L’école de la confiance va-t-elle faire disparaître mères et pères ?

Projet de loi nº 1481

Valérie Petit (© Jean-Luc Hauser)

Valérie Petit (© Jean-Luc Hauser)

Lors de la discussion en séance publique du projet de loi nº 1481 pour une école de la confiance, l’Assemblée nationale a adopté aujourd’hui en première lecture l’amendement nº 834, présenté le 7 février dernier par Valérie Petit et une bonne trentaine de député(e)s du groupe La République en marche, et qui vise à faire purement et simplement disparaître mères et pères dans les formulaires scolaires (voir notre article du 7 février). Pour Valérie Petit, « cet amendement vise à ancrer dans la législation la diversité familiale des enfants dans les formulaires administratifs soumis à l’école ». Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et la rapporteure du projet de loi, Anne-Christine Lang, ont émis un avis défavorable à cet amendement, au motif que son objet ne relève pas du domaine législatif.

Voici le texte du compte-rendu officiel de la discussion parlementaire :

M. le président. La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement nº 834.

Mme Jennifer De Temmerman. La problématique est assez proche. Avant d’être élue, j’étais gestionnaire dans un établissement scolaire. Chaque mois de septembre, nous suivions la même routine : les dossiers de bourse, les dossiers de cantine, représentant autant de formulaires administratifs. Avec mon équipe, nous prenions le temps de constituer un dossier personnalisé, dans lequel nous avions pris l’habitude de modifier les mentions « père » et « mère » en « parent 1 » et « parent 2 » ou « responsable 1 » et « responsable 2 ». Cette initiative était personnelle et je ne suis pas sûre que tous les établissements en fassent autant. Les familles sont alors confrontées à des cases figées dans des modèles sociaux et familiaux un peu dépassés. Tous les cosignataires de cet amendement de Mme Valérie Petit, que je salue, ne font partie que d’un seul lobby : celui de l’humanité, pour qui la diversité fait la richesse de notre société. Personne ne devrait s’en sentir exclu par des schémas de pensée un peu arriérés, si vous me permettez ce terme. Selon nous, cet amendement propose donc une mesure d’égalité sociale. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LaREM. – M. Maxime Minot applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne-Christine Lang, rapporteure. Je comprends bien l’esprit de cet amendement et j’y souscris. Toutefois, je ne suis pas certaine que la mention figurant sur les formulaires soit d’ordre législatif. J’émets donc un avis défavorable même si, sur le fond, je ne suis pas opposée à ce que vous venez de défendre.

M. Maxime Minot. Rien ne relève du législatif, avec vous !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Nous voyons bien l’embarras du Gouvernement sur ce sujet : il donne des avis qu’il n’ose pas déclarer défavorables, tout en sachant fort bien qu’on ne peut pas s’engager sur ces questions. Lorsque nous avons examiné l’amendement précédent, Mme la rapporteure a confondu les transsexuels et les transgenres. Notre collègue qui a défendu cet amendement aurait dû s’étonner de cette confusion importante : il faut opérer cette distinction car il s’agit de deux problématiques différentes. Mais là encore, on n’ose pas répondre et on évacue les problèmes !

Sur la question des « parent 1 » et « parent 2 », je veux rappeler à ceux qui trouvent le modèle classique dépassé que plus de 95 % des unions qui sont célébrées, sous la forme d’un mariage ou d’un PACS, concernent des couples homme-femme. Ce n’est donc pas complètement dépassé ! Dire que cela est « arriéré » est très péjoratif, très pensée unique, très politiquement correct, mais cela ne correspond pas à la réalité. Je remercie donc le Gouvernement et la rapporteure de ne pas s’engager dans cette voie des « parent 1 » et « parent 2 », qui ne répondrait à aucune des problématiques.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Nous sommes en train de confondre un modèle juridique et un modèle social de famille idéalisé par certains. Je m’inscris tout à fait dans la lignée de ma collègue de Temmerman. Nous avons pu constater récemment, lors du recensement de la population, que certaines familles homoparentales se retrouvaient dans la difficulté pour remplir les formulaires parce qu’ils avaient le choix entre une case « père » et une case « mère » : que se passe-t-il quand dans une famille, il y a deux mamans ou deux papas ? Il faudra bien trancher ce débat. J’entends que ce sujet relève plus du domaine réglementaire que du registre de la loi mais il faudra bien se poser cette question.

Par ailleurs, concernant les personnes trans, je précise que le vocable « transsexuel » a été un temps utilisé pour désigner les personnes transgenres. Aujourd’hui, les personnes trans refusent ce vocable parce qu’elles le trouvent trop pathologisant. Je n’ai toutefois pas relevé l’erreur de la rapporteure car j’ai bien compris son intention.

M. le président. La parole est à Mme Anne Brugnera.

Mme Anne Brugnera. Cette question est extrêmement importante et la demande est tout à fait justifiée. Je souhaite justement témoigner qu’à la ville de Lyon, dont j’ai été l’adjointe à l’éducation pendant quelques années, les formulaires comportent depuis plusieurs années les mentions « responsable légal 1 » et « responsable légal 2 ». Les mairies peuvent donc établir leurs formulaires de cette façon. C’est déjà le cas dans certains endroits et j’espère que de nombreuses villes et administrations prendront ce pli. En revanche, je rejoins Mme la rapporteure quand elle dit que cela ne relève pas de la loi.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. Cette analyse vaut dans les deux sens puisque j’ai moi-même dû faire remplir des formulaires comportant les mentions « parent 1 » et « parent 2 ». Les couples père-mère me demandaient alors que choisir : « Qui est le parent 1 ? Moi, je ne suis pas plus important que l’autre et le parent 1 n’est pas plus important que le parent 2. » Le problème se pose donc dans les deux sens. En tout cas, je vous remercie de ne pas avoir pris de décision. Je me sens clairement stigmatisée par la présentation de l’amendement qui nous est soumis : si vous pensez autrement, vous êtes catalogué comme un arriéré, ce qui est très vexant ! (Mme Emmanuelle Ménard, MM. Dino Cinieri, Alain Ramadier et Vincent Rolland applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Le groupe Socialistes et apparentés soutient cet amendement. La question n’est pas de savoir si l’on est arriéré ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) C’est une question de respect et de dignité. Vous n’imaginez pas quelles sont les conséquences pour les enfants qui ne se considèrent pas traités comme les autres ! Je souhaite donc féliciter notre collègue qui a proposé cet amendement.

La rapporteure nous a indiqué que cela relevait du domaine réglementaire mais irez-vous dans cette direction ? M. le ministre adressera-t-il une note à tous les chefs d’établissement concernant cette problématique ? Cet amendement est intéressant, tout comme l’est un autre amendement déposé par notre collègue sur ce sujet : cela répond à la question de l’égalité et de la dignité pour tous les enfants. On n’imagine pas les conséquences psychologiques subies par un enfant qui ne se sent pas traité comme les autres.

(L’amendement nº 834 est adopté.)

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

On aura bien sûr remarqué le caractère fallacieux de l’argumentation qui consiste à équiparer conjoints et parents. Quelles que soient les relations qu’il entretient avec chacun d’eux, tout enfant a nécessairement une mère et un père, ne serait-ce que pour des raisons biologiques ; le conjoint homosexuel de la mère ou du père n’en devient pas un parent pour autant.


Pro memoria :

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