Le divorce n’est pas un droit

Cour européenne des droits de l’homme

Dans une décision de ce 10 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que la Convention européenne des droits de l’homme n’impose pas la légalisation du divorce ni ne contient de droit individuel au divorce, et nous nous en réjouissons.

L’affaire Babiarz contre Pologne met en cause le refus des juridictions polonaises d’accorder le divorce à un époux infidèle eu égard au refus de son épouse légitime.

Marié en 1997, Artur Babiarz quitte son épouse infertile en 2005 pour vivre avec une autre femme, avec laquelle il a un enfant. Il demande le divorce en 2006, mais les juges refusent de l’accorder, estimant qu’Artur Babiarz est seul responsable de la détérioration du mariage et que son épouse a des motifs légitimes de s’opposer au divorce. En Pologne, un divorce demandé par le conjoint fautif ne peut être accordé qu’avec le consentement du conjoint délaissé, sauf à prouver que le refus de ce dernier est abusif.

Artur Babiarz saisit la Cour européenne des droits de l’homme en 2009 pour se plaindre d’une violation du droit au respect de sa vie privée et familiale et de son droit de se marier et de fonder une famille, droits garantis aux articles 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il estime en effet avoir « le droit » d’épouser sa compagne actuelle mais qu’il en est empêché par le refus du juge de prononcer le divorce.

Dans sa décision rendue aujourd’hui, la quatrième section de la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la non-violation de la Convention européenne des droits de l’homme par cinq voix contre deux.

Rappelant ses décisions antérieures (F. c. Suisse, Johnston et autres c. Irlande), la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que la Convention européenne des droits de l’homme ne requiert pas la légalisation du divorce. De plus, ses articles 8 et 12 ne peuvent pas être interprétés comme conférant aux individus un droit au divorce (§ 49) :

« The Court has already held that neither Article 12 nor 8 of the Convention can be interpreted as conferring on individuals a right to divorce. […] It has also held that, if national legislation allows divorce, which is not a requirement of the Convention […]. »

Tout en confirmant que la Convention européenne des droits de l’homme est bien « a living instrument to be interpreted in the light of present-day conditions », la Cour européenne des droits de l’homme rappelle dans le même § 49 qu’il était dans l’intention de ses rédacteurs d’exclure explicitement un droit au divorce :

« The travaux préparatoires of the Convention indicate clearly that it was an intention of the Contracting Parties to expressly exclude such right from the scope of the Convention. »

La Cour européenne des droits de l’homme précise également que la présente affaire se distingue d’autres où étaient en cause la durée excessive de la procédure de divorce faisant obstacle à un remariage (Aresti Charalambous c. Chypre) ou le « droit de veto » conféré au conjoint innocent par la législation nationale lorsque le divorce est demandé par le conjoint fautif (Ivanov et Petrova c. Bulgarie). En l’espèce, l’épouse du requérant ne disposait pas d’un tel droit car le juge pouvait prononcer le divorce s’il estimait le refus abusif.

Après avoir rappelé l’examen minutieux dont l’affaire avait fait l’objet par les juridictions polonaises, alors même qu’un enfant était né de la nouvelle relation, que celle-ci semblait stable et que le lien du mariage semblait être définitivement altéré (« a complete and irretrievable breakdown of his marriage »), la Cour européenne des droits de l’homme a refusé de conclure à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme, expliquant (§ 54) :

« To contemplate otherwise would mean that a request for a divorce would have to be allowed regardless of the procedural and substantive rules of domestic divorce law, by a person simply deciding to leave his or her spouse and have a child with a new partner. »

Juger autrement conférerait un droit au divorce s’imposant au préjudice du conjoint victime.

Concernant la protection de la vie familiale menée par Artur Babiarz avec sa nouvelle compagne, Cour européenne des droits de l’homme précise dans le même § 54 que la protection accordée aux familles et aux relations de facto (non mariées) par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne contient pas pour autant un droit à une reconnaissance légale particulière de ces relations.

Toutefois, deux des sept juges composant la section, le président hongrois András Sajó et le juge portugais Paulo Pinto de Albuquerque, ont estimé que les droits du requérant avaient été violés.

András Sajó a estimé que la Convention européenne des droits de l’homme garantit un droit à ne pas être forcé de rester marier, et que ce droit prévaut sur celui de l’autre conjoint de rester marier. Il a également estimé qu’une personne déjà mariée continue de jouir du droit de se marier, donc de se remarier, ce qui implique le droit de divorcer.

Pour sa part, Paulo Pinto de Albuquerque a estimé que la Cour n’avait pas tenu suffisamment compte de la nouvelle famille de facto d’Artur Babiarz, dont les droits et intérêts prévaudraient sur un mariage qui ne serait plus qu’une « legal fiction ». Plus fondamentalement, il reproche au droit polonais d’être trop lié à la morale et la religion :

« The belief in the sanctity and religious indissolubility of the matrimonial bond, which many millions of Poles and many more millions of Europeans share, may not be imposed by State policy, namely by force of legislative or judicial policy. It could not be otherwise in contemporary, democratic societies, built upon the pillars of State neutrality and religious and moral pluralism. »

Autrement dit, la Pologne devrait donc faciliter le divorce par respect pour la laïcité.

L’opinion dissidente de Paulo Pinto de Albuquerque est révélatrice. À travers la question du divorce se confrontent deux conceptions de la liberté : la conception individualiste de la liberté comme indépendance, et la conception responsable de la liberté s’exerçant dans l’accomplissement de ses engagements.

Il est à noter que la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu dans le même sens le 22 novembre 2016 pour l’affaire Andrzej Piotrowski c. Pologne. Les faits étaient similaires, à la différence qu’aucun enfant n’était né de la nouvelle relation de l’époux infidèle. Rendues publiques à quelques semaines d’intervalle, les deux décisions sont presque identiques et énoncent le même principe de l’absence de droit au divorce, et de la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme de la faculté pour le conjoint délaissé de s’opposer au divorce, dès lors que cette faculté s’exerce sous le contrôle du juge. Étonnamment, András Sajó et Paulo Pinto de Albuquerque avaient souscrit dans cette précédente affaire aux principes qu’ils ont contestés ici, sans que l’existence d’un enfant paraisse avoir déterminé fondamentalement leur position.

Enfin, il convient de signaler que nos amis de l’European Centre for Law and Justice avaient été autorisés par la Cour européenne des droits de l’homme à intervenir dans ces deux affaires et à soumettre des observations écrites. Il y était notamment souligné que l’objet premier du droit « de se marier et de fonder une famille » est de conférer un cadre social stable à la fondation d’une famille. Ce droit ne peut donc contenir un droit opposé à se « démarier », tout comme le droit à la vie ne peut être interprété comme contenant un droit à la mort.

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Quatrième section
10 janvier 2017
Affaire Babiarz c. Pologne

 

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

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