Intérêt supérieur de l’enfant et séparation d’un couple homosexuel

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 13 juillet 2017, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la façon dont les juges du fonds doivent prendre en considération l’« intérêt supérieur de l’enfant » quand ils appliquent l’article 371-4, alinéa 2, du code civil dans sa version modifiée par la loi du 17 mai 2013 ayant ouvert le mariage aux couples de même sexe :

« Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables. »

Dans sa rédaction antérieure, cet article prévoyait simplement :

« Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non. »

Avocats et juges l’utilisaient déjà pour fixer un droit de visite entre l’enfant et, par exemple, l’ex-compagne de la mère biologique. Sans créer de droits parentaux, cet article permettait de maintenir un lien entre un enfant et un tiers si le juge voulait bien considérer la demande, s’il voulait bien considérer aussi que l’enfant avait intérêt à maintenir un lien avec ce tiers, et si ce dernier pouvait faire valoir la réalité de liens affectifs avec l’enfant.

La rédaction issue de la loi du 17 mai 2013 permet de faire valoir plus facilement et largement les relations existant entre l’enfant et un « beau-parent » dans les familles dites recomposées, ainsi qu’avec la compagne de la mère ou le compagnon du père.

En l’espèce, alors qu’elle était « en couple » avec Mme Y…, Mme X… a accouché le 28 juin 2011 d’une petite fille prénommée Alice, « sans filiation paternelle déclarée » (Mme X… a indiqué avoir « bénéficié d’un don [de sperme], sans justifier pour autant qu’elle a recouru à la procédure légale qui garantit l’anonymat du donneur »). Les deux femmes se sont séparées le 30 avril 2013 et, quelques mois plus tard, ayant reformé un couple hétérosexuel, Mme X… a refusé que Mme Y… continue de voir Alice. Mme Y… « a saisi sans tarder le juge aux affaires familiales » afin d’obtenir un droit de visite. Le juge le lui a refusé, justifiant sa décision par le fait que les deux femmes n’étaient pas mariées et qu’elles n’avaient jamais eu de projet parental commun.

Mme Y… a fait appel, et la cour d’appel de Besançon a infirmé le premier jugement le 1er septembre 2016, en estimant préalablement que :

« L’évolution récente de la société contemporaine conduit d’une part à une assimilation progressive des familles homo-parentales avec la structure familiale traditionnelle, dans laquelle le couple d’adultes est composée de deux personnes de sexe différent, et d’autre part à la multiplication des familles dites recomposées, qui ont pour conséquence que bon nombre d’enfants mineurs partagent la vie d’adultes avec lesquels ils n’ont pas de lien de parenté. »

La cour d’appel de Besançon a relevé ensuite que les parties « vivaient en couple au moment de la naissance d’Alice », que Mme Y… avait « résidé durant plus de deux ans avec l’enfant et [sa] mère biologique », qu’il existait un « projet parental commun » au moment de la conception de l’enfant, que Mme Y… considérait « Alice comme sa fille, et qu’il existait un lien affectif durable entre [elles] », dont la rupture n’était due qu’au refus de Mme X… de maintenir cette relation.

La cour d’appel de Besançon a également considéré que :

« L’intérêt de l’enfant commande qu’Alice ait accès aux circonstances exactes de sa conception et de sa naissance, ainsi qu’aux faits ayant existé dans les premiers temps de son existence, sans que cela n’interdise par ailleurs qu’elle puisse conserver une relation affective de qualité avec l’actuel compagnon de sa mère, qui occupe selon les attestations produites par l’appelante une place de père de substitution […].

« L’existence de relations conflictuelles entre les parties n’est pas un obstacle suffisant pour justifier le rejet de la demande formée par Mme Y…, dans la mesure où les tensions sont souvent présentes dans de nombreuses séparations, sans que cette réalité, pour regrettable qu’elle soit, n’aboutisse à la consécration de ruptures affectives, qui sont nécessairement préjudiciables aux enfants qui en sont les victimes. Alice, qui est décrite dans de nombreux témoignages produits par l’appelante, comme une enfant épanouie et équilibrée […], sera en mesure de renouer des liens affectifs avec Mme Y…. »

La cour d’appel de Besançon a enfin constaté que :

« La dernière demande présentée par Mme Y…, qui ne sollicite dans l’immédiat qu’un simple droit de visite qu’elle propose d’exercer sur Alice en se rendant elle-même à Besançon pour voir l’enfant, témoigne […] de l’intérêt réel qu’elle porte à Alice et de son désir de ne pas brusquer la mineure en reprenant de manière progressive et adaptée des contacts avec elle, avant de pouvoir à nouveau la recevoir à son domicile. »

Se basant sur « l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, dans sa dernière rédaction issue de la loi du 17 mai 2013, [qui] permet au juge d’autoriser la poursuite de relations entre un enfant et un tiers qui ont cohabité pendant un temps, afin de prendre en compte ces phénomènes sociologiques », la cour d’appel de Besançon a donc accordé à Mme Y… un droit de visite puis un droit d’hébergement. Il est à noter que Mme Y… avait fait valoir plusieurs arguments factuels pour parvenir à ses fins : elle avait notamment pu établir « l’existence [d’un] projet parental commun, contrairement à ce qu’[avait] pu retenir le premier juge » grâce au « texte du faire part de naissance », et avait fourni le témoignage d’une nourrice d’Alice qui mettait en évidence son « attachement affectif » avec l’enfant.

Mme X… s’est alors pourvue en cassation, soutenant que la cour d’appel de Besançon avait violé la Convention relative aux droits de l’enfant car elle n’aurait pas pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en ne recherchant pas si l’enfant, âgée de cinq ans, et n’ayant pas revu Mme Y… depuis l’âge de deux ans, ne l’aurait pas oubliée de sorte qu’elle ait pu devenir une étrangère.

La Cour de cassation a confirmé aujourd’hui le jugement rendu par la cour d’appel de Besançon. Elle a d’abord relevé que les juges du fond avaient correctement déterminé l’intérêt de l’enfant à renouer le lien avec l’ex-compagne de sa mère. La réalité du lien avait été vérifiée : elles avaient vécu ensemble, il y avait une relation affective, le tiers avait pourvu à l’entretien de l’enfant, etc.

La thèse du pourvoi faisait cependant valoir que lien avait été rompu assez tôt, que l’enfant avait pu oublier le tiers et qu’une reprise de relations pourrait perturber l’enfant qui dispose maintenant d’une « figure paternelle ». En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation a considéré que le droit de l’enfant à connaître ses origines, les « circonstances exactes de sa conception et de sa naissance, ainsi [que les] faits ayant existé dans les premiers temps de son existence » prévalait sur toute autre considération, notamment l’intérêt immédiat de l’enfant qui aurait pu effectivement conduire à refuser la reprise du lien.

En faisant abstraction des circonstances sordides ayant entouré la naissance et les premières années de cette pauvre petite Alice, cet arrêt est intéressant à plusieurs titres. Il démontre d’abord une fois de plus tout l’arbitraire de la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant ». Tirée de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, elle n’est définie nulle part et ce sont des décisions judiciaires, souvent contradictoires, qui la spécifient. Comme ironisait Montaigne : « Quelle verité que ces montaignes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au delà ? »

On relève ensuite avec intérêt l’argument utilisé par la cour d’appel de Besançon et retenu par la Cour de cassation :

« L’existence de relations conflictuelles entre les parties n’est pas un obstacle suffisant pour justifier le rejet de la demande formée par Mme Y…, dans la mesure où les tensions sont souvent présentes dans de nombreuses séparations, sans que cette réalité, pour regrettable qu’elle soit, n’aboutisse à la consécration de ruptures affectives, qui sont nécessairement préjudiciables aux enfants qui en sont les victimes. »

Enfin, ne connaissant de cette histoire que ce que nous en dit l’arrêt ici commenté, nous aurons garde de nous prononcer sur le bien-fondé de la décision de la Cour de cassation, mais nous saurons gré à celle-ci d’avoir établi qu’une partie de la vie d’un enfant ne peut disparaître de son histoire selon les caprices d’adultes irresponsables.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 13 juillet 2017
Nº de pourvoi : 16-24084

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