La triple peine paternelle : payer plus d’impôts, financer davantage ses enfants et être accusé du contraire

Euros (© D.R.)

Maître Léna Bojko a publié un article en 2022, intitulé « L’injuste détermination de la pension alimentaire au regard des seuls revenus du parent débiteur ».

Dans la première partie de son article, elle fait remarquer que les juges aux affaires familiales ne fixent le montant de la pension alimentaire qu’en fonction du revenu du parent débiteur [1]. Effectivement, le simulateur du ministère de la Justice encourage en ce sens : il n’a pas de valeur contraignante mais une grande influence pratique malgré son caractère illégal dès lors qu’il est utilisé de façon exclusive pour fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant sous forme de pension alimentaire.

Cette utilisation exclusive du barème par les juges est illicite et censurée par la Cour de cassation depuis 2013.

Le juge de cassation affirme dans sa jurisprudence :

« Attendu que, pour condamner M. X… à verser une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, l’arrêt énonce, d’une part, que la table de référence “indexée” à la circulaire du 12 avril 2010 propose de retenir pour un débiteur, père d’un enfant, disposant d’un revenu imposable de 1 500 euros par mois et exerçant un droit d’accueil “classique” une contribution mensuelle de 140 euros, d’autre part, que l’exercice d’un droit d’accueil restreint augmente, de façon non négligeable, les charges du parent au domicile duquel l’enfant réside ;

« Qu’en fondant sa décision sur une table de référence, fût-elle annexée à une circulaire, la cour d’appel, à laquelle il incombait de fixer le montant de la contribution litigieuse en considération des seules facultés contributives des parents de l’enfant et des besoins de celui-ci, a violé, par fausse application, le texte susvisé. »

En effet, selon l’article 371-2 du code civil :

« Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. »

Il y a donc trois critères :

  • les ressources du parent débiteur,
  • les ressources du parent créancier,
  • les besoins de l’enfant.

Néanmoins, dans la deuxième partie de son article, elle conclut que cette pratique consistant à fixer la pension alimentaire en fonction des seuls revenus du débiteur d’aliments serait défavorable aux mères :

« Cette méthodologie est revanche très problématique dans le cas de couples percevant des revenus semblables et peu élevés (ce qui est le cas d’une large partie de la population).

« Prenons l’exemple de parents percevant chacun un salaire net mensuel de 1 600 euros par mois.

« La détermination du montant de la contribution alimentaire, sera généralement fixée, au regard des revenus du parent débiteur, à une somme approximative de 140 à 150 euros par mois.

« Or, ainsi que cela a été exposé, le coût mensuel d’un enfant est en moyenne de 500 euros par mois.

« Fixer la pension alimentaire de la sorte revient à considérer qu’il appartient au parent chez qui l’enfant réside de prendre à sa charge le différentiel, et ce alors même que les revenus des parents sont similaires.

« Cette situation, manifestement inéquitable, est particulièrement préjudiciable aux femmes, puisque ce sont elles qui ont encore majoritairement la charge des enfants à titre principal après une séparation. »

Or, cette conclusion apparaît erronée dès lors que le père exerce assidûment son droit de visite et d’hébergement, la résidence habituelle de l’enfant étant fixée chez la mère.

Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, lors du temps passé avec son enfant, le parent titulaire du droit de visite et d’hébergement dépense 45 % de ce que dépense le « parent résident », soit 31 % du coût de l’enfant [31 % = 45 % / (100 % + 45 %)] : « on estime le coût relatif des enfants en droit de visite et d’hébergement par rapport à un enfant en résidence principale à 0,45 [2]. ». Voici le graphique de la publication :

Le coût d’un enfant en droit de visite et d’hébergement correspond à 45 % de son coût en résidence principale

Le coût d’un enfant en droit de visite et d’hébergement correspond à 45 % de son coût en résidence principale

Admettons comme dans son exemple que :

  • les deux parents gagnent chacun 1 600 euros mensuels,
  • les besoins de l’enfant s’élèvent à 500 euros mensuels,
  • le père verse une pension alimentaire de 150 euros.

Il en résulte que :

  • le père contribue aux besoins de l’enfant à hauteur de 150 euros mensuels via la pension alimentaire, soit 30 % du coût de l’enfant ;
  • le père contribue à 31 %, donc 155 euros en nature lors des droits de visite et d’hébergement ;
  • le père contribue au total à 61 % du coût de l’enfant alors qu’il ne dispose que de 50 % des ressources parentales ;
  • le reste à charge de la mère est donc de 195 euros (= 345 − 150), soit 39 % et non 69 % de façon apparente ;
  • le père peut éventuellement contribuer encore au titre des frais exceptionnels ou extra-scolaires ;
  • la mère seule bénéficie des aides sociales liées à l’enfant (allocations familiales à partir de deux enfants, accès au logement social prioritaire au titre de la monoparentalité…).

La contribution apparente de la mère est de 69 % mais, en réalité, il faut en déduire la pension alimentaire versée par le père, d’où un reste à charge de la mère de 39 % (= 69 % − 30 %).

La contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant des père et mère en nature et en espèces
Contribution financière des parents %
Père (contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant sous forme de pension alimentaire 150 € 30
Père (droit de visite et d’hébergement en nature) 155 € 31
Mère (reste à charge déduction faite de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant perçue) 195 € 39
Total 500 € 100

Le diagramme circulaire ci-après permet de bien visualiser la situation.

Les contributions parentales en euros et en pourcentages

Les contributions parentales en euros et en pourcentages

Ainsi donc, dans cet exemple, le père contribue à 61 % des dépenses de l’enfant et la mère à 39 % alors même que les parents ont des revenus équivalents. On ne compte pas les aides sociales que reçoit la mère (et non le père), ni les frais exceptionnels et extra-scolaires qui viendraient diminuer son reste à charge, c’est-à-dire sa véritable contribution aux besoins de l’enfant.

Quand un parent (ou les deux parents) réside avec l’enfant, le mécanisme du quotient familial permet d’augmenter le nombre de parts du foyer, ce qui réduit substantiellement l’impôt dû. Le parent isolé bénéficie de deux parts s’il a un enfant à charge : 1 pour le parent, 0,5 pour l’enfant et 0,5 à titre de parent isolé [3]. L’article 194 II du code général des impôts dispose que :

« Pour l’imposition des contribuables célibataires ou divorcés qui vivent seuls, le nombre de parts prévu au I est augmenté de 0,5 lorsqu’ils supportent à titre exclusif ou principal la charge d’au moins un enfant. »

Le quotient familial correspond au revenu divisé par le nombre de parts dans le foyer.

Ainsi, d’un point de vue fiscal, malgré une contribution supérieure aux besoins de l’enfant, c’est le père qui devra payer l’impôt sur le revenu malgré la défiscalisation, la mère étant dispensée en bénéficiant du quotient familial. La pension alimentaire versée par les pères débiteurs d’aliments est défiscalisée, c’est-à-dire qu’ils peuvent déduire de leurs revenus le montant versé à la mère : le fisc calcule l’impôt du père sur des revenus mensuels de 1 450 euros (= 1 600 − 150). Les mères créancières doivent ajouter à leurs revenus la pension alimentaire reçue : le fisc calcule l’impôt de la mère sur des revenus mensuels de 1 750 euros (= 1 600 + 150).

Selon les règles fiscales de 2022, avec 1 450 euros de revenus mensuels, le père devra payer 598 euros d’impôts sur le revenu à l’année et la mère rien du tout avec 1 750 euros de revenus mensuels (y compris pension alimentaire).

Impôt sur le revenu en fonction du nombre de parts et du revenu imposable en 2022
Mère Père
Données calculées à partir des règles fiscales en 2022, article 197 du code général des impôts, calculs de l’auteur.
Revenu annuel 21 000 17 400
Revenu mensuel 1 750 1 450
Revenu annuel net global imposable après déduction des frais réels ou 10 % 18 900 15 660
Nombre de parts dans le foyer fiscal 2 1
Quotient familial (revenu annuel imposable / nombre de parts) 9 450 15 660
Montant de l’impôt sur le revenu pour la tranche allant de 0 € à 10 225 € avec un taux de 0 %
Montant de l’impôt sur le revenu pour la tranche allant de 10 226 € à 26 070 € avec un taux de 11 % 598
Montant de l’impôt sur le revenu pour la tranche allant de 26 071 € à 74 545 € avec un taux de 30 %
Montant annuel de l’impôt sur le revenu 598
Montant mensuel de l’impôt sur le revenu 50

Par ailleurs, il est important de noter que le système fiscal n’est pas le seul moyen d’atteindre les objectifs de redistribution, de lutte contre la pauvreté, de bien-être des enfants et de natalité, comme le précise la Cour des comptes :

« Ces différents objectifs peuvent cependant être atteints par le biais des services publics et des prestations sociales, la part revenant au système fiscal ne pouvant pas être considérée isolément. »

Ainsi, l’aide implicite pour les ménages accédant au logement social, soit une habitation à loyer modéré, serait-elle de l’ordre de 200 à 300 euros mensuels selon l’Institut national de la statistique et des études économiques :

« Ainsi, en 2006, occuper un logement HLM revenait à bénéficier de l’équivalent d’une aide mensuelle de 261 euros, soit 46 % de la valeur locative du logement, le loyer moyen demandé par le bailleur social s’élevant à 310 euros. »

Estimation monétaire de l’aide implicite pour les occupants d’un logement social (habitation à loyer modéré) selon le quintile de niveau de vie.

Estimation monétaire de l’aide implicite pour les occupants d’un logement social (habitation à loyer modéré) selon le quintile de niveau de vie.

Or, les familles dites « monoparentales » accèdent davantage au logement social que les autres : en 2020, 37 % des enfants en famille dite « monoparentale » sont dans un logement HLM contre 21 % pour l’ensemble des enfants tous types de ménages confondus [4].

Conclusion : il est bel et bien illicite de ne fixer la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant qu’en fonction des ressources du parent débiteur. Mais, si biais sexué il y a, il est dans l’autre sens que celui allégué.

En effet, cet exemple illustre la triple peine des pères séparés exerçant leur droit de visite et d’hébergement, qui, à revenus modestes équivalents à celui des mères (1 600 euros mensuels) :

  • contribuent davantage financièrement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant que les mères ;
  • assument une charge fiscale supérieure en ne bénéficiant pas du quotient familial malgré un revenu disponible moindre ni des aides sociales au titre de l’enfant ;
  • sont considérés comme avantagés fiscalement, d’où des campagnes pour fiscaliser la pension alimentaire versée, afin d’alourdir leur fardeau financier.

Pour autant, ce constat ne vaut pas pour les pères qui ne maintiennent pas un lien régulier avec leur enfant en lui assurant un confort décent et/ou ne versent pas de pension alimentaire avec le seuil minimal de l’exemple étudié.

Notes
  1. Cf. Sayn (Isabelle), Jeandidier (Bruno), Bourreau-Dubois (Cécile), « La fixation du montant des pensions alimentaires : des pratiques et un barème », Infostat Justice, nº 116, mars 2012.
  2. Pinel (Laurie), Schweitzer (Camille), Virot (Pauline), « Comment mieux prendre en compte la diversité des familles dans les échelles d’équivalence ? Une analyse du coût de l’enfant à travers la consommation et le niveau de vie ressenti des familles, d’après l’enquête Budget de famille 2017 », Les Dossiers de la DREES, nº 108, 15 mars 2023, p. 42.
  3. Cf. article 194 du code général des impôts.
  4. Cf. Algava (Élisabeth), Bloch (Kilian), Robert-Bobée (Isabelle), « Les familles en 2020 : 25 % de familles monoparentales, 21 % de familles nombreuses », Insee Focus, nº 249, 13 septembre 2021.

Bibliographie

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