Trois sujets nous intéressant ont été abordés à l’Assemblée nationale au cours de la séance des questions au Gouvernement de ce jour : la protection des enfants lors des séparations conjugales, les pensions alimentaires impayées et le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’adoption en Seine-Maritime.
Protection des enfants lors des séparations conjugales
M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello.
Mme Huguette Bello. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, qui n’est point là.
Il y a dix jours, à La Réunion, dans un contexte de rupture conjugale, trois jeunes enfants, trois frères, ont été assassinés par leur père [1]. Leur sœur aînée, âgée d’à peine 10 ans, est la seule rescapée de la fratrie parce qu’elle a réussi à s’enfuir. Ce triple infanticide, qui a ému toute La Réunion, rappelle à quel point le moment de la séparation est une période à très haut risque.
Ce drame nous alerte aussi sur l’urgence à protéger les enfants dans ces phases de grande tension. Certes, l’ordonnance de protection les concerne également quand les violences conjugales sont avérées. Mais, outre que les demandes n’aboutissent pas toujours, et pas toujours assez vite, dans les faits, les enfants sont encore trop rarement entendus. Leur parole et toutes les formes d’expression adaptées à leur jeune âge ne sont pas suffisamment prises en compte. (Mme Maud Petit applaudit.) La corrélation entre l’âge et la capacité de discernement est toujours très forte, en dépit d’un arrêt de la Cour de cassation de 2015.
Cette pratique a une justification : l’intérêt du mineur. Mais cette notion, désormais au fondement du droit de la famille, n’est pas définie précisément par les textes. « Notion magique » selon le doyen Carbonnier, « concept mou » pour Robert Badinter, l’intérêt du mineur est apprécié de manière fort variable.
C’est pourquoi, au nom même de l’intérêt des enfants, il paraît nécessaire de ne plus se référer seulement à leur âge pour apprécier leur capacité de discernement, et de rendre obligatoire l’audition du mineur dans toute procédure le concernant, y compris en recourant à des évaluations psychologiques.
Madame la ministre, êtes-vous favorable à ces transformations, de telle sorte que les enfants ne soient plus les otages des conflits familiaux et, pire, qu’ils ne paient plus de leur vie les séparations conflictuelles de leurs parents ? (Applaudissements sur divers bancs.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la députée, permettez-moi de répondre au nom de Mme la garde des sceaux, retenue par ailleurs, et qui vous prie d’excuser son absence.
Ce triple infanticide a ému non seulement la communauté réunionnaise, mais l’ensemble de la communauté nationale. Il renvoie à ce qui est la réalité dans notre pays, aujourd’hui, où, tous les cinq jours, un enfant meurt sous les coups d’un membre de sa famille.
Le nombre de ces morts, au sein du cercle familial, ne diminue pas ces dernières années. Vous le savez, c’est dans les premières années de leur vie que les enfants sont les plus exposés à la violence intrafamiliale. C’est pourquoi le premier axe de la stratégie de protection de l’enfance, que nous avons lancée la semaine dernière, concerne l’accompagnement à la parentalité ainsi que la lutte contre toutes les violences faites aux enfants. Des mesures seront annoncées dans les semaines à venir.
D’ici là, sachez qu’une mission tripartite entre le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la justice, portant sur les morts violentes d’enfants au sein des familles, a effectué cette année un travail d’analyse. Ce dernier est un préalable indispensable à des propositions d’amélioration du fonctionnement de nos services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires, qui concourent tous, de manière coordonnée, à la protection de nos enfants. La coordination, c’est bien le maître-mot entre les services, de même que la perception de signaux souvent faibles, dont l’addition doit constituer un signal d’alerte et de mobilisation pour l’ensemble des services.
La mission a, par ailleurs, confirmé le lien très fort entre violences conjugales et violences faites aux enfants, qui n’était pas établi jusque-là.
La séparation conjugale peut effectivement constituer une période à risque. Des mesures concrètes seront prochainement mises en œuvre pour permettre une meilleure information du juge des affaires familiales quant aux risques pour les enfants, et une meilleure articulation entre les décisions des juges aux affaires familiales et des juges des enfants.
Si les premiers ne sont pas systématiquement saisis en cas de séparation ou de conflit entre les parents, nous devons progresser au regard de leur formation afin qu’ils puissent mieux détecter les signaux d’alerte, en auditionnant les enfants en âge de s’exprimer, ou en demandant une expertise psychologique ou une enquête sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Mme Maud Petit applaudit également.)
Pensions alimentaires impayées
M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier. Madame la ministre des solidarités et de la santé, aujourd’hui, entre 35 et 40 % des pensions alimentaires sont impayées. Les femmes en sont les premières victimes puisqu’elles représentent 85 % des foyers monoparentaux. Ces femmes, nous les rencontrons dans nos permanences, elles nous disent les lenteurs des procédures, l’impossibilité de faire appliquer les jugements, les délais inacceptables qui permettent à l’ex-compagnon d’organiser son insolvabilité.
Les dispositions de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice confiant aux caisses d’allocations familiales – CAF – le rôle, auparavant dévolu au juge, de fixer le montant de la pension alimentaire ont été censurées par le Conseil constitutionnel, suivant en cela nos observations répétées lors de l’examen du texte. Il est vrai que ces dispositions servaient d’abord un objectif budgétaire, sans résoudre le problème des impayés.
Pourtant, les pensions alimentaires ont été l’un des sujets majeurs du grand débat.
L’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires – ARIPA –, créée par la précédente majorité, à l’initiative de Najat Vallaud-Belkacem, a permis d’améliorer le taux de recouvrement des pensions non versées. Mais les victimes redoutent d’engager une procédure susceptible de dégénérer en conflit ouvert avec l’autre parent.
Il nous faut donc encore progresser et faire en sorte que l’Agence libère toutes les familles monoparentales de cette préoccupation.
Madame la ministre, quels mécanismes de garantie simples et efficaces, pour toutes les femmes qui le demandent, prévoyez-vous pour mettre fin à cette situation inacceptable ? L’intérêt supérieur de l’enfant et la dignité de la personne nous le commandent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, Secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison de souligner les difficultés particulières auxquelles sont confrontées les familles monoparentales. Celles-ci ne constituent plus une exception puisqu’elles représentent 23 % des familles. Elles sont davantage touchées par la pauvreté – 30 % d’entre elles sont en situation de pauvreté contre 13,5 % pour l’ensemble des ménages ; on compte ainsi un million d’enfants pauvres vivant dans des familles monoparentales.
Notre politique familiale doit s’accorder avec les réalités et les besoins des familles, et non l’inverse. Notre système social, en particulier pour les prestations familiales, s’est adapté aux évolutions. Ainsi, les barèmes de la quasi-totalité des prestations familiales sont majorés en cas de monoparentalité et certaines prestations telles que l’allocation de soutien familial sont réservées à ces familles.
La création de l’ARIPA en 2017, adossée aux CAF, est venue renforcer la dimension sociale de la politique familiale. L’agence peut recouvrer la pension impayée par l’un des parents et verser une allocation de soutien en cas d’absence de pension ou de paiement partiel.
Le grand débat national est venu rappeler la détresse de ces familles. Cela nous invite à nous interroger sur les difficultés qu’elles connaissent et à réfléchir à des pistes d’amélioration. Je pense notamment aux pensions alimentaires qui sont trop souvent un sujet d’angoisse et de conflit pour elles. Le Président de la République a déclaré souhaiter un système de recouvrement beaucoup plus rapide de l’argent auprès des mauvais payeurs et des mécanismes de garantie pour les familles monoparentales.
Nous ne pouvons, en effet, nous satisfaire des chiffres que vous donnez. L’ARIPA a le mérite d’exister, mais nous pouvons toujours faire mieux, nous devons faire mieux. Agnès Buzyn et moi travaillons à garantir le bon versement de la pension alimentaire, car demander une pension alimentaire, ce n’est pas faire l’aumône, c’est faire valoir un droit pour soi et pour l’enfant qu’on élève. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’adoption en Seine-Maritime
M. le président. La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon.
Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Ma question, à laquelle j’associe mon collègue Raphaël Gérard, s’adresse à M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. À la suite des propos tenus, en juin 2018, par la cheffe de service du conseil départemental de Seine-Maritime sur l’adoption par des couples homoparentaux, la ministre des solidarités et de la santé a saisi l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS –, afin de procéder à un examen de l’ensemble de la procédure d’adoption dans ce département.
D’après le rapport de l’IGAS, datant du 29 mars, les inspecteurs n’auraient pas trouvé d’éléments tangibles permettant de conclure à une discrimination à l’égard des couples homoparentaux. Pourtant, à la lecture de ce rapport, on constate qu’une sélection s’est imposée progressivement dans le parcours des adoptants, via une information dissuasive pour les célibataires et les homoparents. Aussi, une règle tacite privilégiant les couples hétéroparentaux se serait développée, et l’adoption par les homoparents n’aurait été proposée, entre 2013 et 2017, que pour des enfants ayant des besoins spécifiques – enfants âgés ou ayant un handicap. Ce rapport met en lumière des éléments que l’on retrouve dans tout le pays et dresse le constat que l’exclusion des célibataires de l’adoption nationale, comme celle des couples homoparentaux, serait couramment pratiquée dans une majorité de conseils de famille en France.
La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dite du mariage pour tous, a ouvert le droit à l’adoption pour les couples homoparentaux, au nom des principes d’égalité et de partage des libertés. D’ailleurs, le texte de 2013 prévoyait de remplacer les mots « père et mère » par le mot « parent ». Un enfant pupille de l’État, ayant des besoins spécifiques ou non, doit pouvoir recevoir le même traitement, et inversement, les parents, qu’ils soient hétérosexuels, gays, lesbiens ou célibataires, n’ont qu’une volonté lorsqu’ils s’adressent aux services de l’adoption : offrir une famille à un enfant.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite connaître vos propositions pour qu’il n’existe plus aucune discrimination à l’égard des couples homoparentaux et des célibataires, et que les mêmes règles s’appliquent à tous, afin de répondre aux besoins et aux attentes des enfants pupilles de l’État. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et SOC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Votre question anime les réflexions des législateurs que vous êtes, car il y a effectivement la loi d’un côté, et son exécution de l’autre. Ainsi, la loi du 17 mai 2013 ouvre, au nom du principe d’égalité, l’adoption aux couples homoparentaux, mais les déclarations d’un agent départemental et d’un responsable associatif, dans une autre région, ont incité la ministre des solidarités et de la santé à saisir l’IGAS.
Que dit le rapport de l’inspection générale ? Tout d’abord qu’aucun système discriminatoire systématique n’a été institutionnalisé, mais qu’un ensemble d’usages et de pratiques, comme les propositions d’enfants aux couples homoparentaux et aux célibataires ou les demandes d’informations, sont discriminatoires.
Comment en est-on arrivé là ? À cause de procédures d’adoption insuffisamment transparentes, de modes de désignation et de fonctionnement des conseils de famille trop opaques et, comme le souligne le rapport, d’outils de pilotage par l’État de la politique de l’adoption absents.
Que doit-on faire ? Je vais suivre le rapport de l’IGAS recommandant de saisir le Comité national consultatif d’éthique et le Conseil national de la protection de l’enfance – je veillerai à ce que l’adoption demeure ancrée dans la protection de l’enfance –, afin que ces instances me proposent des mesures empêchant toute discrimination de la sorte.
Par ailleurs, nous allons élaborer une charte de déontologie rappelant certains principes fondamentaux, que nous ferons signer à l’ensemble des membres des commissions d’agrément et des conseils de famille.
Enfin, je vais lancer dans les jours à venir une mission parlementaire sur l’adoption, qui se penchera sur cette question, entre autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes MODEM et SOC.)
Note de P@ternet
- Voir notre revue de presse du 24 mars dernier.
Questions archivées au format PDF (145 Ko, 6 p.).