La revendication d’égalité est récurrente depuis une cinquantaine d’année et c’est au nom de cette égalité que l’adoption de la loi Taubira a semblé s’imposer pour une majorité de la population. Alors que la démocratie ne cesse de progresser, il existe pourtant des récalcitrants pour qui toutes les conditions ne sont pas réunies pour se déclarer favorables au « mariage pour tous ».
Il serait possible d’être favorable au « mariage pour tous » si le fait de l’appeler mariage ne permettait l’adoption pour tous et de plus l’adoption de tous les enfants quel que soit leur âge.
Il serait possible d’être favorable à l’adoption pour tous si la différence des sexes n’était pas perçue par les petits enfants ou si elle n’avait aucune importance pour eux.
Il serait possible d’être favorable au mariage pour tous s’il y avait ou s’il devait y avoir égalité entre un homme et une femme.
La revendication de l’égalité femme/homme est devenue une exigence. Cette égalité n’est pourtant pas inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme. Celle-ci proclame en effet : « Les hommes naissent libres et égaux en droits ». Elle ne dit pas : « Les hommes naissent libres et égaux ». Remarque mesquine, pourrait-on dire, dans la mesure où nous faisons presque tous ce raccourci commode. Un simple oubli qui serait en effet sans conséquence s’il n’exprimait pas la revendication d’une autre égalité, d’une égalité réelle.
Il serait possible d’être favorable à une égalité femme/homme réelle si le postulat des études de genre était une théorie.
La demande d’égalité réelle peut avoir deux significations. Elle peut être l’exigence que l’égalité en droits soit respectée, et c’est ce que nous devons tous souhaiter. La démocratie doit, certes, assurer le respect des lois, mais nous savons tous qu’il y a toujours des individus qui arrivent à passer outre, qu’il y a toujours eu et qu’il y aura malheureusement toujours des personnes qui voleront, qui tueront et qui ne respecteront pas les droits des autres. La demande d’égalité réelle peut être aussi la demande d’une égalité totale qui se traduise au niveau des comportements et des résultats. Cette exigence d’égalité réelle suppose qu’il n’y ait plus d’atteinte aux droits, que toutes les inégalités soient uniquement dues à une construction sociale sexiste et à des discriminations appelées à disparaître rapidement. C’est ce qu’avancent les études de genre. Celles-ci ont connu un grand succès en luttant contre le sexisme de conservateurs qui justifiaient les injustices par la nature. Elles mettent en évidence les différences d’éducation entre les garçons et les filles, l’influence des stéréotypes, qui expliqueraient leurs performances inégales. Ces études ont fait avancer la démocratie mais elles n’arrivent cependant pas à prouver les liens entre construction sociale et résultats, et encore moins à prouver qu’elle serait seule en cause. Malgré cela, le postulat de départ des études de genre est pris pour une conclusion, alors que pour être une théorie scientifique il aurait au moins fallu vérifier s’il n’y avait pas d’autres causes possibles à ces inégalités. Le fait de donner une poupée comme jouet à une petite fille peut en effet l’influencer, mais rien ne prouve que sans cela elle n’aurait pas envie de s’occuper des enfants, simplement pour imiter sa maman ou une autre femme qu’elle a pu voir donnant le sein à un bébé (et ce rôle ne peut être jugé sexiste).
Il serait donc possible d’être favorable à une théorie des études de genre s’il n’y avait pas d’autres causes aux inégalités de comportements et de performances que la construction sociale et les discriminations, mais ce n’est absolument pas certain. Les découvertes récentes semblent en effet montrer que d’autres éléments, indépendants du social, contribuent aux différences homme/femme.
Il est encore impossible de montrer de façon certaine tous les liens entre la biologie et les comportements des hommes et des femmes, mais les sciences commencent à mettre à jour les différences hormonales et l’influence de ces dernières. On sait par exemple que l’ocytocine qui envahit la femme dans la période de l’accouchement favorise « l’accordage » nécessaire avec le petit enfant dans la période dite d’assertivité. On connait aussi beaucoup mieux les effets de la testostérone sur le petit garçon à la naissance et tout au long de sa vie. Boris Cyrulnik rappelle que lorsque l’on injecte de la testostérone à une femelle chimpanzé cela peut suffire à la faire changer d’objet pour jouer. Il est certes encore difficile de mesurer les effets produits par les taux de ces hormones sur le comportement de l’homme et de la femme mais il paraît de plus en plus difficile de les nier.
Il existe une autre différence qui n’est jamais pris en compte par les études de genre : la différence de structuration du psychisme. Étant du domaine de l’inconscient, elle est, certes, par définition non maîtrisable. Elle ne peut par contre être soupçonnée de dépendre de la culture et elle est difficile à ne pas envisager. On ne peut en effet nier que le fait de naître dans un corps de femme d’une personne du même sexe pour une fille ou dans un corps d’homme d’une personne du sexe différent pour un garçon (et ceci est totalement indépendant du lieu et de l’époque) puisse avoir un effet au moins aussi important que le fait de donner une poupée en cadeau. D’autre part, si l’on s’accorde, avec la très grande majorité des psychologues, pour dire que les petits enfants, garçons ou filles, ont pour première référence la maman et que celle-ci est perçue comme une divinité toute-puissante, on peut aussi imaginer qu’ils ne vont pas réagir pareillement si elle est petite fille appelée à devenir comme sa maman ou s’il est petit garçon devant trouver un modèle ailleurs. Si la petite fille peut continuer à s’identifier à sa maman avec la certitude de devenir (si ce n’est d’être déjà) toute-puissante comme elle, le petit garçon va devoir renoncer à son premier modèle et à la possibilité d’être tout-puissant. Cette castration psychique primaire est absolument terrible. Elle l’oblige, pour pouvoir subsister, à refouler cette souffrance et il est possible d’imaginer que ce refoulement l’incite à dénigrer ce qu’il ne peut plus être et devenir : une fille, une femme, une divinité.
S’il est possible de trouver d’autres causes aux inégalités homme/femme, cela veut dire que les études de genre se trompent, qu’il reste des différences inhérentes à la condition humaine et qui n’ont rien d’injustes. Il n’y a donc pas d’égalité homme/femme (et n’est-ce pas d’ailleurs la raison pour laquelle il est absolument nécessaire qu’il y ait égalité en droits ?).
S’il n’y a pas égalité entre l’homme et la femme, il n’y a donc pas d’égalité entre le père et la mère. L’un ne peut remplacer totalement l’autre. Mais est-ce si important ?
Un enfant a besoin d’affection et celle-ci peut être différente suivant le sexe et aussi suivant les personnes. Le plus important reste que l’enfant puisse en avoir.
Il est aussi possible d’admettre que l’enfant puisse trouver l’image de la femme ou de l’homme dans l’entourage, même si ce n’est pas la situation la plus facile.
Si le rapport parents/enfants n’existe qu’au niveau imaginaire et affectif, il est donc possible de dire que la différence des sexes n’a pas tellement d’importance.
Mais n’y a-t-il pas aussi un niveau symbolique ?
Le père et la mère ne sont en effet pas semblables, et il est même plus que probable que les petits enfants ne les perçoivent pas tels qu’ils sont.
Les petits enfants apparemment perçoivent leur maman, qui leur a tout apporté avant et même encore après la naissance, comme toute-puissante, et il est logique de penser que la petite fille, qui pense être comme elle puisqu’étant du même sexe, n’aura pas avec elle le même rapport que le petit garçon qui a découvert qu’il ne pourra jamais l’être.
Percevant leur maman toute-puissante, les enfants peuvent surtout difficilement intégrer la loi venant d’elle. Comment en effet les limites pourraient-elles être intégrées lorsqu’elles viennent d’une personne semblant n’en avoir aucune ? S’ils peuvent éventuellement lui obéir, ce n’est pas par respect pour la règle qu’elle pose mais par crainte de perdre son amour. Quand la maman veut limiter la petite fille qui se perçoit elle-même toute-puissante, celle-ci ne se sent pas concernée. Quand elle veut limiter le petit garçon qui n’a pas encore assumé sa non toute-puissance, lui ne cherche en fait qu’à l’imiter pour lui faire plaisir et espérer rester comme il la perçoit : sans limite. La loi décidée ensemble ne peut donc être intégrée que si elle vient d’un homme qui n’est pas perçu comme un dieu et qui accepte de l’assumer et de la dire. Ce dernier ne sera-t-il encore écouté comme un père que si la maman lui donne cette fonction en prenant elle-même la fonction de mère. Pour cela, elle doit montrer à l’enfant qu’elle écoute l’homme qu’elle aime et donc qu’il mérite d’être écouté. Elle fait ainsi voir au petit enfant, qui à cet âge ne veut pas l’admettre, qu’elle n’est pas toute-puissante puisqu’elle manque et désire ailleurs. Ce n’est que si la loi est ainsi intégrée que la mère pourra plus tard (vers cinq, six ou sept ans, selon des neuropsychiatres) être comprise comme une personne pouvant parler au nom de la loi, et que celle-ci pourra aussi être posée par d’autres adultes et intégrée.
Les petits enfants ont besoin que la loi soit dite par un homme nommé par la maman pour pouvoir être intégrée. Cela veut dire que les fonctions de père et de mère sont indispensables et non interchangeables. Elles ne peuvent être jouées que par un homme et une femme qui s’aiment assez pour être crédibles. Françoise Dolto ne disait-elle pas que le père est l’homme qui rend la maman heureuse ?
S’il est une chose que des petits enfants puissent vivre apparemment épanouis dans des familles où les fonctions de père et de mère se jouent mal, voire pas du tout, il en est une autre de les priver délibérément de ces fonctions symboliques nécessaires pour acquérir des repères solides. Peut-on prendre le risque d’en faire des enfants-rois hors la loi, plus ou moins difficiles à gérer, plus ou moins tyranniques avec leur entourage, des enfants incapables d’assumer les frustrations et qui, n’ayant pas de modèle de père suffisamment solide, risquent, comme de jeunes Allemands dans les années 1930, d’en inventer une caricature qu’ils trouveront chez le nazi, chez le chef de bande, chez le gourou, chez le chef nationaliste, chez le jihadiste… ? Il paraît donc difficile de cautionner une institutionnalisation d’une situation où des petits enfants pourraient grandir dans des familles où il y aura deux mamans ou deux papas, qui peuvent être certes assez aimants mais où il n’y aura jamais la possibilité que les fonctions de père et de mère puissent se jouer.