Lors de son audience publique de ce 29 septembre 2021, la Cour de cassation a rendu cinq arrêts en matière de droit de la famille qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
Un acte de notoriété établissant la filiation n’a pas à être motivé
En l’espèce, une femme était née à Casablanca en 1968, hors mariage et sans filiation paternelle déclarée sur son acte de naissance. Un acte de notoriété dressé en mai 2009 par un juge des tutelles sur la foi de trois témoins avait reconnu qu’elle bénéficiait de la possession d’état d’enfant naturelle à l’égard d’un homme qui venait de décéder mais qui l’avait toujours traitée comme sa propre fille, en pourvoyant à son éducation, son entretien et son établissement. La femme avait assigné en janvier 2012 l’épouse et les enfants légitimes du défunt afin d’obtenir sa part dans la succession d’icelui. La cour d’appel de Montpellier avait déclaré nul l’acte de notoriété en novembre 2018 au motif que le juge des tutelles n’avait pas mentionné précisément dans ledit acte ce qu’avaient déclaré les trois témoins. La femme avait alors formé un pourvoi en cassation.
L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 317 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi nº 2019-222 du 23 mars 2019 :
« 8. Selon ce texte, l’acte de notoriété constatant une filiation établie par la possession d’état, qui fait foi jusqu’à preuve contraire, est délivré par le juge, sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et, si ce dernier l’estime nécessaire, de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1 du code civil. Il n’est pas sujet à recours.
« 9. Il en résulte que cet acte, dont la délivrance relève du pouvoir discrétionnaire du juge, n’a pas à être spécialement motivé.
« 10. Pour déclarer nul l’acte de notoriété délivré le 7 mai 2009, l’arrêt retient le juge s’est contenté de reprendre exactement les termes de l’article 311-1 du code civil sans mentionner la teneur de la déclaration des trois témoins, et donc sans faire état de faits concrets et précis révélant le lien de filiation entre les intéressés contrairement aux dispositions des articles 317 et 71 du code civil.
« 11. En statuant ainsi, alors qu’aucune disposition n’impose que les faits constitutifs de la possession d’état soient relevés dans l’acte de notoriété ou qu’il mentionne la teneur des témoignages, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées. »
Rappelons ici que, selon l’article 311-1 du code civil, la possession d’état résulte de trois éléments principaux : le comportement des intéressés l’un envers l’autre (tractatus), la façon dont sont considérés les intéressés par l’autorité publique et les tiers (fama), et le nom des intéressés (nomen). Aux termes de l’article 311-2 du code civil, elle doit en outre être « continue, paisible, publique et non équivoque » pour être constitutive de droits.
Rappelons également que l’article 6 de la loi nº 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié l’article 317 du code civil de sorte que seuls les notaires peuvent désormais dresser un acte de notoriété constatant la possession d’état en matière de filiation. L’acte doit toujours être établi « sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins » mais la production de « tout autre document […] qui atteste une réunion suffisante de faits au sens de l’article 311-1 du code civil » n’est plus optionnelle, comme elle l’était auparavant pour le juge. Les témoins doivent en outre signer l’acte mais le nouveau texte n’exige toujours pas que ledit acte mentionne la teneur des témoignages.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 29 septembre 2021
Nº de pourvoi : 19-23976/19-23978
Arrêt archivé au format PDF (166 Ko, 5 p.).
Attribution préférentielle d’un local du défunt à usage d’habitation
En l’espèce, une femme était décédée en 1995, laissant pour lui succéder ses trois enfants – deux filles et un fils. Des difficultés étaient survenues lors du partage de la succession : les enfants étaient co-indivisaires de la villa occupée par leur mère, mais l’une des filles en avait demandé l’attribution préférentielle au motif qu’elle y résidait au moment du décès. Elle avait assigné ses co-héritiers mais la cour d’appel de Bastia avait rejeté sa demande en septembre 2020 et elle avait alors formé un pourvoi en cassation.
Le pourvoi a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 5. Selon l’article 831-2, 1º, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi nº 2015-177 du 16 février 2015, tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de la propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d’habitation, s’il y avait sa résidence à l’époque du décès, et du mobilier le garnissant.
« 6. La cour d’appel, qui n’était pas tenue d’entrer dans le détail de l’argumentation des parties, a souverainement retenu que [la demanderesse] ne justifiait pas, au-delà d’une simple adresse, de sa résidence effective dans la villa dont elle sollicitait l’attribution préférentielle, au moment du décès de sa mère. »
Rappelons que l’article 6 de la loi nº 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a notamment étendu l’attribution préférentielle au conjoint survivant ou à tout héritier copropriétaire « du véhicule du défunt dès lors que ce véhicule lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante ».
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 29 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-21994/20-22005
Arrêt archivé au format PDF (109 Ko, 3 p.).
Cautionnement d’époux communs en biens
En l’espèce, une banque avait consenti à une entreprise un prêt d’un montant de 175 000 euros remboursable en quatre-vingt quatre mensualités. Par un acte de janvier 2013, deux époux s’étaient rendus cautions solidaires en garantie du remboursement de ce prêt, dans la limite de 87 000 euros chacun et pour une durée de cent huit mois. Par un acte d’octobre 2013, la banque avait consenti à l’entreprise un nouveau prêt d’un montant de 225 000 euros, remboursable en quatre-vingt quatre mensualités et garanti par le cautionnement solidaire des époux, dans la limite de 270 000 euros chacun et pour une durée de cent huit mois.
L’entreprise ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque avait assigné en paiement les époux, qui lui avaient opposé la disproportion de leurs engagements, subsidiairement la nullité du cautionnement de l’époux, faute pour icelui d’avoir rédigé la mention manuscrite prévue à l’article L341-2 du code de la consommation.
La cour d’appel de Colmar ayant donné raison aux époux en février 2020, la banque avait alors formé un pourvoi en cassation, lequel a été rejeté aujourd’hui par la chambre commerciale de la Cour de cassation :
« 5. Lorsque les cautionnements d’époux communs en biens ont été recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette et que l’un des cautionnements est annulé, la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l’autre conjoint, emportant engagement des biens communs en application de l’article 1415 du code civil. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 29 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-14213
Arrêt archivé au format PDF (137 Ko, 4 p.).
Demande en rapport d’une libéralité et caution de l’usufruitier
En l’espèce, un père était décédé en 2013, laissant pour lui succéder son épouse avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation de biens, et ses cinq enfants issus d’une précédente union. Des difficultés étaient nées pour le partage de sa succession et la cour d’appel de Nouméa avait ordonné en novembre 2019 le rapport à la succession du défunt des donations reçues par sa veuve à concurrence de 53 725 000 francs CFP, soit environ 450 000 euros. Les enfants et la veuve avaient alors formé des pourvois en cassation, les uns pour réclamer un rapport plus important, l’autre pour le contester.
L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 840 et 843 du code civil :
« 6. La demande en rapport d’une libéralité dont aurait bénéficié un héritier consentie par le défunt, sur le fondement du second de ces textes, ne peut être formée qu’à l’occasion d’une instance en partage judiciaire, prévue par le premier.
« 7. Pour condamner [le conjoint survivant] à rapporter certaines sommes à la succession de [son défunt mari], l’arrêt retient qu’elle a bénéficié de libéralités consenties par son époux.
« 8. En statuant ainsi, sans ouvrir au préalable les opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
L’affaire et les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Nouméa autrement composée.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 29 septembre 2021
Nº de pourvoi : 19-26029/20-13648
Arrêt archivé au format PDF (173 Ko, 5 p.).
Un autre épisode de cette succession difficile a également été tranché : le père avait consenti à son épouse en novembre 2001 une donation de l’usufruit de l’universalité des biens composant sa succession au jour de son décès. Les enfants avaient assigné la veuve pour voir dire que les sommes issues de la succession seraient placées sur un compte bloqué jusqu’au décès d’icelle, qui en percevrait sa vie durant les intérêts en sa qualité d’usufruitière. Leur demande ayant été accueillie par la cour d’appel de Nouméa en janvier 2020, la veuve avait alors formé un autre pourvoi en cassation.
Ce deuxième arrêt a également été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 601 et 602 du code civil :
« 6. Selon le premier de ces textes, l’usufruitier donne caution de jouir raisonnablement s’il n’en est dispensé par l’acte constitutif de l’usufruit.
« 7. Selon le second, si l’usufruitier ne trouve pas de caution, les sommes comprises dans l’usufruit sont placées.
« 8. Pour dire que les sommes issues de la succession [du défunt] seront placées sur un compte bloqué auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’au décès de [sa veuve], laquelle percevra à vie durant les intérêts de ces placements en sa qualité d’usufruitière, l’arrêt retient qu’il convient de faire application de l’article 602 du code civil.
« 9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’acte constitutif de l’usufruit ne dispensait pas la donataire de l’obligation de fournir une caution, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes précités. »
L’affaire et les parties sont là encore renvoyées devant la cour d’appel de Nouméa autrement composée.
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 29 septembre 2021
Nº de pourvoi : 20-19243
Arrêt archivé au format PDF (108 Ko, 3 p.).
Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.