actif, et un actif considérable. Mais l’énorme problème des magazines et des plaquettes, c’est que cela vieillit mal : les adresses et numéros de téléphone changent, les textes perdent de leur actualité. On a donc beaucoup utilisé ce matériel de propagande pendant les trois années qui ont suivi, en le distribuant aux médias et aux politiques. De ce fait, pendant cette période, on a très peu dépensé en matière de communication. Mais une fois la cave vidée, il a bien fallu ensuite faire du neuf : on a donc commencé à rééditer des flyers et refaire des goodies, ce qui a généré un certain nombre de dépenses, c’est-à-dire un flux entre trésorerie et actif. En d’autres termes, on a cumulé de la liquidité pendant les premières années, avant de la transformer en flyers et goodies.
Quand j’ai quitté SOS PAPA, il y avait donc pas mal de goodies, on avait aussi acheté un groupe électrogène et des costumes de Père Noël pour les manifestations, mais, malgré ces grosses dépenses, la comptabilité actif/passif était parfaite. J’ai donc laissé une association en parfaite santé, avec des revenus – les adhésions – très confortables, car j’avais remis tout le processus d’adhésion en ordre de marche, avec un nouveau siège social en plein Paris et un secrétariat efficace.
Vous avez également mentionné une somme de l’ordre de 1300 euros qui aurait disparu. Il semble que cette disparition a en fait eu lieu plusieurs mois après mon départ : c’est donc à mes successeurs de l’expliquer. Pour ma part, je n’ai pas trop suivi ce qui s’est passé après l’assemblée générale de novembre 2010 : cela a été très compliqué, les clés du siège social ont été volées, il y a eu des procès… Le site internet n’étant pas à jour, il est même devenu impossible de savoir qui est président de SOS PAPA. Dans la presse, c’est tantôt Jean Latizeau, tantôt Jacques Colleau. Je reçois même encore régulièrement des appels téléphoniques de journalistes qui me demandent une interview. Je leur réponds évidemment que je ne suis plus président, ni même adhérent de SOS PAPA, et que, déontologiquement, je ne peux plus m’exprimer au nom de l’association. Mais ils insistent en m’expliquant qu’ils n’arrivent à joindre personne à SOS PAPA.
Le site internet de l’association est effectivement assez contre-productif sur ce point. Il indique : « Pour nous contacter 01.47.70.25.34 ». On peut donc s’attendre à avoir un interlocuteur dès qu’on appelle ce numéro. Mais personne ne répond plus depuis la dis-parition du secrétariat permanent et on n’entend qu’un message enregistré – d’ailleurs beaucoup trop long. De plus, les numéros de téléphone portable qui sont donnés dans ce message ne semblent manifestement pas très réactifs… Pour avoir beaucoup travaillé avec les médias, je sais qu’il leur faut un rendez-vous dans l’heure.
Au temps où j’étais président, le site indiquait le numéro téléphonique du siège et mon numéro personnel – je n’avais pas de ligne attitrée SOS PAPA. Tant les adhérents que les institutionnels étaient ainsi assurés d’avoir un interlocuteur. Il faut bien comprendre que les médias ont des besoins… immédiats ! On n’a pas droit à deux coups. Si Jean Latizeau n’est pas disponible, les journalistes téléphonent à une autre association. Moi, je passais beaucoup de temps dans les couloirs de ma société à répondre à leurs appels. C’est très important de pouvoir réagir dans la minute à un quelconque événement : un père monté sur une grue, un suicide, etc. On ne peut pas répondre : « Rappelez-moi un peu plus tard, ce soir, la semaine prochaine… » Ce d’autant que c’étaient les journalistes qui, la plupart du temps, m’apprenaient qu’il s’était passé telle ou telle chose à tel ou tel endroit, avant de me demander ce que j’en pensais – je n’avais pas de poste de radio sur mon lieu de travail pour écouter les informations ! Dans le pire des cas, je leur demandais de m’envoyer l’information par fax ou par e-mail et je les rappelais dix minutes plus tard ; mais il y avait quand même eu un premier contact immédiat. Je ne comprends pas que Jean Latizeau, habitant Paris et étant disponible, ne soit pas plus réactif. Il pourrait faire un carton.
Cela me fait très mal de le dire mais, aujourd’hui, SOS PAPA est mort. Je reçois encore des alertes Google dès que l’expression « SOS PAPA » apparaît quelque part sur le web. Quand j’étais président, je recevais ces alertes tous les deux ou trois jours. Aujourd’hui, on n’en parle quasiment plus. Il n’y a guère que SOS PAPA Nord Picardie, créé par mon ami Didier Quiertant, qui soit encore actif. On ne s’est pas toujours bien entendu, on a eu des gros clashs à une certaine époque, mais il a été finalement le plus correct. Lui, il fait son boulot. C’est vraiment lui qui travaille le plus. Il fait un travail d’enfer dans sa région, où il met en place plein de chose avec des organismes locaux.
En fait, le seul moment où on a beaucoup parlé de SOS PAPA ces dernières années, c’était au moment des grues de Nantes et des actions de pères qui ont suivi, mais c’était uniquement pour dire que SOS PAPA soutenait les pères en question ; l’association n’était même pas à l’origine de ces opérations !
Puisque vous en parlez, qu’avez-vous pensé de ces actions ?
Moi, j’ai toujours été contre ce genre d’opérations, et je ne les aurais jamais soutenues. Il faut être clair : un père qui mène une action de ce genre-là ne verra plus jamais ses enfants, et je pense que ce n’est pas le rôle de SOS PAPA de pousser quelqu’un à mener ce genre d’action suicidaire. Le seul aspect positif est que cela fait parler de la cause. Mais il y a un choix à faire : faire avancer la cause ou le dossier du père. Je n’ai jamais été partisan du sacrifice d’un père pour faire avancer la cause. Mais d’autres associations ont été à fond dans cette voie, notamment en Bretagne.
C’est pour cela que j’ai viré tous les gens qui tenaient des propos extrêmement dangereux. Nos pires ennemis sont toujours chez nous et, quand on est président d’une association, il faut savoir éliminer les branches pourries, parce que ce sont toujours celles-là qui vont attirer l’attention des journalistes et des politiques. Regardez comment se sont faites les investitures des candidats pour La République en marche ! Tous les dossiers ont été apparemment soigneusement épluchés, mais il n’empêche qu’on commence déjà à parler de branches pourries ici ou là. On n’a jamais pris de telles précautions chez SOS PAPA : on ne demande pas le pedigree, il suffit de donner un chèque pour adhérer. Cela n’aurait d’ailleurs aucun intérêt dans le cadre de l’activité de SOS PAPA : on ne reçoit pas un père pour mettre cinquante avocats derrière lui afin de le défendre coûte que coûte. On lui donne simplement des conseils sur la façon dont les choses se passent, la façon dont il doit gérer son dossier, les problèmes posés par le fonctionnement du système judiciaire, etc. Sans connaître les gens, on ne peut ni ne doit aller plus loin. Et de ce fait, on n’a la plupart du temps aucun élément pour juger de la qualité d’une candidature pour représenter SOS PAPA dans une région.
Il y a quand même un degré d’exigence plus élevé pour les candidats à une représentation officielle de l’association que pour les simples adhérents. Michel Thizon avait mis en place une procédure demandant aux candidats de fournir notamment un extrait de casier judiciaire et tous les jugements.
Oui, bien sûr, mais ce n’est pas suffisant pour connaître quelqu’un et vérifier qu’il ne tient pas autour de lui des propos catastrophiques, hallucinants, susceptibles de casser complètement la dynamique de l’association. On a vu par exemple des gens hyper-dangereux en Bretagne, qui conseillaient aux adhérents de cacher des microphones pour enregistrer leur ex ou leur future ex. On ne peut pas inciter des adhérents à faire des choses complètement illégales ! Et cela ne sert à rien, c’est inutilisable. Le père qui balance ce genre de document au tribunal ne verra plus jamais ses enfants, c’est une évidence. Si en plus le juge lui demande pourquoi il a fait une connerie pareille et qu’il répond que c’est SOS PAPA qui lui a conseillé d’agir ainsi, que faisons-nous ?! Si on lit dans tous les journaux : « SOS PAPA conseille à ses adhérents d’espionner leur femme ! », il faudra ramer pendant cinq ans pour rattraper le coup. Avec quelques cas comme cela, on provoque très vite un dommage considérable à une cause.
Je peux comprendre que vous ayez voulu cesser d’être président de l’association, mais je suis étonné que vous ayez en fait totalement coupé les ponts avec SOS PAPA. Vous auriez pu rester simple adhérent, ou créer une délégation au Havre…
J’ai pensé que ce ne serait pas une bonne chose de rester dans l’association, que ce serait très inconfortable, que j’aurais été conduit à critiquer la nouvelle équipe. Dans une association, chacun doit participer. Moi, j’ai bossé dix ans pour SOS PAPA, d’abord en Normandie avec Yasser Abouzeid, puis au niveau national avec Thierry Doriot, et j’estime que j’ai fait ma part. Je constate d’ailleurs que nous avons eu tous les trois la même réaction : nous avons complètement arrêté. Quand j’ai quitté SOS PAPA, mes enfants étaient tous adultes. Pourquoi voulez-vous que je me batte désormais ?
Pour les autres, pour faire bénéficier les nouveaux de votre expérience…
Je l’ai fait. Il faut que chacun fasse son boulot, pas toujours les mêmes. Il ne faut pas monopoliser la scène et les fonctions, il faut que cela tourne. Et contrairement à ce que vous pensez, je n’ai pas totalement coupé les ponts : j’ai encore des informateurs qui me tiennent au courant ! La dernière fois que j’ai entendu parler de SOS PAPA, c’est à l’occasion du récent décès d’Évelyne Sullerot, et cela m’a fait beaucoup de peine. Grâce à mes informateurs, j’ai appris avec stupeur que SOS PAPA n’avait même pas été représenté à ses obsèques. C’est scandaleux. En fait, j’ai été assez écœuré, estomaqué, par ce qui s’est passé après mon départ. À l’assemblée générale de 2011, par exemple, ils ont fait venir des barbouzes, des vigiles, pour filtrer les entrées et empêcher les opposants de participer. Il fallait voir l’ambiance : c’était hyper violent ! On ne savait plus qui était le président, ils se sont piqués les clés du siège, il y a eu tellement de bordel qu’ils n’ont même plus les moyens de payer des secrétaires aujourd’hui. Je n’ai pas du tout envie de tremper dans ces guerres et ces procès.
Les élections actuelles vont probablement remettre les compteurs à zéro. Les anciens groupes parlementaires sont en train d’éclater, et des gens qui nous soutenaient depuis longtemps, comme Marc Dolez, que j’ai rencontré récemment, ne se représentent pas. Nous allons sans doute devoir poursuivre le combat face à des inconnus. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas forcément négatif. Il va probablement y avoir 350 ou 400 députés de La République en marche !, nous verrons cela demain et la semaine prochaine. Pour une très grosse majorité, ce seront des nouveaux venus, et ce n’est pas une mauvaise chose car les professionnels de la politique constituent un danger : ils sont davantage enclins au consensus qu’à la remise en cause, et ils n’ont pas de vie de famille. Ceux qui vont émerger à l’occasion de ce petit séisme politique seront probablement différents, beaucoup moins « professionnels de la politique » et beaucoup plus « gens comme vous et moi ». Il peut y avoir de tout, il suffira de trouver les bons. Chacun dans son coin doit demander des rendez-vous pour les interroger. Je pense que ce sera facile car beaucoup de ces nouveaux candidats semblent ouverts au dialogue. Il y a une opportunité à saisir, et du travail à faire.
Vous n’avez pas envie de retremper les doigts de pied dans l’eau ?
Non, pas du tout !
Indépendamment de SOS PAPA, il ne vous est jamais venu à l’esprit de faire de la politique ?
Jusqu’à présent, non. Je serai juste président d’un bureau de vote demain, et mon engagement dans la vie politique s’arrête là ! C’est quand même important : il y a pénurie d’assesseurs partout en France.