La cour d’appel de Paris approuve la promotion de l’adultère

Palais de justice de Paris (© Tristan Nitot)

La Confédération nationale des associations familiales catholiques a perdu aujourd’hui la seconde manche du combat judiciaire qu’elle a engagé en 2015 contre la société américaine Blackdivine, éditrice du site Gleeden (voir notre chronique du 9 février 2017, dont nous reprenons ici l’essentiel). Créé en décembre 2009, ce site « pensé par des femmes » est spécialisé dans les rencontres extra-conjugales.

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Contestant à ce site le droit de pratiquer ce type d’activités et de publicité, et se prévalant de l’intérêt des conjoints bafoués, la Confédération nationale des associations familiales catholiques avait fait assigner la société Blackdivine devant le tribunal de grande instance de Paris en janvier 2015, afin notamment de voir juger nuls les contrats conclus entre la société et les utilisateurs du site Gleeden au motif qu’il étaient fondés sur une cause illicite, voir ordonner sous astreinte à la société de cesser de faire référence à l’infidélité dans le cadre de ses publicités, et voir condamner la société à lui payer des dommages-intérêts ainsi que les dépens (article 700 du code de procédure civile).

Représentant la société Blackdivine, la célèbre avocate Caroline Mécary avait contesté la recevabilité de l’action de la Confédération nationale des associations familiales catholiques et son raisonnement avait été retenu par le tribunal de grande instance de Paris :

« L’obligation de fidélité relève d’un ordre public de protection et non d’un ordre public de direction dès lors que la violation de cette obligation peut ne pas être retenue comme une faute, cause de divorce soit par exemple parce que les époux se sont déliés d’un commun accord de cette obligation, soit parce que l’infidélité d’un époux peut être excusée par le comportement de l’autre, autant de dérogations qui caractérisent que cette obligation de fidélité prévue à l’article 212 du code civil relève de l’ordre public de protection dont ne peuvent se prévaloir que les époux et non de l’ordre public de direction qui lui, ne supporte aucune dérogation. »

Par ailleurs, la campagne publicitaire du site Gleeden diffusée en affichage avait été validée par le Jury de déontologie publicitaire dans une décision publiée en décembre 2013, où il était notamment dit :

« Ces publicités ne proposent aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni d’incitation au mensonge ou à la duplicité [sic !] contrairement à ce que soutiennent les plaignants, mais utilisent des évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens qui suggèrent la possibilité d’utiliser le service offert par le site, tout un chacun étant libre de se sentir concerné ou pas par cette proposition commerciale. Par ailleurs, les slogans ainsi libellés avec ambiguïté ne peuvent être compris avant un certain âge de maturité enfantine ; ils n’utilisent aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants. »

La Confédération nationale des associations familiales catholiques avait contesté la portée de cette décision au motif qu’elle émanait d’une autorité administrative et non d’une autorité judiciaire, mais le tribunal de grande instance de Paris l’avait retenue :

« La nature de ce Jury de déontologie publicitaire, décrié par la demanderesse, ne prive pas ses avis d’autorité dès lors que ceux-ci peuvent donner lieu à des sanctions pouvant aller jusqu’à une demande de cessation immédiate de diffusion d’un message publicitaire. »

La référence à l’infidélité ne constituant pas un agissement illicite contraire à l’ordre public, les conditions d’application de l’article L421-6 du code de la consommation alors en vigueur – définissant la compétence des associations pour agir en justice – n’étaient pas réunies. Déboutée de toutes ses demandes pour défaut d’intérêt et de qualité à agir, la Confédération nationale des associations familiales catholiques avait alors interjeté appel.

Ayant invoqué devant la cour d’appel de Paris l’illicéité du courtage adultérin et de la publicité sur le sujet, ainsi que son caractère choquant pour les convictions philosophiques, politiques ou religieuses des téléspectateurs, la Confédération nationale des associations familiales catholiques a de nouveau été déboutée de l’ensemble de ses demandes aujourd’hui. Bien qu’ayant reconnu la recevabilité de l’action, la cour d’appel de Paris a confirmé la décision de première instance pour le reste. Voici l’essentiel de son argumentation :

« Considérant que la CNAFC soutient en premier lieu que le recours au courtage adultérin est illicite en application de l’article 212 du code civil qui dispose “les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance”, au motif que l’adultère est une faute civile comme l’ont jugé de nombreuses décisions de Cour d’appel [1], le seul fait pour un homme marié ou une femme mariée de s’inscrire sur un site de rencontres constituant un manquement grave et renouvelé aux obligations du mariage justifiant l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1382 du code civil, que l’objet même de l’activité de BlackDivine par son site Gleeden.com et la cause des contrats passés avec les utilisateurs est d’inciter à la violation d’une obligation légale (excluant les adultères consentis) en proposant même des astuces pour dissimuler les adultères et en donnant des moyens de “tromper” son conjoint (Le Figaro 8 septembre 2014) ;

« Mais considérant que si l’adultère constitue une faute civile au visa de l’article 212 du code civil, il n’en demeure pas moins que cette faute ne peut être invoquée que par un des époux contre l’autre dans le cadre d’une procédure de divorce, que l’obligation de fidélité qui est une obligation du mariage n’est pas une obligation relevant de l’ordre public de direction qui ne supporte aucune dérogation car il peut souffrir certaines exceptions (consentement mutuel des époux, excusée par l’infidélité de l’autre époux etc.), que c’est à juste titre que les premiers juges ont jugé qu’elle relevait d’un ordre public de protection dont ne peuvent se prévaloir que les époux, que la CNAFC ne peut donc se prévaloir de la violation du devoir de fidélité qui serait promue par le site Gleeden pour faire cesser toute communication commerciale par le biais de ce site de la société BlackDivine, que le jugement de première instance sera confirmé de chef ;

« Considérant qu’en deuxième lieu, la CNAFC soutient que la publicité effectuée par BlackDivine de son activité sur son site et sur son blog est illicite car elle viole les règles inhérentes à la publicité elle-même, le site web étant un support publicitaire, telles que celles édictées par les articles 1 et 4 du code ICC (code consolidé de la chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciales) qui disposent : “Toute communication de marketing doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique. Toute communication de marketing doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle et doit être conforme aux principes de la concurrence loyale telle qu’ils sont généralement admis dans les relations commerciales. Aucune communication ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter au marketing.” et “la communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux” en faisant la promotion ou en semblant le faire, d’un comportement illicite et antisocial, la liberté d’expression et la liberté du commerce et de l’industrie ne pouvant faire obstacle aux dispositions spéciales invoquées, la décision rendue par le jury de déontologie publicitaire le 6 décembre 2013 qui n’est pas une juridiction n’étant pas pertinente et la Convention européenne des droits de l’homme prévoyant la possibilité de dérogation dans son article 10 alinéa 2, mais considérant [que] la CNAFC ne démontre pas en quoi l’infidélité, qui n’est pas un agissement illicite, comme il a été dit auparavant, dont la publicité de Gleeden ferait la promotion, constituerait un comportement violent, illicite ou antisocial, que cette publicité a été validée par le jury de déontologie publicitaire dans sa décision du 6 décembre 2013 qui a considéré : “ces publicités ne proposent aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni d’incitation au mensonge ou à la duplicité contrairement à ce que soutiennent les plaignants mais utilisent des évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens qui suggèrent la possibilité d’utiliser le service offert par le site Gleeden, tout un chacun étant libre de se sentir concerné ou pas par cette proposition commerciale. Par ailleurs les slogans ainsi libellés avec ambiguïté ne peuvent être compris avant un certain âge de maturité enfantine. Ils n’utilisent aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants”, que si cette décision n’émane pas d’une autorité judiciaire mais administrative, il n’en demeure pas moins que cet avis peut donner lieu à des sanctions, qu’il convient donc de rejeter ce chef de demande ;

« Considérant qu’en troisième lieu, la CNAFC soutient que la communication de BlackDivine viole les dispositions du décret du 27 mars 1992 dont l’article 5 qui dispose : “La publicité ne doit contenir aucun élément de nature à choquer les convictions religieuses, philosophiques ou politiques des téléspectateurs” car elle est de nature à choquer à la fois les convictions religieuses, philosophiques ou politiques des téléspectateurs en mettant en cause un pilier fondateur de l’union et en faisant la promotion de l’adultère, du non-respect de la parole donnée, de la tromperie, de la duplicité et du mépris de l’autre et en faisant référence explicite aux liens du mariage “Gleeden, le site de rencontre extra-conjugale pensé par des femmes”,

« Considérant que la société BlackDivine soutient que le moyen fondé sur l’article 5 du décret du 27 mars 1992 qui vise la publicité télévisuelle est une demande nouvelle qui doit être déclarée irrecevable en application de l’article 564 du code de procédure civile, mais considérant que l’invocation dudit article constitue un moyen nouveau et non une demande nouvelle non prohibée à hauteur d’appel, alors que la CNAFC sollicitait déjà devant les premiers juges d’ordonner à BlackDivine de [cesser de] faire référence de quelque manière que ce soit, directe ou indirecte, à l’infidélité dans le cadre de ses publicités, sur quelque support que ce soit et, notamment, sur toute campagne d’affichage, que cette demande est donc recevable ;

« Considérant qu’il ne peut être contesté par la société BlackDivine qu’elle a communiqué à partir d’avril 2017 par le biais de la télévision […], mais considérant que l’article 2 [sic, lire 1] du décret du 27 mars 1992 visé par l’appelante précise que ce texte ne s’applique qu’aux éditeurs de services de télévision, ce que la société BlackDivine n’est pas, que la CNAFC ne peut donc l’évoquer, que sa demande doit donc être déboutée, qu’en outre, sur le fond, si cette publicité vante “l’amanturière” “la femme mariée s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion”, ou se termine par le message “Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensée par des femmes”, en application de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose : “Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière”, et même si ce message publicitaire (communication commerciale) qui fait partie du champ d’application de la protection accordée par l’article 10 paragraphe 1 de la ladite convention, s’adresse aux femmes mariées et promeut des rencontres extra-conjugales et pourrait choquer les convictions religieuses de certains spectateurs en faisant la promotion de l’adultère au sein de couples mariés, il n’en demeure pas moins que l’interdire serait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression qui occupe une place éminente dans une société démocratique, qu’en conséquence, il convient de rejeter la demande de la CNAFC. »

L’affirmation selon laquelle l’obligation de fidélité relève simplement de l’ordre public de protection, de sorte que seuls les époux pourraient l’invoquer, est pour le moins discutable. L’obligation de fidélité protège certes les époux, mais aussi la société toute entière, en tant qu’elle est fondée sur le mariage monogame. Quoi qu’il en soit, l’affaire aura peut-être une suite puisque la Confédération nationale des associations familiales catholiques a laissé entendre dans un communiqué publié aujourd’hui qu’elle pourrait former un pourvoi en cassation.

Références
Cour d’appel de Paris
Pôle 5, chambre 11
Arrêt du 17 mai 2019
Nº RG : 17/04642
Note
  1. Voir par exemple : arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 décembre 2007 (nº RG 07/03365) ; arrêt de la cour d’appel de Lyon du 7 février 2011 (nº RG 09/06238). Voir aussi : arrêt de la Cour de cassation (Chambre civile 1) du 30 avril 2014 (pourvoi nº 13-16649) ; arrêt de la Cour de cassation (Chambre civile 1) du 11 avril 2018 (pourvoi nº 17-17575).

Pro memoria :

Être fidèle à deux hommes

Mise à jour du 16 décembre 2020

La Cour de cassation a confirmé aujourd’hui l’arrêt d’appel (voir notre chronique du jour).

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