La Cour européenne des droits de l’homme a condamné aujourd’hui la Grèce pour la longueur excessive d’une procédure relative à la fixation des modalités de contact entre un père et son fils.
Contexte
En l’espèce, les requérants sont trois ressortissants grecs, Nikolaos Anagnostakis, né en 1983, et ses deux parents. Nikolaos est le père d’un enfant né hors mariage en septembre 2014. Il avait procédé à la reconnaissance de l’enfant devant notaire et l’acte de reconnaissance précisait que les parents s’étaient mis d’accord pour exercer conjointement l’autorité parentale (§§ 4-6) – par défaut, l’autorité parentale sur un enfant mineur né hors mariage est exercée par la seule mère (article 1515 du code civil grec) [1]. La décision ici commentée ne le précise pas mais – détail croustillant – les deux parents ainsi que les grand-parents paternels (Andreas Anagnostakis et Ioanna Anagnostaki‑Poulopoulou) sont tous avocats, et Nikolaos a été représenté devant la Cour européenne des droits de l’homme par son frère Alexis Anagnostakis…
La mère expulsa le père de leur domicile commun douze jours après la naissance de leur fils. Elle saisit ensuite le tribunal de première instance d’Athènes en novembre 2015 pour introduire une demande visant à ordonner des mesures provisoires afin d’obtenir de la part du père ou, à titre subsidiaire, des grands-parents paternels, le versement temporaire de la somme de mille euros par mois pour couvrir les besoins de l’enfant. Les grands-parents paternels déposèrent le mois suivant une demande visant à la fixation provisoire des modalités de leur droit de visite (§§ 7-8).
Le tribunal examina et accueillit partiellement les deux demandes en juin 2016, enjoignant provisoirement au père de verser à la mère la somme de six cents euros par mois et fixant provisoirement les modalités du droit de visite du père et des grands-parents paternels (§§ 12-13).
Plusieurs autres actions et demandes – dont on trouvera le détail aux §§ 15-29 de la décision ici commentée – furent ensuite introduites devant le tribunal par chacune des parties, la mère demandant l’augmentation de la contribution du père à l’entretien et l’éducation de l’enfant ainsi que la restriction de son droit de visite, le père demandant à l’inverse une diminution de sa contribution et un élargissement de ses droits.
Un arrêt sur le fond fixa en septembre 2018 les modalités du droit de visite et d’hébergement du père ainsi que le montant de la pension alimentaire qu’il allait devoir verser à la mère chaque mois (§§ 30-32), mais les deux parents en interjetèrent appel le mois suivant (§ 33).
L’Εφετείο Αθηνών (cour d’appel d’Athènes) révisa en mars 2019 le montant de la pension alimentaire que le père allait devoir verser chaque mois et entérina les modalités du droit de visite et d’hébergement établies par le tribunal de première instance (§ 34).
Le père se pourvut en cassation en juin 2019, en soutenant notamment qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de résider par alternance chez ses deux parents. L’Άρειος Πάγος (Cour suprême) a rendu son arrêt le mois dernier mais la Cour européenne des droits de l’homme n’en a pas eu connaissance (§§ 35-36).
Devant la Cour européenne des droits de l’homme
Le père et ses parents avaient introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme dès juillet 2016, invoquant les articles 6 (droit à un procès équitable) et 8 (droit au respect de la vie familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme, et se plaignant, en premier lieu, des retards dans la procédure et, en second lieu, du droit de visite de trois heures par semaine que les juridictions internes leur avaient provisoirement accordé, en l’attente de la décision sur le fond de septembre 2018.
Nous citons ci-dessous les passages nous paraissant les plus importants de l’arrêt rendu aujourd’hui par la Cour européenne des droits de l’homme :
« 70. La Cour observe que le premier requérant a introduit une demande visant à ordonner des mesures provisoires devant le tribunal le 18 décembre 2015, que par sa décision […] du 27 juin 2016, le tribunal a fixé provisoirement les modalités de contact avec l’enfant et que l’audience de l’affaire sur le fond a été fixée au 4 juin 2018, soit presque deux ans plus tard. Même si, à la suite de la demande en révision formée par le requérant de la décision […], le tribunal a fixé des contacts plus favorables, il n’en demeure pas moins que l’examen de l’affaire sur le fond est toujours pendant alors que la demande principale du requérant tendait, dès le début, à obtenir rapidement des contacts partagés à égalité avec la mère de l’enfant.
« 71. La Cour note que la procédure en cause a débuté le 18 décembre 2015 et que l’arrêt […] rendu le 11 août 2021 [par l’Άρειος Πάγος] n’a pas encore été mis au net. Elle a donc duré, à ce jour, plus de cinq ans et neuf mois pour quatre instances, y compris concernant la procédure relative aux mesures provisoires. La Cour observe que les arguments présentés par le Gouvernement ne peuvent pas expliquer un tel retard. Elle rappelle en outre qu’un retard dans la procédure risque toujours, en pareil cas, de trancher par un fait accompli le problème en litige. Eu égard à l’obligation positive de faire preuve de diligence exceptionnelle dans des affaires similaires, la Cour conclut que le laps de temps écoulé ne peut pas être considéré comme raisonnable.
« 72. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
« 73. La Cour observe que les [grand-parents paternels] n’ont pas introduit d’action principale contre [la mère de l’enfant] concernant leur droit de visite. Il s’ensuit que la période qui doit être pris en considération en l’espèce a débuté le 10 décembre 2015, date à laquelle les requérants susmentionnés ont introduit une demande visant à ordonner des mesures provisoires, et a pris fin le 27 juin 2016, date à laquelle la décision […] du tribunal, fixant provisoirement leur droit de visite, a été publiée. La procédure a alors duré moins de six mois en ce qui les concerne.
« 74. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure concernant la fixation des modalités de contact des requérants susmentionnés avec l’enfant n’était pas déraisonnable et que les autorités internes n’ont alors pas manqué à leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.
« 75. Dès lors, pour autant que cet aspect du grief concerne les [grand-parents paternels], il convient de le rejeter pour défaut manifeste de fondement […]. »
La Grèce doit verser au père 2 600 euros pour dommage moral, et 1 000 euros pour frais et dépens.
- Références
- Cour européenne des droits de l’homme
Première section
23 septembre 2021
Affaire Anagnostakis et autres c. Grèce (requête nº 46075/16)
Note
- Il semble que n’existe pas d’équivalent grec du site officiel français Légifrance, mais tous les textes législatifs peuvent être trouvés avec le moteur de recherche de la base de données de l’Εθνικό Τυπογραφείο (Imprimerie nationale) – rubrique « Αναζητήσεις ». Le texte original du code civil grec a été publié dans l’Εφημερίδα της Κυβερνήσεως nº 164Α du 24 octobre 1984.
Affaire communiquée archivée au format PDF (133 Ko, 2 p.).
Arrêt de l’Άρειος Πάγος archivé au format PDF (263 Ko, 23 p.).
Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme archivé au format PDF (229 Ko, 22 p.).
Communiqué de presse archivé au format PDF (144 Ko, 4 p.).
Mise à jour du 24 septembre 2021
- « Καμπάνα από το Ευρωπαϊκό Δικαστήριο: Καθυστέρησε 5 χρόνια και 9 μήνες η δικαστική απόφαση για επικοινωνία παιδιού με τον πατέρα του », Dikastiko, 24 septembre 2021.
Article archivé au format PDF (687 Ko, 6 p.).
Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.