Raynal (Claude), Question orale nº 56 au ministre de l’Intérieur sur la délivrance de passeport à des parents séparés (Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 33 S (Q), 31 août 2017, p. 2739).
M. Claude Raynal attire l’attention de M. le ministre d’État, ministre de l’Intérieur sur les modalités de délivrances des passeports des mineurs. Dans l’hypothèse de parents séparés, les services municipaux ne font pas les recherches nécessaires pour s’assurer que le parent demandeur et l’adresse déclarée sont bien ceux de la résidence principale de l’enfant.
L’absence de tels contrôles crée une situation d’anxiété chez le parent de bonne foi, d’autant plus grande qu’il peut se retrouver alors dans une situation juridique délicate, puisque ne pouvant demander un nouveau passeport et devant justifier d’un changement d’adresse pour obtenir une carte nationale d’identité pour l’enfant.
En outre, et de manière beaucoup plus surprenante, aucune information du parent chez qui réside « normalement » l’enfant n’est organisée par les services municipaux.
En cas de départ non consenti de l’enfant du territoire national organisé par le parent disposant du passeport frauduleusement obtenu, l’État et les services de la collectivité concernée pourraient être poursuivis pour faute.
C’est pourquoi il souhaite connaître les dispositions qu’il entend mettre en œuvre pour répondre à ce risque.
Réponse du ministère de l’Intérieur publiée dans le Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 67 S (C.R.), 6 décembre 2017, pp. 7187-7188.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer cette question par quelques chiffres : en 2016, 60 % des enfants sont nés hors mariage en France et 44 % des mariages finissent par un divorce. La parentalité ne s’exerce donc plus que minoritairement dans le cadre d’un mariage.
S’il appartient au juge civil d’encadrer les questions de garde et de résidence, d’autorité, de pension ou de logement entre les parents, il ressort que l’administration a aussi un rôle à jouer s’agissant de la délivrance de papiers d’identité aux enfants.
En effet, les services municipaux chargés de la délivrance de ces titres n’ont juridiquement pas l’obligation de rechercher si le parent demandeur est titulaire de l’autorité parentale ou si l’adresse déclarée est celle de la résidence principale de l’enfant. Aucun des documents à fournir ne contient cette information, pourtant importante au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Tout au plus, nos textes prévoient qu’il appartient au parent titulaire de l’autorité parentale d’en faire la demande. Mais l’absence de contrôle de l’effectivité de la détention de cette autorité rend bien illusoire cette protection purement formelle.
Dans l’hypothèse de parents séparés, ce défaut de contrôle des informations se double d’une absence d’information de l’autre parent, qui n’apprend alors que fortuitement, lorsque lui-même en fait la demande, l’existence des autres papiers d’identité.
Cet état de fait entraîne parfois, chez le parent de bonne foi, une situation d’anxiété, d’autant plus grande que cette pièce d’identité, bien plus que les autres, permet un éloignement non consenti d’un enfant français de son sol d’origine, sans possibilité pour l’autre parent de s’y opposer.
Il existe en outre un problème quant à la situation de l’enfant vis-à-vis de l’administration. Cette dernière ne reconnaissant que la validité de la dernière domiciliation, elle fait porter la charge de la preuve de l’existence d’une fraude non pas sur l’émetteur de la demande litigieuse, mais sur celui qui la conteste.
En outre, le parent indélicat peut aussi, lors de sa demande, déclarer le titre précédent volé, avec, à la clé, des situations juridiquement kafkaïennes pour le parent de bonne foi.
Enfin, au-delà de la difficulté de cette situation pour les parents séparés, mon interrogation vise aussi à alerter au sujet d’une possible responsabilité de l’administration, par exemple en cas de départ non consenti de l’enfant du territoire national. On sait que ces questions peuvent prendre un relief particulier dans le contexte actuel.
Ainsi, je souhaiterais connaître, madame la ministre, la position du gouvernement auquel vous appartenez face à ce problème, qui peut concerner des millions de nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Vous m’interrogez, monsieur le sénateur Claude Raynal, sur la réglementation applicable en matière de délivrance de passeports pour les enfants mineurs dont les parents sont séparés, et sans expression du consentement de l’un des deux détenteurs de l’autorité parentale.
L’article 372-2 du code civil prévoit qu’« à l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant ».
La demande de titre d’identité et de voyage pour un enfant mineur est considérée comme un acte usuel de l’autorité parentale. En outre, la séparation des parents ne modifie pas, sauf dispositions contraires du juge, le partage de l’autorité parentale.
Ainsi, la demande de titre pour un enfant peut être déposée par l’un des parents, sans qu’il soit nécessaire de demander l’accord de l’autre parent.
Le formulaire de demande de titre de voyage impose au demandeur, par l’apposition de sa signature, de certifier l’exactitude des mentions et déclarations qu’il y a portées. Toute fausse déclaration est passible d’une peine d’emprisonnement et d’amende prévue par le code pénal.
Ainsi, vous l’avez vous-même dit, il n’appartient pas aux mairies chargées du recueil des demandes de passeport de solliciter l’accord de l’autre parent, ni aux services instructeurs de rejeter une demande de passeport déposée par un seul parent, si aucune opposition en la matière n’a été préalablement manifestée.
En cas de conflit entre les parents lié au partage de l’autorité parentale ou en cas de crainte de l’un des parents de voir son enfant emmené à l’étranger sans son accord, il lui appartient de saisir le juge aux affaires familiales qui prononcera, le cas échéant, une mesure d’interdiction de sortie du territoire.
Dans l’attente de la décision du juge, le parent qui craint l’enlèvement de son enfant peut solliciter auprès de la préfecture une mesure d’opposition à la sortie du territoire de l’enfant mineur. Il s’agit d’une mesure prise à titre conservatoire, qui a pour objectif de permettre au titulaire de l’exercice de l’autorité parentale de faire opposition, sans délai, à la sortie de France de son enfant dans l’attente d’obtenir, en référé, une décision judiciaire d’interdiction de sortie du territoire.
Tel est l’état du droit.
Cela dit, vous avez soulevé une vraie question.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Je veux remercier Mme la ministre de sa réponse, notamment de sa dernière phrase.
Effectivement, le droit est bien pauvre en la matière, compte tenu du nombre de cas concernés et du caractère parfois dramatique des situations.
Recourir préventivement au juge me paraît bien complexe et ne résout pas vraiment le problème.
Il nous semble qu’il faudrait peut-être, à l’avenir, par le truchement d’un texte de loi, d’un règlement ou un décret, voire une information des mairies, que les choses soient traitées de manière plus solide.
En tout état de cause, j’appelle à une réflexion du ministère sur ce sujet. J’aimerais savoir s’il est nécessaire qu’une proposition de loi soit déposée ou si d’autres solutions techniques permettraient de répondre aux difficultés.
Question archivée au format PDF (387 Ko, 3 p.).