Siégeant à la Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles, le juge Nicholas Mostyn a rejeté aujourd’hui la requête d’un père qui demandait le retour en Lettonie de ses deux enfants enlevés par leur mère en Angleterre. Nonobstant les particularités du régime de common law en vigueur outre-Manche, il nous paraît utile de signaler cette décision à l’attention de nos lecteurs, puisqu’elle concerne l’application des principes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
Contexte
En l’espèce, une femme et un homme de nationalité lettone s’étaient rencontrés et mariés en 2005, puis avaient divorcé en 2016. Deux filles étaient nées du mariage, en mai 2007 et septembre 2009, qui avaient été confiées à leur mère après le divorce (§ 14).
La mère avait emmené les adolescentes en Angleterre en décembre 2019 pour y vivre avec un nouveau partenaire, et les filles y avaient commencé leur scolarité au début de l’année suivante (§ 15), conservant des contacts avec leur père par appels vidéo (§ 16).
Le père avait attendu le mois de mars 2021 pour engager en Lettonie une action demandant le retour de ses filles sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, suivie deux mois plus tard d’une action aux mêmes fins en Angleterre.
La mère s’était opposée au retour des adolescentes en soulevant quatre moyens de défense :
- l’intégration des enfants dans leur nouveau milieu [article 12 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants] ;
- l’opposition des enfants à leur retour [article 13 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants] ;
- l’acquiescement et le consentement du père au déplacement et au non-retour [article 13(a) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants] ;
- le risque grave d’exposition des enfants à un danger physique ou psychique [article 13(b) de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants].
Mauvaises pratiques procédurales
Dans sa décision rendue aujourd’hui après deux jours d’audience, le juge Nicholas Mostyn a clairement manifesté son irritation devant les mauvaises pratiques procédurales qu’il avait pu remarquer en l’espèce et a tenu à formuler quelques observations de portée générale, afin que ces mauvaises pratiques ne se répètent pas dans d’autres affaires et que les magistrats de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles ne perdent pas leur temps. Il a ainsi relevé que :
- Les avocats des parties lui avaient remis deux liasses de documents, de 484 et 153 pages respectivement, alors que les Family Procedure Rules 2010 (Practice Direction 27A § 5.1) fixent une limite de 350 pages, ainsi qu’une liasse de quatorze jurisprudences en 309 pages, alors que les Family Procedure Rules 2010 (Practice Direction 27A § 4.3A.1) fixent un maximum de dix jurisprudences (§ 1).
- Les avocats des parties avaient demandé deux jours d’audience, alors que le § 3.8 du guide pratique Case Management and Mediation of International Child Abduction Proceedings indique que les audiences doivent être exceptionnelles et strictement nécessaires en de telles affaires, puisque les procédures relatives à la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants sont de par leur nature sommaires et s’achèvent par des décisions provisoires, les décisions de fond étant prises dans le pays d’origine des enfants si leur retour est ordonné, de sorte qu’une audience est donc rarement requise pour examiner les moyens des parties (§§ 5-12).
- Alors que le père savait très bien où vivaient ses filles, il avait fait demander unilatéralement des ordonnances de localisation (location order et disclosure orders) pour obtenir leur adresse, alors que ces demandes n’étaient pas nécessaire et que ces éléments de preuve n’étaient pas conformes aux exigences indiquées aux §§ 2.1 et 2.2 du guide pratique Case Management and Mediation of International Child Abduction Proceedings ni à la jurisprudence afférente. Le juge Nicholas Mostyn est allé jusqu’à rappeler aux avocats que la Cour administrative d’Angleterre et du pays de Galles n’hésite pas à imposer des sanctions aux avocats qui font des demandes sans fondement – voir la récente décision In the Matter of the Court’s Exercise of the Hamid Jurisdiction (Re An Application for Judicial Review) [2021] EWHC 1895 (Admin) du 26 mai dernier (§§ 20-29).
Décision
La décision du juge Nicholas Mostyn s’est essentiellement fondée sur l’analyse du premier moyen soulevé par la mère, l’intégration des enfants dans leur nouveau milieu (article 12 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants). Il a ainsi estimé que :
« 36. Clearly, in order to be settled somewhere, a person must not only physically reside in a new home as a permanent residence but must genuinely intend to establish that place as a new home. Thus there must be proof of both a physical constituent and a mental constituent. For a younger child the relevant mental state will be that of her primary carer; for an older child it will be the mental state of the child herself. »
Il a également estimé qu’il n’était pas pour autant nécessaire que les enfants vivent dans un environnement familial parfait, sans conflit et stable – en l’espèce, un conflit était né entre la mère et son nouveau partenaire après onze mois de vie commune (§§ 46-51).
Le juge Nicholas Mostyn a par ailleurs dû se livrer à un intéressant petit exercice d’exégèse sur le sens de l’adverbe now dans la version anglaise de l’article 12 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants :
« The judicial or administrative authority, even where the proceedings have been commenced after the expiration of the period of one year referred to in the preceding paragraph, shall also order the return of the child, unless it is demonstrated that the child is now settled in its new environment. »
Cette précision temporelle est effectivement absente de la version française :
« L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. »
L’avocat du père considérait que now fait référence au début de la procédure, soit le mois de mai dernier, tandis que l’avocate de la mère considérait qu’il fait référence au moment où le juge doit statuer. Nonobstant une jurisprudence contraire [1], le juge Nicholas Mostyn a opté pour cette dernière interprétation, en précisant que cela n’avait pas d’incidence sur sa conclusion puisqu’il était convaincu que les deux adolescentes s’étaient intégrées dans leur nouveau milieu bien avant le début de la procédure (§§ 52-69).
Le juge Nicholas Mostyn a donc refusé de rendre l’ordonnance de retour demandée par le père.
- Références
- High Court of Justice (England and Wales), Family Division
Date : 18 octobre 2021
Décision : ES v LS [2021] EWHC 2758 (Fam)
Note
- Re N (Minors) (Abduction) [1991] 1 FLR 413, 12 avril 1990.
Décision archivée au format PDF (226 Ko, 16 p.).
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