Siégeant à la Haute Cour d’Irlande, le juge John Jordan a rendu aujourd’hui une décision en matière de fausses allégations de violence sexuelle qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs – ce d’autant que le juge John Jordan peut difficilement être soupçonné de parti-pris « pro-père », lui qui avait jugé l’année dernière qu’un enfant peut être adopté sans que le père biologique soit consulté (voir notre revue de presse du 19 mai 2020)…
En l’espèce, un couple irlandais s’était rencontré en 2009 et marié l’année suivante. Trois enfants étaient nés de leur union. Les relations entre les parents commencèrent à se détériorer en 2017, sur fond de problèmes éducatifs et financiers dont on trouvera tous les détails dans la décision annexée au présent commentaire. La mère quitta le domicile conjugal avec les enfants deux jours avant Noël 2017, accusa son mari de viol à son égard ainsi que de violence à l’égard de l’aîné des enfants, et empêcha tout contact entre les enfants et leur père. Le père initia une procédure de séparation en avril 2018, à laquelle la mère répliqua en demandant une ordonnance de protection qui lui fut aussitôt accordée à titre temporaire, mais sans que le père en fût informé. De façon indépendante, une autre décision accorda au père un droit de visite à l’égard de ses enfants le mois suivant. Lorsque le père alla voir ses enfants peu après, la mère en tira prétexte pour porter plainte contre lui au motif qu’il avait violé l’ordonnance de protection – dont il ignorait l’existence et qui arrivait à terme quelques jours plus tard. Une procédure pénale fut aussitôt ouverte, qui valut au père un bref emprisonnement et des soucis professionnels. La mère continua par la suite de répandre ses allégations auprès de la police et de Tusla (l’équivalent irlandais de notre Aide sociale à l’enfance), tout en faisant fréquemment obstacle aux relations entre les enfants et leur père.
Toutes ces avanies compliquèrent et retardèrent considérablement la procédure initiale, qui visait simplement à obtenir une décision de séparation de corps et des mesures accessoires concernant les biens, les enfants et les finances du couple.
Le père avait déclaré :
« 66. […] The allegations that have been made are heinous, they go to the heart of my integrity as a man and as a father and as a [professional person] and whatever else you want to call me. They can’t be allowed to stand, they must be withdrawn and this has to stop. »
Il a enfin été entendu : le juge John Jordan a reconnu aujourd’hui que les allégations de la mère « are not credible and do not stand up to scrutiny » (§ 260) et que le père était fondé à s’en défendre :
« 287. […] The court accepts that the applicant really had no sensible alternative but to defend himself against the allegations and seek to have them dealt with. He was entitled to protect and defend his reputation and character when accused of acts of the utmost gravity. »
Quoique les allégations de la mère aient constitué une « gross misconduct » (§§ 297-298, 300, 302) et aient été mensongères (« not the truth », §§ 300, 316), le juge John Jordan a estimé qu’elles ne devaient pas influencer sa décision, notamment parce que le père ne cherchait pas à obtenir de réparation financière pour le tort subi. Le juge John Jordan a également estimé qu’il n’avait aucune raison de blâmer l’une ou l’autre des parties quant à l’échec de leur mariage (§ 302).
Au regard des enfants, le juge John Jordan a relevé que leurs parents étaient l’un et l’autre des « loving parents » (§ 308) et qu’il n’avait aucune raison de douter de leur capacité ni de leur volonté de s’occuper des enfants. Il a reconnu que le père n’avait violenté aucun des enfants et qu’il n’y avait pas de « child welfare concerns » (§ 309) à son sujet. Il s’est également déclaré convaincu que la mère avait – parfois délibérément – « frustrated » (§ 310) le père de ses enfants après avoir quitté le domicile familial avec eux et que ses allégations avaient probablement eu pour fin de pouvoir négocier les meilleures conditions de dissolution de la communauté conjugale :
« 316. […] The Court is satisfied that the allegations of rape and sexual assault are not the truth. Unfortunately, these allegations appear to the court to be an ill-considered attempt by the respondent to construct a particular narrative in the hope that doing so would gain traction and leverage and assist in negotiating or achieving the best terms of dissolution of the partnership. The respondent was wrong to make these allegations against the applicant and could not but have been aware of the gravity of the allegations she made and repeated. »
Après avoir pris diverses dispositions concernant les biens et les finances du couple (§§ 318-348), le juge John Jordan a statué sur la résidence des enfants, alternée au domicile des deux parents selon des modalités très détaillées et assez originales (§ 350), qu’on aimerait trouver dans des décisions françaises.
Convaincu que cette affaire avait été inutilement longue et « particularly bitter » (§ 382) en raison des fausses allégations de la mère, le juge John Jordan a enfin accordé au père la prise en charge de 60 % de ses frais de justice, correspondant à peu près au surcoût généré par les allégations mensongères (§ 387).
- Références
- High Court (Ireland)
Jugement [2021] IEHC 851 (B.P. v S.O.) du 18 février 2021
Jugement archivé au format PDF (679 Ko, 129 p.).
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