Revue de presse du 26 août 2020

Revue de presse








Véronique Pontzeele :






Mission relative à l’avenir de la profession d’avocatLe 9 mars dernier, l’ancienne ministre de la Justice Nicole Belloubet avait confié à l’un de ses prédécesseurs, Dominique Perben, devenu avocat, une mission sur l’avenir de la profession d’avocat, pour tenter notamment de renouer le dialogue avec les robes noires à la suite de leur grève massive depuis la fin de l’année dernière contre la réforme de leur régime de retraite. L’objectif du groupe de travail constitué était de faire « émerger les voies [permettant] de garantir aux avocats […] leur indépendance, leur liberté d’exercice, leur autonomie de fonctionnement, la viabilité de toutes les structures et cadres d’exercice, individuel ou en association, pour tous les types de conseil et le contentieux ». Les neuf membres de la mission ont auditionné vingt-sept organisations et personnes pour mener à bien leur travail, dont le rapport a été officiellement remis aujourd’hui au nouveau garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.

Venant s’ajouter aux précédents travaux ayant traité directement ou indirectement du même sujet (Rapport sur les professions du droit de Jean-Michel Darrois en 2009, L’avenir de la profession d’avocat de Kami Haeri en 2017, Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale de Raphaël Gauvain en 2019…), et restés sans suite, le présent rapport formule treize propositions – dont la plupart avaient déjà été émises par le Conseil national des barreaux. Nous en présenterons plus loin quelques-unes.

Au-delà de son intérêt direct pour les professionnels, nous recommandons la lecture de ce document (relativement bref : une petite quarantaine de pages) aux justiciables qui pourront y trouver des analyses et informations très pertinentes, dont les longues citations infra donneront un avant-goût.

Le rapport reconnaît d’abord que les avocats traversent actuellement une crise particulière en raison de la grève et de la crise sanitaire, mais rappelle aussi que leurs difficultés sont « beaucoup plus anciennes », profondes et structurelles (pp. 9-11) :

« Comme le faisait observer la mission Kami Haeri dans son rapport de février 2017 sur “L’avenir de la profession d’avocat”, ce sentiment de crise n’est pas confirmé par les chiffres. Les statistiques globales de la profession permettent au contraire de dresser le tableau d’une profession globalement dynamique et attractive. Une profession jeune (75 % de ses membres ont moins de 50 ans), qui est désormais majoritairement féminine et dont les effectifs ont doublé en vingt ans. Ce développement démographique remarquable ne s’est nullement traduit par un recul de la prospérité (relative) des avocats. Dans le même temps que la profession d’avocat doublait ses effectifs, elle triplait son chiffre d’affaires, ce qui confirme que dans le domaine des services juridiques, le développement de l’offre engendre sa propre demande.

« C’est seulement si l’on rentre dans le détail des chiffres que les difficultés apparaissent. Ils révèlent l’hétérogénéité d’une profession au sein de laquelle existent des disparités considérables de revenus.

« Le rapport d’activité 2017 de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) indique que […] “63 % de la population déclare 25 % du revenu global” et “3,2 % de la population déclare à elle seule 25 % des revenus de la profession.”

« Ces disparités jouent notamment au détriment des collaborateurs, des femmes, des avocats de province, des avocats exerçant à titre individuel et des activités judiciaires.

« La crise concerne donc ceux des avocats qui cumulent plusieurs de ces facteurs, comme l’avocat exerçant à titre individuel, dans le domaine judiciaire et notamment celui de l’aide juridictionnelle, dans une zone défavorisée.

« Démographiquement, les catégories fragiles pèsent lourd dans les statistiques de la profession. Elles correspondent peu ou prou à un “barreau judiciaire traditionnel”. Ce barreau est aussi très investi dans le fonctionnement des institutions de la profession, au sein desquelles il joue un rôle considérable dans les choix stratégiques de celle-ci.

« En 2009, le “Rapport sur les professions du droit” (rapport Darrois) soulignait ainsi que l’attachement des professions du droit, et notamment des avocats français, à la conception traditionnelle des missions du droit les avait conduites à ne pas suffisamment investir l’idée d’un marché du droit.

[…]

« La conviction que le droit n’est pas une simple marchandise n’impose pas obligatoirement d’ignorer les règles du marché […].

« La stratégie professionnelle de la grande profession du droit […] avait pour avantage de permettre l’intégration des conseils juridiques et d’autres professions […]. Ces absorptions et fusions successives ont donc permis de faire l’économie d’une remise en cause des modes d’exercice traditionnels […].

« Cette stratégie […] a pris fin au cours de la dernière décennie. Elle reste aujourd’hui sur une série d’échecs : l’échec de la fusion avec les conseils en propriété intellectuelle, l’échec de la fusion avec les notaires, et le refus de la fusion avec les juristes d’entreprise.

« Il n’est finalement pas étonnant que l’épuisement d’une stratégie poursuivie depuis la fin des années 1960 coïncide avec la multiplication des interrogations sur l’avenir de la profession et la difficulté d’entreprendre des réformes.

« Le rapport “L’avenir de la profession d’avocat” met en évidence un des effets majeurs du refus du marché : une incapacité récurrente à s’imposer sur les champs nouveaux d’activités. »

Le rapport met également en évidence « des causes exogènes à la crise que traverse la profession d’avocat » ainsi que l’inadéquation entre la demande des justiciables et l’offre des robes noires (pp. 11-12) :

« Le développement de l’activité judiciaire ne dépend pas exclusivement des avocats. La demande de justice est certainement illimitée, mais un système judiciaire a toujours une capacité d’accueil limitée. Les principaux obstacles à l’accès à la justice sont la longueur de la file d’attente, la complexité du processus et son coût. Les avocats n’ont d’influence que sur le troisième facteur. Le système judiciaire français traverse lui-même une crise profonde et souffre des moyens très limités qui lui sont alloués.

« Le dispositif de l’aide juridictionnelle, qui est supposé assurer l’accès à la justice des plus démunis, souffre d’un sous-financement chronique. “Le budget consacré à l’aide judiciaire place la France en dessous de la moyenne des pays européens” relèvent M. Philippe Gosselin et Mme Naïma Moutchou, dans leur rapport d’information sur l’aide juridictionnelle. La France, avec un budget de 5,06 € par habitant consacré à l’aide juridictionnelle, se situe en dessous de la moyenne des pays européens.

« Les conséquences de ce sous-financement sont supportées aujourd’hui par cette même composante judiciaire de la profession d’avocat. Le nombre des missions est considérable (824 934). Elles sont réalisées à perte puisque le tarif de la rétribution horaire (Une UV = ½ heure = 32 €) de 64 € est très inférieur aux charges ordinaires des cabinets.

« Ne s’intéresser qu’à ces facteurs serait cependant oublier l’importance de la problématique de l’offre proposée par les avocats.

« En effet, les difficultés économiques rencontrées par la profession d’avocat en France ne peuvent pas être attribués à une demande de droit insuffisante. La place du droit comme mode de régulation des rapports sociaux se développe mécaniquement au fur et à mesure que les sociétés se complexifient. En outre, dans les démocraties libérales, la tendance est d’attribuer aux individus des droits de plus en plus nombreux, tout en leur confiant la tâche d’en réclamer le bénéfice ou de les faire respecter.

« Les études sur la distribution des services juridiques sont unanimes. Le marché des services juridiques est un marché sur lequel la demande est en accroissement constant. En France comme ailleurs a été mise en évidence l’existence d’un marché juridique latent, c’est-à-dire d’une demande non exprimée, non satisfaite.

« Les questions financières peuvent clairement constituer des obstacles à l’accès au droit et donc un frein à l’expression de la demande. Cependant, la première explication à l’existence d’une demande latente réside probablement dans la difficulté des non-juristes à identifier la nature juridique des problèmes qu’ils rencontrent. La dernière étude du World Justice Project confirme que, comme dans beaucoup d’autres pays (mais davantage que dans un certain nombre de nos voisins européens), en France, tous les problèmes juridiques ne trouvent pas une solution et aussi que le recours à un avocat pour les régler n’est nullement un réflexe majoritaire.

« Par rapport à tous les autres grands pays européens, la France est ainsi celui dans lequel le nombre de personnes qui déclarent savoir auprès de qui trouver une aide est le plus faible. Les deux autres chiffres significatifs de l’étude sont les suivants :

  • 34 % seulement des personnes qui ont identifié être confrontées à un problème juridique ont recouru à une aide extérieure pour le régler (comme d’autres études le montrent, un grand nombre de personnes n’imaginent même pas qu’un problème juridique puisse être résolu grâce à une aide extérieure) ;
  • Parmi eux, 36 % seulement ont recouru à un avocat.

« En clair, 10 % seulement des personnes confrontées à un problème juridique se sont adressées à un avocat pour le résoudre.

« Les médias promeuvent les aspects criminels, les pouvoirs publics ne se préoccupent pas d’éduquer, dès le lycée, nos concitoyens afin de comprendre ce qu’est une règle de droit, créatrice de droit et des devoirs.

« Cette démarche relève pourtant de la prévention autant en matière contractuelle que délictuelle avec des conséquences dans le domaine judiciaire et l’économie du droit.

« La crise de la profession d’avocat est donc aussi – et peut-être même avant tout – une crise de l’offre. Le succès […] de la legaltech en a apporté l’irréfutable démonstration.

« Sur le registre de l’offre, on doit admettre que les consommateurs contemporains ne sont pas seulement à la recherche d’un produit ou d’un service. Le fait que la prestation ou le produit soit de qualité est le minimum attendu. La leçon que les consommateurs ont retirée de Netflix, Airbnb et Uber, c’est que l’on peut obtenir un bon service, mais aussi vivre une expérience de consommation satisfaisante. Or il n’y a aucune raison qu’ils se comportent différemment et attendent moins lorsqu’ils se rendent dans un cabinet d’avocat […].

« Les cabinets d’avocats fournissent des prestations juridiques, mais ils font aussi vivre à leurs clients une “expérience”, en les aidant à faire face à des situations souvent stressantes. Les clients sont d’autant plus sensibles aux interactions avec leur avocat qu’ils sont pour la plupart dans l’incapacité de juger de la qualité intrinsèque de la prestation, ex-ante et même ex-post (les économistes parlent à ce propos de biens de confiance). Ils forgent leur jugement sur une vue d’ensemble qui englobe toutes les dimensions de la prestation. Ils jugent la manière dont ils sont reçus et traités, la clarté des explications et de la correspondance, la cohérence de la facturation. Même le meilleur avocat, le plus dévoué, le plus humaniste, s’il néglige ces aspects, sera jugé négativement. Ce n’est pas parce que le droit n’est pas une marchandise qu’il faut renoncer à comprendre le client et les ressorts de son comportement. »

Pour améliorer la situation économique des avocats (mais pas celle des justiciables…), le rapport propose d’abord de revaloriser le barème de l’aide juridictionnelle (pp. 16-18). Postulant que l’État serait « aujourd’hui prêt à réaliser un effort budgétaire significatif, qui ne saurait être inférieur à 100 M € », le rapport préconise de fixer le montant de l’unité de valeur à 40 euros (au lieu des 32 euros actuels) et de réviser plusieurs éléments du barème : revalorisation de l’assistance éducative (18 unités de valeur au lieu des 16 actuelles), rééquilibrage des rétributions prévues pour l’avocat de la victime par rapport à l’avocat du prévenu, revalorisation des mesures de médiation ordonnées par le juge (8 unités de valeur au lieu des 4 actuelles), création d’une rétribution pour la procédure participative de mise en état et prise en compte des frais de déplacements des avocats. La revalorisation de l’unité de valeur pourrait être financée par la réintroduction d’un timbre fiscal de 50 euros pour les contentieux administratifs, civils, commerciaux et familiaux d’un montant supérieur à 5 000 euros (comme l’avait déjà proposé l’année dernière le rapport des députés Philippe Gosselin et Naïma Moutchou) et le reversement intégral du produit de la taxe sur les contrats de protection juridique. Le rapport préconise également que les barreaux et les tribunaux signent des protocoles pour favoriser la création de « cliniques du droit », censées « assurer la qualité de la défense des bénéficiaires de l’aide juridique » en mettant à la disposition des avocats intervenant dans ce cadre « des moyens de toutes sortes, leur permettant de réaliser leur mission dans de meilleures conditions ».

Toujours afin d’améliorer la trésorerie des avocats, le rapport reprend ensuite deux résolutions votées le 3 avril dernier lors de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux : d’une part, faciliter le recouvrement des honoraires des avocats en permettant au bâtonnier d’ordonner l’exécution provisoire de ses ordonnances de taxation (p. 19), ce qui permettrait de raccourcir les actuels délais d’exécution – trop longs – de ces décisions (vingt-huit mois en moyenne devant la cour d’appel de Paris) qui « obèrent les trésoreries des cabinets » ; d’autre part, conférer la force exécutoire aux actes contresignés par avocats dans le cadre des modes amiables de règlement des différends, lorsqu’ils constatent l’accord réalisé entre les parties (p. 29). Le Conseil supérieur du notariat a immédiatement réagi à cette dernière proposition en diffusant un communiqué, affirmant notamment :

« Attribuer à l’acte d’avocat la force exécutoire serait contraire à la constitution. L’avocat, compte tenu de son indépendance, n’est pas et ne saura jamais être dépositaire de l’autorité de l’État. »

Le rapport propose également de réformer l’article 700 du code de procédure civile (pp. 20-21). Le juge doit statuer en équité – on est prié de ne pas rire – mais il est rare qu’il dispose des élément « pour arbitrer le montant de l’indemnité allouée », notamment parce que « de nombreux avocats ne souhaitent pas communiquer le montant des honoraires qu’ils facturent », de sorte qu’« il est dès lors rare que les décisions rendues sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile couvrent l’ensemble des frais exposés par la partie gagnante au titre de ses frais d’avocat ». La nouvelle rédaction suggérée de l’article 700 du code de procédure civile indique expressément que « le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’elle a exposée au titre de sa défense, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur présentation des factures ».

Le rapport ne pouvait évidemment échapper au lieu commun obligatoire qu’est l’égalité entre les femmes et les hommes (pp. 24-25). Relevant qu’elle « fait désormais partie des principes essentiels de la profession », le rapport constate cependant que « 77,1 % des avocats se situant dans la tranche de revenus annuels la plus élevée […] sont des hommes », notamment parce que « les femmes exercent majoritairement dans des domaines du droit peu rémunérateurs » : « droit de la famille (66,6 % contre 33,4 % pour les hommes), droit du travail et de la protection sociale (57,4 % contre 42,6 [%] des hommes) ». Le rapport recommande donc aux barreaux de mettre en place « des outils d’observation des pratiques des cabinets, permettant la tenue de statistiques nationales » et d’« introduire dans leurs règlements intérieurs des dispositions garantissant la poursuite des actions dans la durée ».

Le rapport formule en outre une recommandation, d’ailleurs inattendue, sur la réforme de la procédure d’appel (p. 26). Contrairement à l’effet escompté, le décret nº 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile et le décret nº 2012-634 du 3 mai 2012 relatif à la fusion des professions d’avocat et d’avoué près les cours d’appel ont eu pour conséquence de rallonger les délais d’appel :

« La durée moyenne de cette procédure a augmenté de deux mois entre 2009 et 2018. Si dix cours d’appel sur trente-six ont enregistré une diminution de la durée de ces procédures, les vingt-six autres ont connu une augmentation de cette durée. »

La responsabilité des avocats étant de plus en plus souvent engagée lorsqu’ils ne respectent pas les délais prévus par la procédure, le rapport recommande « d’allonger les délais sanctionnés à peine de caducité et d’irrecevabilité en appel, dans l’attente d’une réforme de plus grande ampleur de la procédure d’appel ».


  • Philip (Bruno), « Le combat pour la liberté d’avorter », Le Monde, nº 23524, 27 août 2020, p. 5.

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