Révision d’une rente de prestation compensatoire en cas de circonstances nouvelles

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 29 mai 2019, la Cour de cassation a rendu un arrêt en matière de révision de prestation compensatoire qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs car, outre son objet propre, il éclaire très bien la notion d’autorité de la chose jugée.

En l’espèce, un jugement de divorce rendu en 1998 par la cour d’appel de Poitiers avait condamné un ex-époux à payer une prestation compensatoire sous la forme d’une rente viagère. Le débirentier en avait par la suite sollicité la révision, invoquant l’avantage manifestement excessif procuré à son ex-épouse par le maintien de cette rente, au regard de son âge et de son état de santé (cf. article 33 VI de la loi nº 2004-439 du 26 mai 2004), mais sa demande avait été rejetée par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nantes en 2008.

L’ex-époux avait de nouveau saisi le juge aux affaires familiales en 2015, en demandant cette fois la suppression de la rente, pour le même motif, invoquant en outre à l’appui de sa demande la durée du versement et le montant déjà versé (cf. article 33 VI de la loi nº 2004-439 du 26 mai 2004 dans sa rédaction issue de la loi nº 2015-177 du 16 février 2015), mais la cour d’appel de Rennes avait déclaré la demande irrecevable l’année dernière, au motif suivant :

« Le jugement du 6 novembre 2008 a été rendu au visa de l’article 33 VI de la loi nº 2004-439 du 26 mai 2004 dans sa version initiale faisant référence aux critères de l’âge et de l’état de santé du créancier pour apprécier le caractère manifestement excessif de l’avantage ; […] l’introduction par une loi postérieure à la décision de critères tenant à la durée du versement de la rente et au montant déjà versé ne permet pas de s’opposer au principe de l’autorité de la chose jugée. »

L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa notamment de l’article 1355 du code civil, lequel définit les conditions de l’autorité de la chose jugée :

« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

La Cour de cassation a déjà reconnu qu’un nouveau droit, « né après la décision rendue à l’issue de l’instance initiale » (arrêt du 10 juin 2010, pourvoi nº 09-67172), permet d’échapper à l’autorité de la chose jugée. La cour d’appel de Rennes avait cependant considéré que la modification législative issue de la loi nº 2015-177 du 16 février 2015 n’avait pas réellement créé un nouveau droit : elle avait seulement explicité deux critères d’appréciation de l’« avantage manifestement excessif » du créancier – la durée du versement de la rente et le montant déjà versé – ouvrant droit à une demande de révision, de suppression ou de suspension d’une rente [1].

En l’espèce, la Cour de cassation a rappelé que « des circonstances de fait nouvelles » permettent aussi d’échapper à l’autorité de la chose jugée. Dans son pourvoi, le débirentier faisait d’ailleurs état de la jurisprudence selon laquelle « l’autorité de chose jugée ne peut être opposée à une partie lorsque des événements factuels postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice [2] ». La cour d’appel de Rennes aurait donc dû rechercher si la durée et le montant des versements effectués entre le jugement de 2008 et la saisine de 2015 ne constituaient pas des faits nouveaux :

« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si [le demandeur] n’invoquait pas des circonstances de fait nouvelles résultant notamment de la durée du versement de la rente depuis le jugement du 6 novembre 2008 et du montant déjà versé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 29 mai 2019
Nº de pourvoi : 18-17377
Notes
  1. La jurisprudence avait déjà admis qu’il pouvait être tenu compte de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé (arrêt du 11 mars 2009, pourvoi nº 08-11211).
  2. Cf. arrêt du 3 juin 2004, pourvoi nº 03-14204 ; arrêt du 16 avril 2015, pourvoi nº 14-13280.

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