Il ne s’agit pas ici de mettre en accusation une personne qui aurait failli dans le système mais d’attirer l’attention sur le risque que peut encourir tout professionnel qui recueille la parole de l’enfant dans les situations de divorce ou de séparation.
Certes l’enfant a des droits – définis par la Convention internationale des droits de l’enfant – mais « la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant » (article 12) doit faire l’objet de précautions car les décisions qui sont prises dans son intérêt peuvent conduire à des dégâts collatéraux.
Depuis le suicide d’un oncle, d’un ami d’enfance et de mon jeune frère en 1995, je n’ai pas ménagé mes efforts pour tenter de comprendre mais surtout mettre en œuvre les mesures pour que le fameux « Plus jamais ça » devienne réalité.
Tous les jours, trente personnes mettent fin à leurs jours (mon frère avait choisi le très symbolique jour de la rentrée des classes [1]) dans la totale ignorance de l’opinion publique et de l’apparente indifférence des autorités.
La vie ne tient qu’à un fil. Maintenir un lien, c’est faire preuve d’humanité, c’est montrer que l’homme se distingue des autres espèces vivantes car il a la possibilité de montrer son cœur.
Les liens pères-enfants, déjà pas faciles à établir en situation normale, sont encore plus faciles à briser lorsque le couple éclate. Et là, le génie humain est particulièrement doué pour détricoter et user jusqu’à la corde les relations filiales parents-enfants.
Durant toutes ces années, je me suis intéressé à la question du harcèlement, tant au travail (stress) que dans les relations familiales (manipulations parentales).
Dans le cadre de ma formation à la médiation familiale, j’ai développé un mémoire sur l’ensemble des sujets liés à la problématique familiale contemporaine, mémoire que je tiens à la disposition de toutes les personnes qui pensent vraiment qu’un enfant a besoin de ses deux parents, même séparés.
Je me suis penché plus spécifiquement sur la question des suicides, sujet hautement tabou auprès des autorités. Le taux de suicide d’un pays est un excellent révélateur du climat social qui y règne. On peut toujours dénoncer les exécutions ou les peines de mort pratiquées dans certains pays en vertu de leurs lois proches de celle du Talion, un taux de suicide élevé révèle qu’il est difficile de vivre ou de survivre dans tel ou tel pays.
Avec ses 10 784 suicides en 2006, le pays des droits de l’homme se place au troisième rang des pays européens : environ 2 % de la mortalité en France, deux fois plus que les accidents dus à la circulation routière. Les tentatives (quatorze fois plus en nombre) sont également un élément intéressant. Notre pays peut-il se contenter de comptabiliser cette hécatombe et continuer à ne pas voir, à se voiler la face ?
En résumé, les suicides sont révélateurs du mal qui ronge notre société. D’autant que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Contrairement aux idées reçues, les hommes sont trois fois plus vulnérables que les femmes (23 pour 7). Par contre, elles font beaucoup plus de tentatives, qui sont souvent interprétées comme étant des appels au secours.
On a beau dire, mais un homme qui attente à ses jours est bien moins pris au sérieux qu’une femme, d’autant que les structures d’écoute et de soutien pour les hommes qui souffrent sont nettement moins développées, voire inexistantes dans beaucoup d’endroits.
Vous me direz, tous ces hommes et toutes ces femmes ne sont quand même pas morts à cause de problèmes familiaux. Certes, mais il n’existe pas d’étude sur ce sujet, car les suicides conduisent très exceptionnellement à des enquêtes… Lorsque j’avance un pourcentage volontairement élevé devant les responsables politiques, judiciaires et/ou sociaux, je constate toujours que mes interlocuteurs sont visiblement gênés et cherchent à minimiser les conséquences du génocide familial. Oui, en allongeant côte à côte les victimes des crimes (hommes, femmes et enfants) et les suicides dus aux séparations depuis une bonne trentaine d’années, on peut qualifier cette hécatombe de génocide.
Or, d’après nos responsables étatiques, il n’y aurait officiellement qu’à peine cinquante suicides par an qui seraient dus à des conflits familiaux. Chacun appréciera à sa juste valeur…
À croire qu’ici-bas on meurt pour le fun ou par choix, comme je l’ai entendu pour mon frère !
Selon la campagne sur les violences faites aux femmes, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon.
Pendant ce temps-là, soixante-neuf hommes sont également passés de vie à trépas.
Curieusement, cette campagne sur les violences faites aux femmes évite de parler de ces vingt et une femmes qui se suicident durant ces fameux trois jours. Il serait pourtant facile d’affirmer que toutes ces femmes tombent à cause de leurs compagnons pervers, manipulateurs qui les poussent à bout…
Même le désastre judiciaire d’Outreau, qui a eu aussi son suicidé (François Mourmand, qui n’a jamais été réhabilité), n’a pas eu d’effet significatif sur les mentalités.
L’affaire du suicidé de B.
Appelons-le Aimé [2] pour ne pas le rendre tout à fait anonyme.
Aimé était à la tête d’une ferme de mille ovins et bovins, conseiller municipal de son charmant petit village de 460 âmes et père de quatre enfants.
En 2005, le tribunal de B. entérine l’accord des parents fraîchement séparés, qui s’étaient entendus sur une organisation de type résidence alternée de leurs enfants.
Un an après (l’histoire ne précise pas si Aimé a retrouvé le bonheur dans un de ses prés), il rencontre une jeune maman d’une petite fille, qui accepte de s’adonner aux travaux champêtres. Progressivement, les relations se dégradent avec l’ex. Cette dernière voit d’un mauvais œil l’arrivée d’une rivale sur ce qu’elle considère encore comme ses terres.
Après quelques manipulations diverses et avérées des deux plus grandes, elle parvient à convaincre un juge aux affaires familiales et obtient un jugement à son avantage, un classique : résidence habituelle des enfants + droit de visite libre + pension alimentaire.
Ce n’est sans doute pas tant le renversement d’organisation familiale qui a affecté Aimé que le fait de voir qu’il n’était plus en mesure de transmettre les valeurs de respect à ses enfants d’une part, et d’exercer correctement son autorité parentale d’autre part. En effet, malgré les jurisprudences de la Cour de cassation [3], ce jugement donnait un pouvoir aux enfants qui était de nature à bafouer la place du père en le reléguant au rang de parent secondaire, voire dans d’autres situations, de parent redondant ou gênant par ses multiples demandes procédurières.
Comment voulez-vous qu’un parent qui n’a pas la résidence habituelle de ses enfants (les pères dans 85 % des cas) puisse exercer correctement son rôle ? Pire, avec de tels jugements, s’il veut donner à ses enfants l’envie de venir passer des moments avec lui, il doit souvent être dans la séduction. D’ailleurs, cette envie se transforme très vite en intérêt : « Qu’est-ce que tu me paies si je viens chez toi ? » ai-je vu écrit dans une lettre qu’une adolescente avait adressée à son père, directeur d’une maison de retraite.
On observe un renversement des rôles et parfois des places entre les parents et les enfants. Le quasi enfant-roi deviendra l’ado-roi, avec toutes les conséquences que cela entraîne auprès des jeunes en terme d’éducation et de respect : échec scolaire, toxicomanie, alcoolisme, délinquance, violence… et parfois suicide.
Oui, la justice fabrique, en conscience ou non, des sauvageons. Les juges le savent très bien et beaucoup font mine de minimiser ou ne pas voir les conséquences de telles situations induites par leurs jugements. Tels Ponce Ponce Pilate, ils s’en lavent les mains.
Extrait du jugement du 23 avril 2008 du tribunal de grande instance de B. :
« Par jugement du 4 mai 2005, le divorce par consentement mutuel a été prononcé entre les époux. Aux termes de la convention homologuée, la résidence des enfants a été fixée en alternance hebdomadaire aux domiciles des père et mère, sans contribution parentale, Madame devant reverser la moitié des prestations sociales perçues à Monsieur.
« Par requête enregistrée le 27 décembre 2007, Madame a saisi le juge aux affaires familiales afin d’obtenir la fixation de la résidence des enfants à son domicile, un droit de visite et d’hébergement à l’amiable pour les deux aînées et réglementé classiquement pour les deux plus jeunes, ainsi que le versement d’une contribution paternelle de 200 € pour l’aînée et 150 € par enfant pour les trois autres enfants. »
On voit tout de suite qu’en déposant une requête au tribunal de grande instance, la mère n’était plus dans une démarche amiable avec le père de ses enfants. La juge aurait pu s’en rendre compte et inciter les parents à aller (s’ils ne l’avaient pas déjà fait en 2005) en médiation familiale.
Au lieu de cela, elle entendra les deux aînées le 12 mars 2008, puis fera admettre à notre pauvre Aimé deux semaines plus tard, lors d’une audience, que la résidence des plus grandes soit fixée au domicile de la mère avec un droit de visite et d’hébergement du père à définir à l’amiable entre les parties.
En fait d’amiable, la juge a estimé « qu’il convient de réglementer le droit de visite et d’hébergement du père selon les modalités classiques [4], sauf meilleur accord entre les parties ». Cette juge aurait dû inciter ces parents à travailler ou retravailler de nouveaux accords, ceci afin de les encourager à reprendre un dialogue et une certaine communication dans l’intérêt de leurs enfants. Au lieu de cela, elle cherchera à se justifier en précisant :
« Attendu que le contexte extrêmement conflictuel entre les parents et la disparition de tout dialogue entre eux rend impossible le maintien de la résidence alternée pour les deux cadets, cette organisation étant d’ailleurs remise en cause par les deux parents… »
La juge a cru bon d’ajouter, peut-être dans un léger souci d’apaisement :
« Attendu qu’il ressort des pièces versées au dossier et notamment du rapport du Centre médico-social de S… en date du 16 janvier 2008, que la mère comme le père présentent des capacités éducatives suffisantes. »
Sur les 650 euros demandés pour la contribution paternelle, la mère obtiendra 580 euros, auxquels s’ajoutent 646 euros de prestations familiales. Avec un salaire de 2462 euros, elle dispose donc de 3688 euros. La contribution d’Aimé est prélevée sur ses bénéfices agricoles, qui sont, comme chacun sait, très variables dans le monde agricole. Ses projets professionnels et personnels s’en trouvaient donc fortement contrariés…
Aimé s’est pendu quelques jours après avoir reçu l’ordonnance. Simple coïncidence.
Après l’enterrement, la compagne d’Aimé, enceinte, a dû quitter les lieux avec sa fille pour laisser la place aux quatre enfants légitimes et à leur mère… Moralité ?
Quels sont les droits du cinquième enfant d’Aimé, né en janvier ? Quatre + un orphelins.
« Qui a tué Davy Moore, qui est responsable et pourquoi est-il mort ? » chantaient Bob Dylan et Graeme Allwright.
Notes
- « Le suicide était presque parfait », SOS PAPA magazine, nº 28, décembre 1997, p. 8 : « Ce père [de 31 ans], “trop” attaché à ses enfants, s’est donné la mort trois semaines après que la mère ait quitté le domicile conjugal avec les deux enfants. C’était le soir de la rentrée des classes, jour des enfants s’il en est. Jour trop funeste loin d’eux. »
- Prénom d’emprunt qui a fait l’objet d’un certain choix…
- La Cour de cassation avait déjà tranché par rapport au refus de l’enfant d’aller en visite chez son père ou chez sa mère : le juge n’a pas le droit de décider que l’enfant usera à son gré du droit de visite (2e chambre civile, 22 octobre 1997, pourvoi nº 96-12011) ; le juge n’a pas le droit d’accorder un droit de visite sous réserve que l’enfant accepte de voir son deuxième parent (2e chambre civile, 11 octobre 1995, pourvoi nº 93-15415). Ces principes nous ont été confirmés par le Conseiller de droit civil lorsqu’il nous avait reçu le 15 juin 2006 dans son bureau du ministère de la Justice, place Vendôme, à Paris. Mais maintenant, il y a ce décret du 20 mai 2009…
- On constatera que cette notion de « droit de visite et d’hébergement classique », qui devait théoriquement disparaître définitivement selon l’esprit de la loi du 4 mars 2002 (promotion de la co-parentalité), est encore bien vivace dans l’esprit d’un bon nombre de juges. Question : Comment élèvent-ils leurs propres enfants ?