Respect de la liberté d’instruire en famille : l’article 21 est le résultat bancal de pressions sur le Conseil d’État

Communiqué interassociatif

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Supprimé par le Sénat, le très controversé article 21 du projet de loi confortant le respect des principes de la République relatif à l’instruction en famille risque d’être réintroduit en deuxième lecture. La commission spéciale de l’Assemblée nationale se réunira du 7 au 10 juin.

Après avoir lancé une pétition – déjà soutenue par 10 000 signataires [1] – pour demander la levée du secret sur le rapport Bergeal – un rapport du Conseil d’État qui concluait à l’inconstitutionnalité de la suppression du libre choix de l’instruction en famille – nous avons obtenu les quatre pages relatives aux restrictions prévues par le gouvernement [2].

En comparant ce premier avis, tel qu’adopté par la section de l’administration, et l’avis finalement voté par le Conseil d’État en assemblée plénière (qui est une version censurée du rapport Bergeal), on comprend mieux comment a été rédigé, dans l’urgence, un article 21 bancal.

L’interdiction de l’instruction en famille sauf impossibilité de scolarisation voulue par le gouvernement est devenue l’interdiction de l’instruction en famille sauf « dérogations », hypocritement présentée comme un régime d’autorisation administrative.

En effet, ces « dérogations » correspondent en réalité aux trois critères déjà utilisés pour démontrer l’impossibilité de scolarisation en établissement [3] !

Un quatrième critère avec une double contrainte – qui figurait déjà dans l’étude d’impact censée justifier l’interdiction de l’instruction en famille sauf impossibilité de scolarisation – a été repris : « l’existence d’une situation particulière de l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille ». Ce critère expose malheureusement les familles à un arbitraire administratif intenable et à des risques certains de stigmatisation et de discrimination [4].

Au final, le Conseil d’État a validé les quatre motifs de l’étude d’impact visant à rescolariser de force 29 000 enfants, soit deux tiers des enfants instruits en famille hors CNED réglementé.

C’est l’évolution de la conclusion du paragraphe sur l’instruction en famille qui montre le mieux comment l’avis du Conseil d’État a été manipulé :

  • les phrases « Il n’est pas établi, en particulier, que les motifs des parents relèveraient de manière significative d’une volonté de “séparatisme social” ou d’une contestation des valeurs de la République. Dans ces conditions, le passage d’un régime de liberté encadrée et contrôlée à un régime d’interdiction ne paraît pas suffisamment justifié et proportionné. Le Conseil d’État, par suite, écarte du projet les dispositions relatives à l’instruction au sein de la famille » ont disparu ;
  • la conclusion est devenue : « Le législateur peut faire le choix d’un nouveau resserrement […] de façon notamment à empêcher que le droit de choisir l’instruction en famille ne soit utilisé pour des raisons propres aux parents. »

Ce remaniement du texte soulève de nombreuses questions : qui a procédé à une telle coupe et à un changement aussi radical des mots employés ? Pourquoi changer du tout au tout le sens du texte final, au point de lui faire dire le contraire de ce qui avait été voté initialement au sein même du Conseil d’État ? Dans quel but, si ce n’est convenir au gouvernement ?

En démocratie, la transparence est nécessaire. Il est inquiétant pour la séparation des pouvoirs que des pressions s’exercent sur les plus hautes instances en France.

Nous dénonçons un déni de démocratie et de justice pour les 45 000 enfants concernés et leurs familles. Nous le dénonçons aussi pour tous les citoyens qui pourraient avoir besoin de recourir à l’instruction en famille à l’avenir, mais qui en seraient privés en raison de restrictions injustifiées et inconstitutionnelles.

Nous dénonçons enfin l’absence de concertation avec les associations représentatives des familles, la société civile et ses instances représentatives – Commission nationale consultative des droits de l’homme et Conseil économique, social et environnemental notamment, et l’absence de transparence sur les chiffres censés justifier cette grave atteinte à la liberté d’enseignement.

Malgré l’appui de la Commission d’accès aux documents administratifs enjoignant le ministère de l’Éducation nationale à transmettre les chiffres relatifs à l’instruction en famille, la direction générale de la scolarité refuse de donner suite [5].

En France, c’est l’instruction qui est obligatoire, pas la scolarisation des enfants en établissements. Les lois républicaines depuis 1882 (lois de Jules Ferry relatives à l’instruction obligatoire) ont toutes maintenu la faculté pour les familles d’instruire leur enfant.

Nous appelons le président Macron à défendre la diversité éducative comme il a su récemment le faire à propos des langues régionales : « Le droit doit libérer, jamais étouffer. Ouvrir, jamais réduire […] La France se nomme diversité [6]. »

Les associations et collectifs Les enfants d’abord, Libres d’Apprendre et d’Instruire Autrement, Union Nationale pour l’Instruction et l’Épanouissement des enfants, Fédération FELICIA, L’École est la Maison, Choisir d’Instruire Son Enfant, Liberté Éducation, les cours Pi

Notes et références
  1. « Respect de la liberté d’enseignement : demande de levée du secret sur le rapport Bergeal relatif à l’instruction en famille ».
  2. Il s’agit d’un « projet d’avis sur un projet de loi », commandé par le gouvernement, et présenté à l’assemblée générale du Conseil d’État le 3 décembre 2020 par Mme la Présidente Catherine Bergeal, au nom de la « section de l’administration ».
  3. Ces trois critères sont : maladie/handicap, éloignement géographique/nomadisme, activité sportive ou artistique intensive. Ce sont eux qui conditionnent l’accès au CNED réglementé, c’est-à-dire pris en charge par l’État en raison d’une impossibilité de scolarisation et sous réserve de l’accord du directeur académique. Or, les témoignages des familles montrent déjà que ces critères ne permettent pas une égalité de traitement entre les familles, soumises au pouvoir discrétionnaire de l’administration (lire la référence 4 ci-dessous).
  4. Cf. « Instruction en famille sur autorisation ? Un arbitraire administratif intenable », Mediapart, 6 mai 2021.
  5. Avis nº 20205154 du 7 janvier 2021.
  6. Macron (Emmanuel), Facebook, 26 mai 2021.

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