Lors de son audience publique de ce 26 mai 2021, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.
Conjoint de chef d’entreprise et entraide familiale
En l’espèce, un contrôle avait été diligenté en octobre 2017 par les services de la police aux frontières et de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales au sein d’une boulangerie pâtisserie familiale. Ce contrôle avait notamment permis d’établir que l’épouse du gérant était employée dans la boulangerie en vertu d’un contrat de travail prévoyant trente heures hebdomadaires, au titre desquelles les cotisations sociales étaient acquittées, mais qu’elle travaillait en réalité huit heures par jour, de 6 heures à 14 heures du lundi au dimanche, soit cinquante-six heures par semaine. Renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé, le gérant avait été déclaré coupable, mais il avait relevé appel de cette décision.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence l’avait partiellement relaxé en juin 2020, après avoir relevé que sa salariée était aussi son épouse, de sorte que son intervention « au-delà des horaires stricts compris dans son contrat de travail » participait de « l’intérêt de la bonne marche d’une petite entreprise familiale » dans laquelle elle était également intéressée en sa qualité d’épouse « liée par une communauté de vie et d’intérêts avec le prévenu », et qu’en outre elle n’avait pas été payée pour ces interventions. L’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales avait alors formé un pourvoi en cassation.
L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la chambre criminelle de la Cour de cassation au visa de l’article L8221-5 du code du travail :
« 8. Il résulte de ce texte qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
« 9. Pour relaxer le prévenu du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, l’arrêt attaqué énonce notamment que si [l’épouse], ainsi qu’elle et son mari l’admettent, est intervenue au-delà des horaires contractuels, c’était en qualité d’épouse, liée par une communauté de vie et d’intérêt avec le prévenu, pour la bonne marche de l’entreprise familiale.
« 10. Les juges ajoutent que [l’épouse] n’a pas revendiqué d’être rémunérée pour ce temps de travail supplémentaire et ne l’a pas été, et que ces heures non payées ne sauraient ouvrir droit au versement de cotisations.
« 11. Ils concluent que, dans un tel contexte, il n’est pas établi que le prévenu se soit intentionnellement soustrait au versement des cotisations correspondantes.
« 12. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
« 13. En effet, le statut de salarié, en vertu d’un contrat de travail qui place l’intéressé dans un lien de subordination à l’égard de son employeur, exclut que puisse être reconnue la possibilité de poursuivre, au titre de l’entraide familiale et sans que soient établies les déclarations correspondantes aux organismes sociaux, la même activité au-delà des heures contractuellement dues, fût-ce de façon bénévole. »
Selon la lettre circulaire nº 2003-121 de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale en date du 24 juillet 2003, l’entraide familiale se caractérise par « une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte ». Elle suppose une indépendance et un rapport d’égalité incompatibles avec la subordination et le rapport hiérarchique institués par un contrat de travail. Le conjoint du chef d’entreprise y exerçant une activité professionnelle régulière doit donc choisir entre le statut d’associé, collaborateur ou salarié (cf. article L121-4 du code du commerce) et le chef d’entreprise doit déclarer cette activité, faute de quoi il se rendrait coupable de travail dissimulé. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans une autre affaire récente où l’épouse du dirigeant d’une agence d’écrivain public réalisait des traductions contre rémunération sans bénéficier d’aucune couverture sociale, son mari n’ayant jamais effectué de déclaration fiscale ou sociale (arrêt du 14 avril 2021, pourvoi nº 20-83021).
- Références
- Cour de cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 26 mai 2021
Nº de pourvoi : 20-85118
Arrêt archivé au format PDF (115 Ko, 3 p.).
Créance de la succession à l’encontre de l’époux survivant
En l’espèce, une femme mariée sous le régime de la séparation de biens avait procédé au financement, d’une part, d’un bien personnel de son mari et, d’autre part, d’un bien acquis en indivision avec lui. Des difficultés étaient survenues à son décès en 2007 pour le partage de la succession et des intérêts patrimoniaux des époux : ses trois enfants issus d’une précédente union avaient réclamé l’inscription au profit de la succession de créances à l’encontre de leur beau-père au titre de ces financements.
Considérant que ces créances n’étaient pas prescrites, la cour d’appel de Rennes avait déclaré leurs demandes recevables en mai 2019. S’agissant du financement du bien personnel au mari, elle avait appliqué les dispositions relatives aux dettes des copartageants dans le cadre d’un partage successoral pour en déduire que cette créance était insusceptible de prescription avant la clôture des opérations de partage. Elle avait également écarté la prescription pour l’achat du bien en indivision.
L’époux survivant avait alors formé un pourvoi en cassation. S’agissant du financement de son bien personnel, il soutenait que le règlement des créances entre époux séparés de biens ne constitue pas une opération de partage mais relève des règles propres aux régimes matrimoniaux (article 1543 et 1479 du code civil). S’agissant de l’achat du bien en indivision, il avait notamment argué que le financement d’un bien indivis avec des deniers personnels ouvre droit à une indemnité dont le paiement peut être poursuivi avant tout partage (articles 815-13 et 815-17 du code civil).
L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 5. Selon l’article 865 du code civil, sauf lorsqu’elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l’encontre de l’un des copartageants n’est pas exigible et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage.
« 6. Après avoir à bon droit énoncé que les créances de l’époux sur son conjoint constituent, au décès du premier, des dettes du second à l’égard de la succession, la cour d’appel, qui a retenu que la succession [de la défunte] disposait d’une créance à l’encontre de [son mari] au titre du financement d’une soulte, mise à la charge de celui-ci pour l’acquisition d’un immeuble qui lui était personnel, en a exactement déduit que cette créance n’était soumise à aucune prescription avant la clôture des opérations de partage de la succession.
[…]
« 10. D’une part, selon l’article 815-13 du code civil, un indivisaire peut prétendre à une indemnité à l’encontre de l’indivision évaluée selon les modalités qu’il prévoit lorsqu’il a, à ses frais, amélioré l’état d’un bien indivis ou fait de ses deniers personnels des dépenses nécessaires à la conservation de ce bien.
« 11. Ce texte ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition.
« 12. Il en résulte qu’un époux séparé de biens qui finance, par un apport de ses deniers personnels, la part de son conjoint dans l’acquisition d’un bien indivis peut invoquer à son encontre une créance évaluable selon les règles auxquelles renvoie l’article 1543 du code civil.
« 13. D’autre part, selon l’article 865 du code civil, sauf lorsqu’elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l’encontre de l’un des copartageants n’est pas exigible et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage.
« 14. Ayant retenu [que la défunte] avait financé, au moyen d’apports de deniers provenant de la vente d’immeubles personnels, la part de son époux dans l’acquisition d’un immeuble indivis entre eux, la cour d’appel en a justement déduit, d’une part, que sa succession disposait à ce titre d’une créance à l’encontre de [son mari], d’autre part, que cette créance n’étant pas relative à des droits dépendant de l’indivision successorale, elle n’était soumise à aucune prescription avant la clôture des opérations de partage de la succession. »
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 26 mai 2021
Nº de pourvoi : 19-21302
Arrêt archivé au format PDF (186 Ko, 6 p.).
Liquidation d’une créance entre époux née avant le mariage
En l’espèce, des concubins s’étaient mariés sans contrat préalable en 1991. Un jugement avait prononcé leur divorce en janvier 2000 et ordonné le partage de leurs intérêts patrimoniaux. Un notaire ayant dressé un procès-verbal de difficultés en avril 2008, un juge avait constaté la non-conciliation des parties et les avait renvoyées devant un tribunal qui avait statué sur les désaccords persistants en avril 2010. Les parties avaient fini par signer l’acte de partage établi par le notaire en septembre 2010. L’ex-mari avait par la suite assigné son ex-femme en octobre 2015 aux fins d’obtenir une indemnité sur le fondement de l’enrichissement sans cause, pour avoir financé avant le mariage la maison dont son ex-femme est seule propriétaire.
La cour d’appel de Toulouse avait déclaré sa demande irrecevable en août 2019, au motif qu’il avait agi postérieurement au jugement ayant statué sur les désaccords persistants et à l’acte de partage. L’ex-mari avait alors formé un pourvoi en cassation.
L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :
« 5. Lorsque la liquidation des intérêts pécuniaires d’époux a été ordonnée par une décision de divorce passée en force de chose jugée, la liquidation à laquelle il est procédé englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties, y compris les créances nées avant le mariage. Il appartient dès lors à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance contre son conjoint lors de l’établissement des comptes s’y rapportant.
« 6. Après avoir relevé que le jugement de divorce du 20 janvier 2000 avait fait application de l’article 264-1 du code civil, alors en vigueur, selon lequel, en prononçant le divorce, le juge aux affaires familiales ordonne la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux et énoncé, à bon droit, que la liquidation, à laquelle il est procédé à la suite du divorce, englobe tous les rapports pécuniaires existant entre les époux et qu’il appartient à celui qui se prétend créancier de son conjoint de faire valoir sa créance lors de l’établissement des opérations de comptes et liquidation, la cour d’appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par le moyen, que [l’ex-mari] n’était plus recevable à agir postérieurement au jugement du 6 avril 2010 et à l’acte de partage. »
En l’espèce, l’ex-mari avait aussi reproché à la cour d’appel de Toulouse d’avoir rejeté sa demande sans avoir vérifié le respect de la procédure prévue par les articles 1373 et 1374 du code de procédure civile, notamment l’application du principe de concentration des demandes, mais ces motifs n’ont pas été retenus par la Cour de cassation. Rappelons ici certaines règles du partage judiciaire : en cas de désaccord entre les copartageants, le notaire désigné par le tribunal « établit un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi qu’un projet d’état liquidatif » (article 1366 du code de procédure civile), qu’il transmet au juge commis, lequel, éventuellement après audition des intéressés et du notaire et tentative de conciliation, « fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants » (article 1373 du code de procédure civile). Ce rapport fixe le litige et « toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou révélé que postérieurement à l’établissement du rapport par le juge commis » (article 1374 du code de procédure civile ; voir aussi arrêt du 7 décembre 2016, pourvoi nº 15-27576, et arrêt du 1er juin 2017, pourvoi nº 16-19990).
Rappelons aussi que des époux peuvent devenir créanciers l’un de l’autre durant la communauté pour diverses raisons (faits générateurs de responsabilité civile, paiement par le patrimoine propre d’un époux d’une dette incombant à titre définitif à son conjoint, etc.), et que ces créances, exigibles dès avant la dissolution de la communauté, peuvent être réglées à tout moment durant le régime sans attendre sa liquidation. Lorsque la liquidation du régime matrimonial a été ordonnée par une décision passée en force de chose jugée, elle doit englober tous les rapports pécuniaires entre les époux (cf. article 267, alinéa 2, du code civil), y compris les créances entre eux (cf. arrêt du 11 décembre 2001, pourvoi nº 99-21851). Le juge doit alors intégrer aux opérations de liquidation la demande de recouvrement d’une créance formée par un époux à l’encontre de l’autre, y compris – comme le précise l’arrêt ici commenté – les créances nées avant le mariage (voir aussi l’arrêt du 30 janvier 2019, pourvoi nº 18-14150). Des époux peuvent faire valoir leurs créances jusqu’au prononcé définitif du divorce dans le cadre d’une instance autonome (cf. arrêt du 22 mai 2007, pourvoi nº 05-12017), mais toute action en recouvrement intentée après cette date dans le cadre d’une action distincte des opérations liquidatives du régime matrimonial est irrecevable (cf. arrêt du 23 novembre 2016, pourvoi nº 15-27497).
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 26 mai 2021
Nº de pourvoi : 19-23723
Arrêt archivé au format PDF (131 Ko, 4 p.).
Prestation compensatoire et revenus procurés par un bien indivis
En l’espèce, la cour d’appel de Rennes avait prononcé le divorce d’un couple et condamné l’ex-époux à payer à son ex-épouse la somme de 110 000 euros à titre de prestation compensatoire. L’ex-époux avait alors formé un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir pris en considération les loyers d’un immeuble indivis au titre de ses ressources.
L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 270 et 271 du code civil :
« 6. En prenant […] en considération, au titre des ressources de [l’ex-époux], les revenus procurés par un bien indivis, lesquels accroissent à l’indivision, pour apprécier la disparité créée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives des époux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
La Cour de cassation confirme ici sa jurisprudence (cf. arrêt du 11 octobre 2017, pourvoi nº 16-15612). Elle avait aussi déjà jugé que les revenus tirés d’un bien commun et perçus par un époux n’ont pas à être pris en compte puisqu’ils accroissent l’indivision postcommunautaire après la rupture du mariage (arrêt du 15 février 2012, pourvoi nº 10-20018).
- Références
- Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 26 mai 2021
Nº de pourvoi : 20-11855
Arrêt archivé au format PDF (150 Ko, 4 p.).
Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.