Le divorce est un pilier de notre droit républicain, et plus généralement du droit occidental, et c’est pourtant un droit qui n’est pas en harmonie avec les autres principes auxquels nous sommes attachés. Il n’est pas en accord avec notre souci des libertés politiques, puisqu’il est l’occasion d’interventions violentes et arbitraires de la puissance publique dans la vie privée. Il n’est pas en accord avec le principe d’égalité puisqu’il conduit inévitablement à donner l’avantage à un parent sur l’autre. Il n’est pas en accord avec notre souci de protéger les enfants puisqu’il les blesse si profondément qu’il faut ensuite mettre en place des secours et des soins ayant pour seule fonction de réparer les dégâts produits par le divorce, et malgré cela nous savons qu’il est à l’origine de nombreuses dérives chez les adolescents (délinquance, suicide, addiction, insécurité affective et dépendance). Il n’est pas en accord avec notre souci de lutter contre l’exclusion puisqu’il est une cause majeure de la déchéance des adultes vers la maladie mentale ou la marginalité sociale. Que penser alors de ce droit central autant qu’incongru, et de quel type de droit s’agit-il ?
La séparation des familles et son régime
Ce sujet est typiquement un de ceux sur lesquels la parole et la pensée sont bloquées pour des raisons idéologiques fortes et nous pouvons nous demander pourquoi. Autour de la famille en crise, nos pays européens ont mis en place un système, qu’on peut appeler « système du démariage [1] », dont la mission est la séparation des familles, à la demande d’un seul de ses membres, et qui implique, pour ne pas dire compromet, l’institution judiciaire, de la base au sommet, la psychiatrie et le travail social, qui ont renoncé en la matière à la rigueur épistémologique, ainsi que les gardiens institués des sciences sociales plus ou moins officielles. Lorsqu’une idéologie est la référence nécessaire au fonctionnement d’un système qui coordonne l’action et parfois même assure l’existence d’un si grand nombre de professions (chacune d’elles étant elle-même tenue fermement par un ordre et une hiérarchie), on comprend bien que l’objectiver et l’examiner calmement suscite de très fortes résistances. Des résistances dans les tribunaux et les cours, dans les hôpitaux, dans le travail social en milieu ouvert, dans les services à l’enfance des conseils généraux, et bien ailleurs encore. Ce système est si étendu et ramifié qu’on peut l’appeler un régime, et chacun sait qu’un régime se défend s’il se sent remis en cause.
Il faut avoir une philosophie très assurée de la parole pour être convaincu de sa différence radicale avec le discours ambiant [2]. Une parole de vérité, παρρησία, même si, d’un point de vue superficiel, on peut la confondre avec un discours militant parmi d’autres, a un processus de formation qui n’a rien à voir avec celui du discours. Celui-ci justifie, défend, soutient un ordre social en place, tandis que la parole procède d’une éthique que la philosophe Simone Weil a particulièrement bien mise en évidence :
« Il y a une alliance naturelle entre la vérité et le malheur, parce que l’une et l’autre sont des suppliants muets, éternellement condamnés à demeurer sans voix devant nous [3]. »
Elle veut dire qu’une parole de vérité est celle qui satisfait l’exigence éthique fondamentale de parler au nom de ceux qui sont exclus d’un ordre social, les malheureux, car la vérité ne se révèle qu’à partir de cette position d’extériorité. L’enfance, par exemple, et en particulier l’enfance malheureuse, en tant qu’elle est prise en charge par un ordre social mais n’y collabore en aucun cas, peut conduire à une parole de vérité chez ceux qui voudraient effectivement lui donner voix, et cela n’a rien à voir avec la construction d’un discours savant sur les enfants. Les enfants ne sont-ils pas ces « suppliants muets, éternellement condamnés à demeurer sans voix devant nous » ?
Est-ce que de donner des droits aux enfants y change quelque chose ? Non, rien. Le discours sur le droit des enfants est précisément un discours. Les adultes ont des droits, par exemple le droit de divorcer. Le divorce est un droit, certes, pour les grands, dans le sens où un régime le garantit par l’ordre légal. L’ordre légal a pour fonction, dans l’opposition entre deux conceptions de la vie, de donner aux uns, ceux qui veulent se séparer, un ascendant sur les autres. Le droit au divorce est ce qui donne force de norme sociale et psychique à un comportement parmi d’autres. Il est ce qui fige un rapport de forces entre deux visions de la vie. En ce sens, l’enfant n’a aucun droit, car il ne peut faire valoir le respect de l’enfance ; et la convention de l’ONU du 20 novembre 1989 n’est qu’une affaire d’adultes. L’enfant n’est jamais sujet de droit : il est objet, objet de soin, de sollicitude, d’amour. Le droit ne peut pas servir à tout, et les juristes doivent reconnaître ses limites. Les droits de l’enfant conduisent, par un effet pervers, à faire de l’enfant un objet de manipulation pour qu’il parle dans un sens ou dans l’autre comme on le voit tous les jours dans les familles en crise. Le droit, en ces matières, ne peut conduire qu’à des impasses. Le droit au divorce ne doit-il pas être limité par quelque chose qui est supérieur au droit, et qu’on pourrait appeler l’enfance ? L’enfance n’est-elle pas une sorte de sacralité devant laquelle le droit, qu’on a tendance à idolâtrer, pourrait avoir l’humilité de se suspendre ?
Ce qui peut empêcher la formation d’une parole véritable, en dissidence avec le régime socio-judiciaire en place, est de plusieurs ordres. À l’intérieur du système, il y a bien évidemment l’autocensure des professionnels sous une pression corporatiste, liée à l’esprit de corps, qui s’exerce surtout au moment de la formation professionnelle. Car, bien souvent, la formation professionnelle, notamment celle des magistrats, revient à une corruption de l’intelligence et du cœur aux seules fins d’adapter la recrue au système qu’elle a pour mission de faire fonctionner. Mais ce qui empêche également le surgissement d’une vraie parole, c’est la confiance naïve que les gens ont a priori dans le système judiciaire. Plus quelqu’un ignore le fonctionnement des tribunaux, ou plus il feint de l’ignorer, plus il leur accorde sa confiance. C’est un fait qui peut régulièrement être constaté que chaque fois que le discrédit est jeté sur l’institution judiciaire, une sorte d’angoisse, irrationnelle et assez puérile, en résulte chez le grand nombre de ceux qui ont quasiment un besoin psychique de croire, comme on dit, « en la justice de notre pays », c’est-à-dire au fait qu’il existe une justice sur cette terre. En l’occurrence, il s’agirait de croire que l’institution judiciaire est la mieux placée pour défendre l’intérêt des enfants. Seulement ce besoin de croire et de faire confiance donne aux magistrats une sorte de blanc-seing qui ne peut que conduire, de manière quasi mécanique, au relâchement et à l’abus. Sous couvert d’on se sait quelle aura de sacralité que lui confèrent les craintes irrationnelles et la crédulité populaire, jusqu’à une quasi idolâtrie laïque du procès, l’institution judiciaire fait passer une politique étatique des mœurs qui n’a rien à voir avec une quelconque neutralité de l’État. Il faudrait mieux se demander ce que l’expérience nous enseigne et juger du travail des chambres civiles qui s’occupent des familles à leurs résultats. Il apparaîtrait alors clairement que la séparation des familles est un résultat objectif du travail judiciaire, que plus de deux millions d’enfants ne voient que très peu l’un de leurs parents, le plus souvent le père, et que les conséquences délétères de ce fait sont multiples. La justice familiale échoue, dans des proportions considérables, à préserver la coparentalité qui est dans l’intérêt des enfants.
L’individualisme, idéologie officielle
Pourtant, n’est-ce pas la même institution judiciaire qui assure la protection de l’enfance en danger ? Le développement de la protection de l’enfance est en lien direct avec le divorce. Les enfants sont quelquefois en danger dans les familles trop closes, mais de moins en moins. Aujourd’hui, le danger principal pour l’enfant, c’est l’éclatement de sa famille et les conséquences qui en résultent. Encore faut-il savoir ce qu’on appelle situation dangereuse pour un enfant.
Dans les années suivant la dernière guerre mondiale, le mouvement familial, qui se caractérise par une intense vie associative dont la fondation de l’Union nationale des association familiales est l’aspect le plus visible, tente de promouvoir la famille, en convoquant les sciences et la philosophie pour cerner ce que Gabriel Marcel appelait « le mystère familial ». L’idée était que les « sciences de la famille » allaient pouvoir donner une visibilité à « l’Être familial », mais aussi une dignité, une valeur sans laquelle l’existence humaine ne peut même pas se penser. La recrudescence sans précédent de l’idéologie individualiste allait ensuite balayer, avec tout ce que les mouvements historiques comportent d’excessif, ce projet d’anthropologie familialiste. Au sein du droit, ce projet cherchait notamment à construire la famille comme une personne morale. En 1949, un juriste comme René Savatier pouvait écrire : « De toutes les personnes morales, la famille est même, sans doute, la première et la plus naturelle [4]. » L’interprétation individualiste des droits subjectifs et des droits de l’homme a fait voler en éclat cette idée que la famille, en tant que personne morale, mérite autant de protection que les individus qui la composent, parce que précisément ces individus, plus qu’ils ne la composent, en émanent et lui doivent leur bien-être. Le mouvement pédocentrique au sein du droit, qui n’est qu’un avatar de l’évolution individualiste, va même jusqu’à construire l’idée d’un enfant à protéger d’abord et en premier lieu contre ses parents. Une certaine interprétation individualiste de la Convention sur les droits de l’enfant promeut une émancipation précoce au nom de l’intérêt de l’enfant et oppose souvent l’intérêt de l’enfant et l’intérêt des parents. Lorsque l’on connaît un peu la juridiction française du juge des enfants, on sait que nombreux sont les magistrats qui raisonnent de la sorte, ainsi que les éducateurs et assistants sociaux qui rendent des rapports et organisent des mesures d’assistance éducative. Il en résulte une certaine conception, disons étatique, de la protection de l’enfance. C’est dans cette conception irréfléchie qu’on voit aujourd’hui se précipiter toutes les bonnes volontés, aussi bien le zèle mal éclairé des magistrats que la sensibilité issue du familialisme militant que nous venons d’évoquer. Or cette sensibilité semble ne plus comprendre que, du point de vue familialiste, cette protection de l’enfance constitue un véritable danger pour l’enfant. René Savatier écrivait, par exemple :
« Quand on examine, dans le développement actuel de la société, les périls qui menacent l’être familial, on peut se demander si le principal de ces périls n’a pas changé de camp. Jusqu’à une époque récente, il était certainement dans le camp individualiste. Il surgit désormais, de plus en plus, dans le camp collectiviste, étatiste [5]. »
C’est une thèse qu’on retrouve dans les exhortations pontificales. C’est ainsi qu’on lit, sous la plume de Jean-Paul II, dans Familiaris consortio, une phrase comme celle-ci :
« L’action réciproque de soutien et de progrès entre la famille et la société est un idéal souvent contredit, et même gravement, par la réalité des faits où l’on constate leur séparation, voire leur opposition. […] C’est pourquoi l’Église prend ouvertement et avec vigueur la défense des droits de la famille contre les usurpations intolérables de la société et de l’État [6]. »
Il semble que la société actuelle conjugue les deux dangers tant redoutés par le mouvement familialiste. En effet, les familles y sont souvent détruites par les fondements individualistes sur lesquels leurs membres se construisent psychiquement, suite à quoi l’intervention étatique vient organiser tout un système de protection de l’enfance. C’est pourquoi l’on peut se demander si les bases sur lesquelles l’on construit aujourd’hui la protection de l’enfance ne sont pas pernicieuses.
L’enfance au risque de l’éclatement des familles
Sans qu’on puisse affirmer la multiplication des actes, le champ de la maltraitance dont l’enfant est la victime gagne chaque jour en visibilité. Cependant, appréhendé à travers le sensationnel et les effets d’indignation, de dégoût, d’horreur qu’il produit, on peut se demander s’il ne perd pas en intelligibilité.
Une manière d’y voir clair serait de distinguer deux sortes de maltraitance : la maltraitance par les actes et la maltraitance par la structure.
La maltraitance par les actes est variée, mais aisée à repérer, à signaler : absence de soin ou de nourriture, séquestration, violence, abus sexuel, etc. La maltraitance par les structures désigne tous les modes de vie qui, dans la durée, se révèlent extrêmement toxiques pour les enfants. Par exemple, il est certains systèmes familiaux, psychiquement pathologiques, qui peuvent constituer une maltraitance. Cependant, les deux formes principales de cette maltraitance-là sont l’abandon et la privation d’un parent.
On sait combien l’abandon constitue pour l’enfant une douleur infiniment plus grande que bien des maltraitances actives. Il peut même parfois produire les pathologies psychiques les plus profondes. Bien qu’il n’attente pas directement au corps de l’enfant, il demeure une des maltraitances les plus destructrices.
Mais on peut se demander aussi, à l’heure où l’on voit se répandre le divorce pour convenance personnelle, si certaines structures familiales ne consistent pas à imposer une vraie souffrance aux enfants, pour des motivations d’adultes, parfois légères au demeurant. Est-ce que les monoparentalités imposées à l’enfant par l’un de ses parents, est-ce que les recompositions familiales parfois précaires (sans même parler de l’homoparentalité) ne sèment pas trouble et malaise dans l’enfance d’aujourd’hui ? Priver l’enfant d’un de ses parents ou de ses deux parents est une maltraitance moins aperçue mais comparable à l’abandon dans ses effets nocifs sur l’enfant. Loin de la vision théorique des choses, un très grand nombre de divorce s’accompagnent de l’aliénation de l’enfant à l’un de ses parents et de l’exclusion de l’autre. Ces situations sont pathologiques et pathogènes. La pédopsychiatre Caroline Eliacheff peut écrire :
« Est-ce que j’irai jusqu’à dire qu’écarter un peu, beaucoup, passionnément un des parents est une forme de maltraitance ? Oui, si c’est nécessaire pour me faire entendre [7]. »
Le conflit de loyauté qui peut déchirer l’enfant lors du contentieux parental est une souffrance extrêmement profonde.
Malheureusement, les interventions judiciaires et sociales, qui se font au nom de la protection de l’enfance, aggravent assez souvent ces situations qu’elles sont censées régler. La protection de l’enfance est la plus généreuse de toutes les ambitions. Mais l’expérience montre qu’il y a un danger aussi dans les idées les plus généreuses lorsqu’elles sont mises en œuvre par un système partisan, surtout soucieux de défendre le sacro-saint droit au divorce.
D’abord, comme Ulysse entre Charybde et Scylla, il arrive que protéger l’enfant contre un danger soit le faire tomber dans un autre. Il convient donc de pratiquer un calcul des dangers et de viser le moindre mal, faute de mieux. Les effets pervers de certaines formes de l’aide sociale ne sont plus à démontrer. Priver l’enfant de ses parents, ou de l’un de ses parents, a été longtemps une réponse à la maltraitance, mais il a bien fallu reconnaître l’échec d’une telle prise en charge. Dans un livre de référence, Pierre Verdier a contribué à faire évoluer la protection de l’enfance en rappelant que les services sociaux « ne doivent pas exclure les parents, qu’ils ne doivent pas supprimer les relations mais les permettre en établissant une mise à distance [8] ». Depuis lors, une politique de travail avec les familles, de soutien à la parentalité et de recours à la médiation familiale a été mise en œuvre. Et cependant, aujourd’hui encore, l’expérience pédopsychiatrique de Caroline Eliacheff l’oblige à écrire : « Lorsqu’ils nous sont adressés, nous traitons non seulement les effets des dysfonctionnements parentaux mais aussi ceux des institutions chargées de protéger les enfants [9]. » Et elle ajoute, par ailleurs : « Les professionnels n’ont pas encore intégré l’idée qu’on ne respecte pas un enfant si l’on ne respecte pas ses parents [10]. » Il en résulte que l’un des premiers objectifs de la protection de l’enfance étant de ne pas nuire aux enfants, il convient d’accélérer la difficile évolution vers des logiques plus globales qui consistent à aider les familles afin que l’enfant puisse y retrouver une place plus juste. Cette aide aux familles doit commencer par un soutien à la structure familiale la mieux adaptée aux besoins de l’enfant. Il ne faut pas oublier, en effet, que la première atteinte à la coparentalité dont l’enfant a besoin est la séparation parentale. Lorsque cette séparation ne peut être que constatée, il convient de trouver les solutions les plus propres à apaiser le conflit parental et à préserver la coparentalité.
La dédramatisation en la matière n’est possible que par une clarification des lois en ce qui concerne la parentalité et la coparentalité. La clarification des lois, l’équité et le recul de l’arbitraire sont des conditions nécessaires à une bonne protection de l’enfance. Multiplier les situations où l’on se demande si un enfant sera confié à un parent plutôt qu’à l’autre, ou si un enfant sera placé ou laisser à la garde de ses parents, c’est évidemment mettre l’enfant au centre de drames dont il portera la trace toute sa vie. Pour ne pas tomber trop souvent dans des situations aussi critiques, il faut établir clairement, à l’heure où l’on parle d’accorder des droits aux beaux-parents au risque d’ajouter de la confusion à la confusion, que l’enfant a vocation à être élevé par ses parents, que lorsque les parents se séparent une coparentalité équitable doit être maintenue, que ni la parentalité ni la coparentalité ne sont à la merci de décisions arbitraires et plus ou moins justes.
Or, on a vu récemment, dans la polémique autour de la résidence alternée, que reprenaient vigueur certaines positions réactives, réactionnaires, et même révisionnistes [11]. Réactives à l’égard d’un événement récent, en l’occurrence la loi de 2002 rendant possible la résidence alternée et favorisant la coparentalité. Réactionnaires, en ce qu’elles défendent le retour aux modèles anciens, ni plus ni moins. Or ces modèles anciens, que dans le vocabulaire judiciaire on appelle « droit de visite classique » et qu’il vaudrait mieux appelé « droit de visite restreint », ont montré qu’ils échouaient à maintenir la coparentalité, distendant progressivement le lien entre l’enfant et le parent visiteur, devenant parent secondaire. Et ce retour à l’ancien modèle se fait au nom de la théorie pseudo-scientifique de l’attachement préférentiel à la mère : « Il y a toujours une hiérarchie et une figure principale d’attachement qui aujourd’hui encore, malgré le travail féminin et la plus grande implication des pères, est le plus souvent la mère [12]. » C’est avec beaucoup de naïveté, qui révèle beaucoup d’ignorance, qu’une phrase comme celle-ci renvoie à une sorte de « hiérarchie » naturelle, typique des discours réactionnaires. Révisionniste, ces positions le sont dans le sens où il s’agit tout simplement de dénier un problème social, de dire qu’il n’existe pas. En effet, tout analyste sérieux de la situation contemporaine doit évoquer la transformation du droit dans le sens d’une égalité parentale, la nouvelle organisation des couples qui donne au père une présence réelle, au quotidien. De manière plus profonde, le sociologue Paul Yonnet fait remarquer que le nouveau statut de l’enfant, qui est d’être l’enfant du désir, change fondamentalement la donne : « La venue d’enfants désirés a bouleversé le vécu de la séparation lorsqu’il y a des enfants », écrit-il. Et, un peu plus loin : « Autant le père pouvait autrefois accepter de se voir privé de son enfant – il restait père –, autant il lui paraît de moins en moins supportable d’en être séparé – donc d’être d’une certaine manière radié de l’ordre des pères, puisqu’on ne le reste qu’en pouvant l’être effectivement [13]. »
L’enfance au risque des luttes de pouvoir
Cependant, on ne saurait comprendre pourquoi ces positions réactionnaires plaisent autant aux tribunaux alors même qu’on peut en mesurer la nocivité, si on ne considère pas la logique institutionnelle qui leur donne force. Celle-ci est une logique de pouvoir. La question de la résidence de l’enfant en réalité en cache une autre : celle du pouvoir d’un parent sur l’autre parent. Ce qu’on appelle hypocritement « la stabilité de vie de l’enfant » ouvre sur des solutions judiciaires qui, en réalité, donnent à un parent une toute-puissance dont il peut abuser à sa guise, ce qu’il ne se prive pas de faire. On voit de très nombreuses situations où, en dépit du partage théorique de l’autorité parentale, le parent chez qui l’enfant réside le plus souvent ni n’informe ni ne consulte l’autre parent sur la vie ordinaire de l’enfant. On observe à foison des cas d’abus d’autorité parentale, notamment lorsqu’il s’agit de déménager pour mettre entre l’enfant et le parent secondaire une distance géographique de nature à rendre impossible soit la résidence alternée, soit même le droit de visite classique. La question de la résidence est indissociable du pouvoir qu’elle donne à un parent sur l’autre ainsi que sur les enfants. Il ne faut pas être naïf : le parent mis en situation de toute-puissance, parce qu’il « a la garde », c’est-à-dire qu’il devient le parent au quotidien, le parent principal, le parent prépondérant, eh bien ! ce parent accapare à la longue les enfants. On peut toujours poser, en théorie, que les adultes sont responsables, qu’ils ont une conscience morale, etc. ; mais dans la réalité d’un divorce, dans la violence du conflit, le parent en position de force influence les enfants contre l’autre parent, se venge par les enfants. Ces solutions d’inégalité parentale sont particulièrement prisées par l’institution judiciaire et celle-ci travaille constamment à installer la domination de l’un sur l’autre, au mépris de toute coparentalité. C’est dans la logique de cette institution de mettre en place des situations de domination, et non pas des situations de justice et d’équilibre : elle veut dominer elle-même et, ensuite, elle donne un pouvoir de domination à l’un des parents sur l’autre. La conception judiciaire de l’intérêt de l’enfant, qu’il faut clairement distinguer de l’intérêt réel de l’enfant, exclut la recherche de l’équilibre, du respect mutuel, du dialogue, de l’égalité. Elle vise à asseoir une prééminence. Or on peut se demander si l’intérêt réel de l’enfant ne serait pas d’être éduqué en fonction de ces valeurs. L’égalité parentale, par exemple, n’est pas une question d’égalité entre l’homme et la femme : c’est une réponse à un besoin qu’a l’enfant de voir son père autant respecté que sa mère et vice versa. Si les solutions judiciaires habituelles du système du démariage offrent un bilan tellement négatif, c’est qu’elles reposent sur l’idée qu’on règle un contentieux en établissant, par force judiciaire, une situation d’inégalité et de domination. Mais une telle situation ne fait qu’aviver le conflit ! Et en plus elle rend impossible la moindre éducation saine. C’est dans une éducation saine que l’enfant trouve sa stabilité, bien plus que dans une résidence ! Or dans les situations de divorce, une éducation saine n’est plus possible, dès lors qu’on met un parent en situation de toute-puissance et d’abus permanent (abus approuvé par l’institution puisque c’est sa logique propre).
Promouvoir des règlements éthiques, fondés sur l’équilibre des pouvoirs parentaux, sur le respect des parents exige une réforme profonde du système socio-judiciaire qui travaille à la séparation des familles. Faire vivre, même au sein du divorce, les valeurs qui sont par ailleurs les nôtres suppose de faire avancer la médiation familiale, même à titre préventif. Il faut être conscient qu’une partie des divorces est motivée par le pouvoir qu’un parent veut prendre sur l’autre : il est théorique de dire que seuls les époux divorcent, car ce sont souvent les parents qui divorcent, pour renverser à leur profit la coparentalité. Tant qu’on instituera des situations de domination et de toute-puissance, ce sera un appel au divorce, celui-ci étant le moyen pour un parent de prendre sa revanche sur l’autre.
Notre conviction est qu’une réforme profonde du système du démariage suppose que la juridiction des affaires familiales et celle de la protection de l’enfance en danger soient remises à plat, puis soient reformées en une juridiction nouvelle en fonction de deux objectifs. Premier objectif : une conception plus dynamique du judiciaire qui maintiennent la procédure constamment ouverte et permette de rendre les situations plus évolutives. Deuxième objectif : l’invention d’un dispositif de régulation extérieur au judiciaire, qui soit aussi un dispositif d’accompagnement des familles en crise, capable d’améliorer les situations critiques. Ce dispositif, thérapeutique et éducatif, devrait mobiliser le conseil conjugal et la médiation familiale, le juge demeurant largement en retrait. Il pourrait constituer, hors du tribunal, un conseil d’accompagnement familial. Il suffirait peut-être de transformer en ce sens l’aide sociale à l’enfance, en arrêtant la comédie des procès familiaux et leurs innombrables effets pervers sur les enfants.
Notes
- Ghitti (Jean-Marc), Pour une éthique parentale. Essai sur la parentalité contemporaine, Paris, Éditions du Cerf, collection « Recherches morales », 2005, p. 221sq.
- Cf. Ghitti (Jean-Marc), La parole et le lieu. Topique de l’inspiration, Paris, Éditions de Minuit, collection « Paradoxe », 1998, p. 9sq.
- Weil (Simone), Écrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, collection « Espoir », 1957, p. 32.
- Collectif, Recherche de la famille. Essai sur “l’Être familial”, Paris, Éditions familiales de France, 1949, p. 64.
- Ibid., p. 65.
- Jean-Paul ii, Exhortation apostolique Familiaris consortio, 22 novembre 1981, n. 46 (traduction française : La documentation catholique, nº 1821, 3 janvier 1982, p. 22).
- Eliacheff (Caroline), La famille dans tous ses états, Paris, Albin Michel, 2004, p. 81.
- Verdier (Pierre), L’enfant en miettes. L’aide sociale à l’enfance, bilan et perspectives, Paris, Dunod, 1997 (4e édition), p. 135.
- Op. cit., p. 194.
- Op. cit., p. p.150. La psychanalyste et pédopsychiatre Caroline Eliacheff a particulièrement bien compris que « les institutions dont la fonction est précisément de protéger les enfants, y compris envers leurs parents, peuvent, elles aussi, faire preuve de violence, notamment en disqualifiant la fonction parentale » (Vies privées. De l’enfant roi à l’enfant victime, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 13). Derrière cette disqualification étatique du parental, il faut voir plus fondamentalement une disqualification de la famille. Très lucide à l’égard du système judiciaire, Caroline Eliacheff évoque notre « société qui transforme la protection qu’elle octroie en abus de pouvoir » (p. 85) et qui « suppose acquis que le respect des besoins fondamentaux de l’enfant et la solution des conflits familiaux relèvent du juridique » (p. 91). Claire Brisset a également pu constater, en tant que défenseur des enfants, combien il est difficile de faire admettre que l’institution judiciaire ne protège pas les enfants : « La justice a-t-elle au nombre de ses missions essentielles de veiller au sort que la société réserve aux enfants et aux adolescents ? Poser la question est déjà faire œuvre d’irrévérence tant il est difficile de parler de la justice de manière neutre » (Rendre justice aux enfants, Paris, Anne Carrière, 2006).
- On pense surtout au récent Livre noir de la garde alternée (Paris, Dunod, 2006). Les livres noirs ont commencé par porter sur les grandes catastrophes de l’histoire, pour dénoncer les massacres qui ont été perpétrés au nom d’idéologies généreuses. Mais récemment, par une sorte d’inversion, on a vu les livres noirs être accaparés par des idéologies, assez souvent superficielles, pour devenir des instruments de combats idéologiques. Le plus célèbre est Le livre noir de la psychanalyse. L’ouvrage de chez Dunod est du même acabit, s’inscrivant dans une démarche identiques. D’abord, il s’agit de livres collectifs, peu élaborés. Livres de circonstance, ils sont avant tout des livres militants qui visent la polémique et le sensationnel. Le propre de ces livres noirs nouvelle version, c’est qu’ils s’installent dans une sorte de position paranoïaque. Comme le relève la psychanalyste Élisabeth Roudinesco à propos du Livre noir de la psychanalyse, « l’expression de “livre noir” renvoie à l’existence de complots et de massacres occultés ». En l’occurrence, Jacqueline Phélip, instigatrice de ce livre, évoque, à mots couverts, « la pression de groupes et de tendances politiques diverses », laissant entendre que les associations de pères et les partis de gauche se sont coalisés pour faire voter une loi qui fait souffrir les enfants. Toutefois, ce qu’on peut reprocher à ces livres noirs, habités par de bien noires pulsions inconscientes et tout aveuglés d’idéologie, ce n’est pas qu’ils usent de la critique : c’est qu’ils en usent bien mal. Et qu’ils manquent, en particulier, de courage. De courage pour se mettre au travail et produire une analyse de la situation, mais de courage politique aussi. L’intention de venir au secours des enfants qui souffrent est certes louable, mais ce qu’il faut poser alors, ce n’est pas le problème de la « garde » : c’est celui de la séparation et du divorce, celui de l’instabilité des couples. Il faut évidemment plus de courage pour le faire ! Le propre des ces livres noirs, c’est qu’ils prennent le symptôme pour le mal. Madame Phélip aurait dû écrire, tant qu’à faire, le livre noir du divorce !
- Phélip (Jacqueline), op. cit., p. 7.
- Yonnet (Paul), Le recul de la mort. L’avènement de l’individu contemporain, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque des sciences humaines », 2006, pp. 300 et 307.
Article publié dans la revue Études, tome 407, novembre 2007, pp. 475-486.
L’auteur écrit : « Les livres noirs ont commencé par porter sur les grandes catastrophes de l’histoire, pour dénoncer les massacres qui ont été perpétrés au nom d’idéologies généreuses. Mais récemment, par une sorte d’inversion, on a vu les livres noirs être accaparés par des idéologies, assez souvent superficielles, pour devenir des instruments de combats idéologiques. Le plus célèbre est Le livre noir de la psychanalyse. ».
Prétendre que le livre noir de la psychanalyse ne dénoncerait pas un massacre relève du canular ! Depuis Freud, la psychanalyse n’est que charlatanisme. Freud fut un des plus grands escrocs du début de notre ère. Aujourd’hui, le freudisme est la plus grande secte du monde. Vu les souffrances engrangées par cette fausse science (vu les morts qu’elle n’a pas su empêcher et les suicides qu’elle provoque chaque année), il est temps que ce fléau porte le nom qui lui revient.
Rappelons qu’en 1980, toutes les références freudiennes ont été retirées du DSM III pour leur absence de scientificité. La psychanalyse a fait l’objet d’un rapport de l’INSERM en 2004 qui démontre qu’elle est sans efficacité sur le plan thérapeutique et elle a aussi été désavouée en 2010 par la Haute Autorité de Santé pour sa fausse prétention à pouvoir soigner l’autisme ! Si la psychanalyse n’était pas douée d’effets de détérioration, on pourrait dire qu’elle ne sert à rien.
Pour mémoire, Madame Roudinesco n’a aucune connaissance en psychologie. Elle ne possède d’ailleurs aucun diplôme de psychologue. Comment peut-elle donc porter un jugement sur une pratique qui lui échappe sans faire de la polémique ? Rappelons qu’elle a traité Michel Onfray de nazi, de vichyste, de pétainiste, de compagnon de route des négationnistes, de révisionniste, d’antisémite, de défenseur de l’idéologie de l’extrême droite française, etc. !
Rappelons que contrairement à ce qu’elle affirme Madame Roudinesco ne prend pas la défense systématique du freudisme en tant qu’historienne, mais en en tant qu’avocate. Pour mémoire, elle n’est l’auteure d’aucun travail de recherche sérieux en histoire, et elle n’a écrit aucun livre d’histoire sur la psychanalyse.