La parentalité sans enfants

Bésida (Olivier), « La parentalité sans enfants », allocution prononcée à Paris le 19 novembre 2012 lors d’un colloque organisé par l’association Le droit de te connaître à la mairie du XIIIe arrondissement.

L’association SOS PAPA a été fondée il y a vingt ans et elle compte à ce jour quinze mille adhérents. Indépendante de tout professionnel de la justice, de tout parti politique et de toute orientation religieuse, elle se veut le porte-étendard, notamment auprès des pères, d’une justice familiale où le père et la mère seraient traités sur un pied d’égalité. Nous revendiquons en conséquence la coparentalité, et, d’une façon plus précise, le principe de la résidence alternée de base en cas de séparation ou de divorce. En conséquence, nous proposons à nos adhérents dans plusieurs départements de France, et en particulier à Paris, où j’ai le plaisir de diriger la délégation : des groupes de paroles pour des pères ainsi que les conseils de nombreux avocats, avec également l’aide de plusieurs psychologues. SOS PAPA conseille en moyenne plus de six mille papas par an.

La parentalité sans enfants est un thème assez provocateur mais qui néanmoins concerne SOS PAPA au premier chef.

Être parent mais se voir arraché ses enfants par un JAF au profit exclusif de l’autre parent est une véritable insulte à la dignité humaine et à la dignité de l’enfant. Mais regardons d’un peu plus près, dans le détail, au travers d’exemples, les différentes facettes de ce problème.

L’exclusion du père dans son rôle de parent auprès de ses enfants peut se produire de façon abrupte et très précoce :

  1. Un père se rend à la maternité pour assister auprès de sa compagne à l’accouchement de son enfant, dont il a reconnu de manière anticipée la paternité. Ce père se voit subitement barrer la route par des médecins obstétriciens qui lui font rapidement comprendre qu’il n’est pas le bienvenu, qu’il n’est pas concerné, qu’il n’y a rien à voir et qu’au bout du compte madame vient d’accoucher sous X. Du point de vue de l’état civil, cet enfant est né de personne, et donc le père ne peut ni approcher l’enfant, ni même en revendiquer une quelconque paternité. Ce père déconfit n’avait plus que ses larmes pour pleurer cet arrachement qui venait presque de ses entrailles !
  2. L…, un jeune papa d’une fille de cinq mois, doté d’un emploi stable et gagnant très bien sa vie, avait tout pour être heureux. Mais sa femme dépressive le dénigre déjà dans son rôle de père et le menace de divorcer et de rentrer avec son enfant aux USA car, étant américaine, elle n’a aucune attache en France.
  3. G…, père de quatre enfants, ne les voit que l’été, à l’occasion des grandes vacances, car leur mère américaine est rentrée aux USA avec eux. Pendant l’année, G… n’est plus qu’un papa virtuel qui communique tant bien que mal au téléphone et par Skype, maintenant un lien avec ses enfants plus qu’évanescent et sans consistance réelle.
  4. P… est également un de ces pères très occasionnels, qui voit ses enfants uniquement pendant les vacances ; ils sont moins loin, ils sont juste en Angleterre. C’est un père vidé qui vient parfois se remonter le moral à l’association SOS PAPA.
  5. J… n’a plus aucun contact avec sa fille restée au Japon avec sa mère depuis de trop nombreuses années, et c’est uniquement par détective interposé que des clichés de sa fille pris au téléobjectif lui parviennent. Cette paternité se trouve réduite à une sorte de voyeurisme de paparazzi, et ce père profondément déchiré en est presque devenu fou de ne plus pouvoir chérir normalement sa propre fille.
  6. Que dire des larmes de ce père ne voyant plus ses enfants qu’un weekend sur deux et qui entend un psychologue lui dire : « Monsieur, il faut désormais que vous fassiez le deuil de vos enfants ! » Eh oui ! C’est bien d’enterrer vivants ses propres enfants que la justice familiale impose aujourd’hui aux pères séparés et divorcés !
  7. L…, père d’un enfant d’un an : sa femme le dénigre constamment en tant que père, l’empêchant totalement d’approcher son enfant et de s’en occuper. Ce père, se définissant lui-même comme un papa virtuel, envisage de passer devant le JAF pour enfin obtenir un minimum syndical de droit à éduquer son enfant. Ce père nous explique que sa femme reproduit le schéma familial de ses propres parents. Elle n’a pas connu son père et n’a été élevée que dans un contexte exclusivement matriarcal. Et donc, si je puis m’aventurer à une comparaison éthologique avec les éléphants, le mâle doit être chassé au plus vite du clan matriarcal.
  8. H…, marié à une femme déséquilibrée qui, selon lui, reproduit également un schéma matriarcal antérieur. Non seulement elle dénigre le père mais en plus elle jalouse sa propre fille ! Il espère avoir plus de droits après le passage devant le JAF.
  9. Après la séparation de T… avec son ex, celle-ci change plusieurs fois d’adresse, change ses enfants de crèche et d’école, et refuse de lui communiquer ses nouvelles adresses. De plus, ce père est inquiet car il y aurait un risque d’inceste dans la belle famille.
  10. A… est également inquiet : séparé de sa femme, son enfant de huit ans réside chez sa mère ; celle-ci, très matriarcale, serait également limite incestueuse : elle pratique le cosleeping avec son propre enfant de huit ans.

Un père normalement constitué va progressivement déployer autour de son enfant toute son énergie pour le protéger face à des dangers physiques et moraux. Il va progressivement enseigner à son enfant à devenir autonome, persévérant, confiant en lui et indépendant, en l’incitant, par des jeux notamment, à couper le cordon ombilical.

Ainsi le père de base élève-t-il son enfant en l’aidant à déployer ses ailes afin qu’il puisse décoller du nid le moment venu. C’est donc à un véritable arrachement auquel on assiste ; on parle même d’une amputation pour décrire ce que ressent un père privé ou exclu de l’éducation de son propre enfant.

La démoralisation du père est pire encore lorsque l’enfant est maltraité par la mère et qu’aucune autorité de police ou de justice, ni aucun service social ne répond à l’appel au secours car c’est une sacro-sainte mère qui frappe l’enfant et il est préférable de fermer les yeux.

  1. Mes pensées les plus émues vont en premier lieu au petit Emilio, six mois, mort de douze coups de couteaux que lui a assénés sa propre mère en ce début d’année 2012. Le père a eu beau prévenir la police et le procureur de la république, personne n’a bougé le petit doigt car c’était une femme qui faisait du mal à un enfant, et cela n’est pas politiquement correct. Pourtant, les autorités devraient mieux connaître les chiffres, promulgués par les gouvernements successifs, de maltraitance et de violence physique sur les enfants : dans 47 % des cas ce sont les mères qui maltraitent les enfants, dans 23 % des cas ce sont les pères à l’origine des maltraitances, et les 30 % restant sont dus à l’entourage proche : oncles, tantes, grands-parents, amis (source : SNATEM). Le père d’Emilio se retrouve désormais sans enfant.
  2. Que dire du calvaire de J…-L… et de ses enfants, lui qui a filmé pendant quatre mois avec une caméra espion sa femme frappant et insultant quotidiennement ses propres enfants ? Ce père bienveillant a non seulement été exclu du domicile conjugal, vivant maintenant comme un SDF, mais il ne voit pratiquement plus ses enfants, tout en continuant de payer le crédit de sa maison. Il y a plusieurs mois, ses enfants avaient des bleus ; ils avaient été frappés à coups de barre de fer. Les juges n’ont rien trouvé de mieux à dire, malgré les preuves irréfutables (vidéos, constats médicaux des UMJ) : « Ce n’est pas en critiquant la façon d’éduquer de la mère que l’on éduque des enfants ». Et son fils, pour prouver son amour pour son père, se frappe la tête contre les murs, et des bleus apparaissent ! Être parent sans ses enfants dans ces conditions est carrément kafkaïen.
  3. Il est également très dur pour cet autre père de deux filles de devoir supporter les récits de viols qu’elles subissent quotidiennement de leur nouveau beau-père. Pourtant, la pédiatre et l’école ont déjà fait des signalements, mais rien ne se passe ; il paraît même que cette histoire fait bien rire le procureur en charge de cette affaire. C’est très dur d’être un père sans ses enfants face à cela, mais un père n’abandonne jamais, et c’est son cas !

Bien souvent, on voit venir à SOS PAPA des pères qui se séparent de leur femme et essayent de reconquérir millimètre par millimètre, et par tous les moyens, non pas leur ex, mais leur place de père, dont ils ont été exclus bien souvent dès la naissance de leur enfant. Un baby blues, une chute brutale de l’ocytocine chez la mère, sert bien souvent d’élément déclencheur à des dépressions cachées qui n’attendaient que de se révéler, et qui se traduisent non pas par de l’apathie mais plutôt par une très grande agressivité dirigée contre le père, qui est la cible toute désignée ; et pour faire encore plus de mal à ces pères, elles les excluent et les dénigrent dans leur rôle primordial de père illico presto. Cette exclusion s’accompagne aussi bien souvent de violence conjugale de la femme envers le mari.

Cette violence conjugale peut aussi avoir lieu dès les premiers mois de la grossesse ; ainsi Hervé a-t-il constaté que le nombre et la violence des coups qu’il recevait étaient directement proportionnels au taux de β HCG de sa femme.

Le père absentMais la cause prépondérante des rejets de paternité par ces mères est bien souvent due à l’absence de référence paternelle dans leur propre enfance. Du reste, cette absence de référence masculine dessert tout autant les filles que les garçons. Claudio Risé, dans son ouvrage Le père absent, dit :

« En l’absence du père, le jeune homme qui n’est pas initié au masculin n’a pas de profil. Il n’appartient à aucun genre ; il porte une identité incertaine, ambiguë et il a peur. »

« La femme qui a dû expérimenter un déficit paternel éprouve dans sa relation avec la société un profond manque d’assurance. Cela peut se traduire par des comportements velléitaires, voire d’auto-flagellation, ou au contraire par une compétitivité exacerbée. Mais le succès et la reconnaissance publique ne sauraient remplacer, pour une femme, la tranquille assurance que confère le regard du père [1]. »

L’absence du père, ou plutôt ces pères escamotables n’engendrent pas seulement ces désarrois mais encore ils génèrent chez les jeunes adultes un refus de l’autorité, ou à l’inverse une profonde docilité face au système.

Tous les pères qui frappent à la porte de SOS PAPA sont ce que j’appellerais des nouveaux pères. Ce sont des pères qui savent parfaitement changer les couches de leur bébé, se lèvent la nuit pour donner le biberon, savent tous faire les courses et la cuisine, s’organiser et jongler avec leur emploi du temps professionnel pour récupérer leurs enfants à la crèche ou à l’école, et être présents avec leurs enfants lorsqu’ils en ont la « garde ». L’immense majorité de ces nouveaux pères est réduite à un DVH 1/3/5 + la moitié des vacances scolaires, alors que leurs ex sont trop souvent défaillantes quant à l’éducation des enfants. Cette prééminence judiciaire de la mère sur le père est bien injuste et d’un tout autre âge ; elle ne peut se justifier que lors des tout premiers mois de l’enfant, et également lorsque la mère allaite.

Il y a cinquante ans, le système en vogue dans la cellule familiale était le mode patriarcal, avec le père comme chef de famille ; on est tombé aujourd’hui avec le glaive de la justice dans un système à dominante matriarcale. C’est tomber de Charybde en Scylla. Ainsi les nouveaux pères se voient-ils confrontés au pouvoir absolu de ces mères exclusives, qui ne communiquent pas avec l’autre parent sur l’enfant, s’arrogent tous les droits, notamment celui de ne pas présenter à leur guise leurs enfants au père pour son DVH, ou encore de déménager à l’autre bout de l’hexagone pour être bien certaines que le père sera totalement exclu de l’éducation de son enfant ; libre à lui d’entrer ou non dans ce tango ruineux.

Face à ces nouveaux pères, majoritairement exemplaires, ces nouvelles ex, au lieu de se préoccuper du bonheur de leurs enfants, sont plus préoccupées par des pensions alimentaires exorbitantes. Il est important que les néo-féministes comprennent qu’elles doivent faire un choix : les femmes ne peuvent pas simultanément réclamer des pensions alimentaires et des prestations compensatoires pour compenser un différentiel de salaire homme-femme, rester des femmes au foyer, et dans le même temps obtenir le même accès au marché du travail que les hommes avec les mêmes salaires. De nos jours, bien des femmes travaillent. Les femmes ne peuvent pas beurrer la tartine des deux cotés simultanément. Pour remédier à toutes ces souffrances inutiles et à cette injustice, SOS PAPA préconise fortement le principe de la résidence alternée par défaut, preuve devant être apportée au JAF par l’une ou l’autre des parties que ce mode de garde n’est pas adapté, au cas par cas.

Bien souvent, la famille mono-éduquante engendre non seulement la paupérisation du père, débiteur d’une pension alimentaire, mais encore la paupérisation des mères qui vivaient dans l’illusion de pouvoir s’en sortir plus facilement économiquement sans les pères. L’impact économique des familles mono-éduquantes se fait ressentir jusque dans la ville de Paris, qui doit multiplier ses aides en direction des parents solo, plongés de plus en plus dans une grande précarité.

D’un point de vue économique, une enquête aux USA affirme que la garde et l’entretien des enfants de divorcés provoquent une baisse de productivité supérieure à celle qui dérive de l’alcool et de la drogue.

Jean-Pierre Le Goff, sociologue, précise :

« Combinés l’une avec l’autre, la précarité socioéconomique et l’effondrement de la cellule familiale produisent des effets puissants de déstructuration anthropologique [2]. »

Pour finir, je me pencherai sur la notion de parentalité, qui mérite d’être quelque peu détaillée. La parentalité est un terme d’une grande vacuité inventé par des psys vers la fin des années 70 et qui voudrait correspondre au besoin de nourrissage et d’éducation d’un enfant. Ce terme en trompe-l’œil, intraduisible dans bien d’autres langues, a été conçu pour escamoter le terme de parenté qui, en plus d’asseoir la notion des rôles des parents, englobe également la notion de filiation.

Ainsi, brutalement, depuis quarante ans, le sacro-saint principe de filiation des enfants issus de la reproduction sexuée d’un père et d’une mère pourrait-il être relégué aux oubliettes, permettant alors à n’importe quel pseudo-parent remplaçable, voire jetable, d’assumer le rôle de filiation si essentiel à l’enfant pour qu’il puisse notamment construire son identité depuis les désirs, donc de se définir par rapport à l’interdit de l’inceste. Il serait donc souhaitable de préférer au vocable de parentalité le mot plus simple de parenté. Ce terme déguisé de parentalité pourrait laisser croire que la parenté peut être cessible, ou remplaçable, ou encore vendable. Si l’on part de l’enfant au lieu des parents, les choses sont plus simples encore : tout enfant a viscéralement besoin, non seulement de connaître ses origines pour se construire, mais en plus de côtoyer et de se frotter à ses vrais parents pour être équilibré et devenir un adulte serein.


Notes

1. Risé (Claudio), Le père absent. Enquête sur la place du père dans les familles occidentales, traduction par Carlo Damiano, Paris, Rémi Perrin, 2005.

2. Le Goff (Jean-Pierre), entretien avec Frédéric Ploquin et Alexis Lacroix, Marianne, 1er juin 2010.

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