L’égalité parentale n’a pas évolué depuis vingt ans

Méjean (Franck), « L’égalité parentale n’a pas évolué depuis vingt ans », allocution prononcée à Paris le 13 juin 1998, lors du colloque organisé dans le cadre du septième congrès SOS PAPA sur le thème « La réforme du divorce, pourquoi, comment ? » Franck Méjean est avocat à Perpignan et membre du comité d’honneur de SOS PAPA.

Martine Segalen, Franck Méjean et Yvonne Pozo-Medina, colloque du septième congrès SOS PAPA, Paris, 13 juin 1998 (© SOS PAPA)

Martine Segalen, Franck Méjean et Yvonne Pozo-Medina, colloque du septième congrès SOS PAPA, Paris, 13 juin 1998 (© SOS PAPA)

 

Il y a vingt ans, la situation était exactement la même que celle que nous vivons actuellement. Vingt ans après, les choses n’ont pas évolué. La seule différence, c’est le sujet de l’exposé que vous venez d’entendre et qui, je pense, vous a mis tout comme moi très mal à l’aise. C’est vrai qu’à l’époque le problème d’inceste n’était pas utilisé systématiquement dans les procédures de séparation comme un moyen de disqualifier et d’exclure l’un des deux parents. Mais globalement, pour ce qui est de la place du père, c’est-à-dire plus précisément du droit de l’enfant à ses deux parents, la situation en 1998 me paraît être rigoureusement la même que celle que nous gérions en 1979. Avec un bémol : en 1979, nous avions à faire avec des magistrats qui découvraient le principe de l’égalité parentale, dont on parlait alors très peu en France, alors qu’en 1998, ce principe est rabâché depuis des années par des associations de pères, SOS PAPA étant la petite-fille du Mouvement d’égalité parentale, qui était lui-même l’émanation du Mouvement de la condition paternelle, qui était lui-même l’émanation du DIDHEM.

Il y a malheureusement maintenant un blocage, et la réforme que le ministre de la Justice est en train de proposer à la représentation nationale n’est en fait qu’une de ces espèces de mini-bombinette, un écran de fumée qu’on jette à la face des groupes de pressions revendicatifs, comme les associations de pères, pour essayer de les calmer et de les apaiser, et surtout pour essayer de neutraliser les revendications légitimes qui sont posées lorsqu’un représentant d’un gouvernement est sur un plateau télé.

Et il est exact que pendant des années, et encore maintenant, on retrouve des stéréotypes, on pousse la justice à ne pas reconnaître ce principe, et à rester sous l’influence d’une espèce de conception judéo-chrétienne qui était en vigueur en France au XVIIe siècle et qui privilégiait le rôle de la mère. Je dirai tout simplement : par dépit, par manque de moyens matériels, et parfois même par manque de moyens intellectuels. Je crois que la différence qu’il y a maintenant par rapport à ce que nous avons vécu pendant les années 80, c’est qu’on avait l’impression à l’époque que les magistrats essayaient de faire preuve d’imagination ; ils essayaient de trouver des structures, qui provenaient des États-Unis ou des pays nordiques, et la garde alternée fut à l’époque un moyen comme un autre d’essayer de faire respecter le principe d’égalité parentale en mettant les deux parents dans une situation d’égalité dans la séparation, c’est-à-dire en ne privilégiant pas un parent au détriment de l’autre afin de lui permettre de perpétuer le conflit conjugal grâce à l’enfant.

En 1987, le ministre qui portait pompeusement la charge des droits de l’homme a produit la première réforme importante, qui faisait de l’enfant de la séparation un acteur de la séparation de ses parents, avec même l’obligation d’audition des enfants, et on a abouti en 1993 à la fameuse réforme sur laquelle nous vivons à l’heure actuelle, avec cette création anecdotique et gadgétisée, à mon sens, de l’avocat de l’enfant, qui est la traduction de l’incapacité d’un certains nombre d’adultes à régler des problèmes qui ne concernent qu’indirectement les enfants.

Alors pardonnez-moi, monsieur le Président, mais j’avais le sentiment jusqu’à une époque récente qu’on pouvait effectivement passer par le pouvoir politique pour, éventuellement, changer les choses. Je dirai qu’actuellement, au point où nous sommes arrivés dans la pratique quotidienne des tribunaux, le fait de saisir les parlementaires, le fait d’écrire, de perdre votre temps et votre énergie à saisir la représentation nationale, ne sert à rien.

Combien y a-t-il de députés qui, pour marquer de leur nom le code civil, ont présenté des propositions de loi aussi fantaisistes les unes que les autres ? Malhuret en fait partie. Et à quoi cela a-t-il abouti ? Avez-vous le sentiment que les choses ont changé, et qu’à l’heure actuelle la place de l’égalité parentale est inscrite au fronton de la république alors qu’elle ne l’aurait pas été il y a vingt ans ?

Ce que nous venons d’entendre est parfaitement significatif : l’inceste fait partie de l’arsenal. On se rend compte dans les dossiers qu’il y a une quantité absolument extraordinaire de pères incestueux, comme s’ils n’avaient pas d’autres choses à faire ; les pères qui divorcent ont tous des tendances à avoir des relations sexuelles avec leur enfant mâle ou femelle.

Il est vrai que la justice est une institution lourde à gérer, et que le balancier va dans un sens puis dans l’autre. J’ai pour exemple l’enfant naturel : souvenez-vous de l’époque où l’autorité parentale appartenait à celui des deux parents qui reconnaissait l’enfant en premier. Ce qui était complètement dément : la mère venait d’accoucher, le père partait en courant à la mairie, reconnaissait l’enfant, et l’autorité lui était accordée. C’était complètement idiot. La réponse de 1972 modifia les choses, mais dans un sens parfaitement inégalitaire, puisque l’autorité parentale appartenait exclusivement à la mère, même si le père avait reconnu l’enfant.

Eh bien ! même dans la matière que l’on vient douloureusement d’évoquer, on va malheureusement se trouver les uns et autres confrontés au même problème. Comme le faisait remarquer mon prédécesseur, l’inceste a toujours existé ; ce n’est pas une découverte du XXe siècle, l’inceste existe dans les familles depuis toujours. Et vous avez raison de dire qu’il n’y a pas de ségrégation sociale dans l’inceste : quel que soit le milieu socioprofessionnel, c’est le même problème. En revanche, la différence, c’est qu’avant on le cachait systématiquement. Vous parliez de la mère complice : c’est vrai, c’est une abomination de la nature, mais il est vrai que l’inceste avait bien souvent lieu avec la complicité de la mère. Mais à l’heure actuelle, à l’inverse, alors qu’on ne dénonçait pas l’inceste, eh bien ! on va assister dans les procédures de divorce ou de séparation de couple non mariés à des proliférations extraordinaires d’accusations. Je dois reconnaître que, depuis deux ou trois ans, je suis absolument effrayé par le nombre d’accusations qui sont portées contre les pères qui divorcent, et, dans certains cas, à l’inverse, contre des mères. On vient de vous dire avec énormément de talent et de sensibilité comment on pouvait gérer ce genre de choses, on vous a donné des points de repères. Mais sur le plan strictement juridique, ce qui me pose un énorme problème, c’est qu’à l’heure actuelle la justice ne sait pas faire la part des choses et ne réagit pas à ce genre de situation.

Prenons l’exemple d’accusations d’inceste contre un père au cours d’une procédure de divorce : la réaction immédiate et quasi systématique sera la suspension de l’exercice du droit de visite et d’hébergement avant toute chose, au nom de l’intérêt de l’enfant – ce qui peut éventuellement se comprendre. Mais ce qui me paraît extrêmement grave, et ce n’est qu’un aspect de ce que je veux vous dire de façon beaucoup plus générale, c’est lorsqu’on apporte la preuve de la fausseté de l’accusation ; c’est très difficile à faire mais on y arrive. Eh bien ! rares sont les cas où la justice entend prendre sa responsabilité. Et je ne parle pas du plan pénal, mais du plan civil : il suffirait simplement d’appliquer une jurisprudence de la Cour de cassation qui a stigmatisé l’attitude de mères commettant ce genre d’infraction à la morale de leurs enfants, disant qu’il s’agit d’un manquement grave au devoir éducatif et qu’il convient de transférer immédiatement la garde chez l’autre.

Or, ce qui paraît extraordinaire à l’heure actuelle, c’est que personne ne réagit, et vous lisez dans les décisions de justice : « Oui monsieur, vous avez raison, effectivement nous avons eu à votre égard des attitudes et gestes déplacés. Mais il est dans l’intérêt de l’enfant qui ne vous a pas vu depuis cinq ans de continuer à ne pas vous voir, ou de façon épisodique dans des points de rencontre. » Alors, face à ce genre de situations, vous aurez beau écrire à votre député, maire ou conseiller général, dites-vous bien que cela ne servira à rien.

Monsieur le Président, sans vouloir dénigrer le travail extraordinaire que vous faites, vos trente propositions sont, selon moi, satisfaisantes et très intéressantes d’un point de vue intellectuel, mais elles ne valent rien sur le plan du quotidien car, au risque de vous choquer, je prétends que la loi, telle qu’elle est actuellement rédigée, est excellente. Mais elle n’est pas appliquée, pour deux raisons.

D’une part, dans la majorité des cas, les magistrats choisissent leur affectation dans l’ordre de leur sortie de l’École de la magistrature, en privilégiant d’abord la place de juge d’instruction, parce que c’est la Rolls du juge, et choisissant les affaires familiales quand ils n’ont pas autre chose et n’ont pas envie de faire juge de l’exécution. Et puis parce qu’on propose parfois dans le tableau d’avancement des postes de président de chambre de la famille à des gens qui veulent avancer, et qui font leur voyage à Canossa en choisissant les affaires familiales mais qui ne sont pas motivés.

Et d’autre part, parce que, malheureusement, ils n’ont pas de formation. Je me souviens d’un entretien avec Mme Dufoix, à l’époque où elle était ministre de je ne sais plus quoi, elle avait en charge une partie de ce qui pouvait avoir une relation avec le droit de la famille, et elle me disait, pour essayer de me désarçonner : « Quelle est la première chose que vous proposeriez aujourd’hui si vous aviez la possibilité de le réaliser ? » Ma réponse fut : « Eh bien ! Madame, je formerais vos juges, et j’essaierais de trouver des gens qui, à la sortie de l’École de la magistrature, ou dans les tableaux d’avancement, ont envie, comme nous avocats qui nous occupons de ces problèmes depuis pas mal d’années, de les former. » C’est-à-dire : qu’ils viennent un samedi après-midi dans un colloque comme celui-ci, débattre, entendre des rapports, des relations intéressantes, qui nous apportent à tous des choses.

Et puis, à leur décharge, compte tenu de la multiplication des conflits et de la complexité de la justice, je crois qu’il n’y a pas les moyens suffisants dans le système actuel de notre droit. Vous êtes extrêmement favorisés à Paris : quand j’entends des juges parisiens me dire qu’ils sont surchargés alors qu’ils ont huit affaires à régler… Il y a trois jours, je plaidais en référé à Montpellier, et le magistrat en avait soixante-quatre à gérer ! Il y a quelque part une différence de traitement des dossiers qui est extraordinaire. Vous avez à Paris, Lyon et Bordeaux de véritables chambres de la famille, mais sachez bien que, si vous enlevez les dix ou quinze plus gros des cent quatre-vingts tribunaux de grande instance en France, il en reste cent soixante où les affaires de la famille sont traitées par un juge qui, le matin, aura présidé une affaire correctionnelle, et qui, le lendemain, va être le juge de l’exécution ; c’est-à-dire qu’il n’aura pas la possibilité de gérer correctement votre dossier. Et lorsque je vous disais que je collais à la réalité, bien malin celui qui est capable de dire aujourd’hui ce que Mme Guigou a l’intention de faire, en sachant qu’elle a décidé de quitter le ministère de la Justice.

Je n’en donnerai qu’un exemple ; je vais choquer, je le sais, mais je le fais quand même. Certains voudraient supprimer la présence des avocats dans les procédures de divorce non contentieuses. On prendrait les maires, qui pour la plupart n’ont strictement aucune capacité juridique, on prendrait leurs employés, qui ne sont pas payés pour, en leur disant : puisque vous avez marié, vous allez démarier. Vous êtes-vous posé la question de savoir pourquoi on voudrait faire ça ? C’est sûr que c’est une mesure particulièrement démagogique : « Les avocats pompeurs en profitent ! » SOS PAPA parle d’un chiffre d’affaire de… combien ? Cinq milliards de francs ? C’est extraordinaire, il faudra nous donner la recette ! Mais quand même, quelque part, prenons le temps d’être sérieux : c’est dénier à des professionnels, qui dans la plupart des cas font leur travail correctement, tout un travail pédagogique de préparation des gens à cette séparation, même lorsqu’ils se séparent à l’amiable, ainsi qu’à la gestion de cette séparation. Combien de fois ai-je vu des gens arriver bras dessus, bras dessous à mon cabinet, en disant : « Ça y est, nous sommes prêts à divorcer, il n’y a pas le moindre problème. » En discutant, j’évoque le problème de la prestation compensatoire, de la pension alimentaire, et ces gens me demandent, surtout les femmes : « Mais c’est quoi, une prestation compensatoire ? » On allait enregistrer ce divorce tranquillement, sans histoire, en faisant « péter » la possibilité pour une femme d’obtenir une prestation compensatoire, ou une pension alimentaire, et pour le père le partage des charges matérielles des déplacements, ou bien le remplacement des weekends par les vacances scolaires lorsqu’il habite loin.

Cette mesure démagogique n’a qu’un seul but, qui est de débudgétiser du ministère de la Justice une partie du contentieux de vos divorces, et vous faire payer vos divorces dans vos impôts locaux. Tout cela ne sert qu’à ça.

Alors je termine en vous donnant mon sentiment sur ce que nous devons faire. Comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai une pensée émue pour Yves Loyer, dont je voudrais parler trente secondes. C’était un personnage fantastique, un militant extraordinaire, un ingénieur brevets, polytechnicien, et aussi un artiste. Il avait subi une abominable séparation d’enfant naturel et avait voulu mettre au service des autres toute la souffrance qui avait été la sienne ; il a porté sur ses épaules le Mouvement d’égalité parentale pendant des années. J’ai d’ailleurs noté que nous avions repris le sigle qu’il avait dessiné ; monsieur le Président, sans le savoir, vous avez repris le sigle du Mouvement d’égalité parentale, représenté par le petit garçon et la petite fille.

À l’époque, nous pensions que l’intervention auprès des hommes politiques était peut-être quelque chose d’intéressant, que cela pouvait arranger ou améliorer les choses. Aujourd’hui, cela ne nous sert à rien.

Il y a quelques années, je n’aurais pas accepté le nom même de cette association, SOS PAPA, que vous avez choisi, car il m’aurait paru choquant, je l’aurais trouvé restrictif, tant il est vrai, à mon sens, que c’est le respect de l’égalité parentale qui est important. Encore une fois, je me répète, nous nous battons pour l’égalité parentale, c’est-à-dire le droit des enfants à leurs deux parents dans la séparation, ou encore la reconnaissance du rôle complémentaire du père et de la mère, comme le relevait le professeur Dugas, qui disait que le sens de la morale et de la loi chez l’enfant repose sur un couple solidaire après la séparation. On est bien d’accord là-dessus.

Mais à l’heure actuelle, en 1998, il est vrai que la place du père est la place de l’exclu, du licencié de son métier de père pour cause de séparation. Et à l’heure actuelle, je pense que le seul moyen que nous avons de nous en sortir est de calquer le fonctionnement de cette association sur ce qu’ont fait les associations de consommateurs américains il y a dix ou vingt ans, et vous êtes les seuls à pouvoir le faire. C’est-à-dire qu’il faut, à chaque fois qu’une décision de justice est rendue de façon inique, et Dieu sait qu’il y en a, que nous fassions ce qui fait peur à la justice, c’est-à-dire de la publicité. Il faut que nous ayons la possibilité de devenir suffisamment crédibles les uns et les autres grâce à l’intervention de chacun. Nous sommes dans une auberge espagnole, chacun y apporte ce qu’il veut et ce qu’il peut. Quand Mme Guigou prend la parole au Parlement pour parler du soi-disant enlèvement de deux enfants par un père allemand alors qu’il avait la garde de ses enfants et que c’est la mère qui les avait enlevés, il faut que nous puissions réagir.

J’ai été contacté par un journaliste d’Antenne 2 et je lui ai donné le nom d’un père de Toulouse, un enseignant qui était de Nouvelle-Calédonie et qui avait obtenu grâce à moi la garde de ses enfants sans droit de visite et d’hébergement pour la mère, une pauvre femme qui était complètement déconnectée. C’était suffisamment intelligent pour qu’il téléphone à cette femme au bout d’un an et demi en lui disant qu’il venait passer les vacances en métropole et qu’il proposait de lui laisser les enfants, parce qu’ils en avaient besoin, et cela même si elle n’en avait pas le droit. Il les lui laisse, cette femme les enlève, puis une plainte fut déposée. Nous avons obtenu du juge de Nouméa une astreinte ferme et définitive – mes confrères comprendront ce que cela veut dire – de cinq mille francs par jour de retard sur la restitution des enfants. Le juge d’instruction de Toulouse n’a rien fait, le procureur de Toulouse non plus, et au bout d’un an et demi, le JAF de Nouméa, après enquête sociale, dit : « Eh bien ! écoutez, cela fait un an et demi que les enfants sont avec leur mère, nous allons les lui laisser. »

À ce journaliste d’Antenne 2, qui est un type bien et qui a lui-même des problèmes personnels, d’où une écoute plus particulière, j’ai soumis le fait que la ministre avait pris parti pour une mère, qu’elle s’était complètement plantée, qu’elle ne savait pas de quoi elle parlait. Le journaliste est allé interviewer ce père enseignant, qui est un type bien et calme, il a fait le reportage, et celui-ci a été censuré…

Voilà ce que je voulais dire, en vous priant de le méditer, et en vous demandant d’être suffisamment militants pour devenir un contre-pouvoir face à une institution judiciaire qui part en déliquescence complète, et qui est incapable à l’heure actuelle de remplir sa mission de service public à votre égard.

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