Pour une vraie égalité hommes/femmes, en politique et dans la famille (Évelyne Sullerot)

Sullerot (Évelyne), « Pour une vraie égalité hommes/femmes, en politique et dans la famille », allocution prononcée à Paris le 14 juin 1997, lors du colloque organisé dans le cadre du sixième congrès SOS PAPA. Évelyne Sullerot est sociologue et écrivain.

Me Martine Valot-Forest (avocat), Évelyne Sullerot (sociologue) et Denise Cacheux (ancienne députée), au sixième congrès de SOS PAPA, Paris, 14 juin 1997 (© SOS PAPA)

Me Martine Valot-Forest (avocat), Évelyne Sullerot (sociologue) et Denise Cacheux (ancienne députée), au sixième congrès de SOS PAPA, Paris, 14 juin 1997 (© SOS PAPA)

 

Mes chers amis,

Mon mari a coutume de dire que je suis la mère des pères, maintenant ! J’espère que je ne suis quand même pas la mère de tous les pères ici présents. Mais je voudrais rappeler la première fois que je suis venue à votre assemblée générale, c’était il y a cinq ans, et, à ce moment-là, SOS PAPA n’était guère connu. Je voudrais remercier Michel Thizon, toutes celles et tous ceux qui l’aident, parce que grâce à leurs efforts constants et persévérants, inventifs et sincères, profondément sincères, je crois que désormais SOS PAPA est un logo célèbre, et c’est une cause qui a émergé.

Quels pères ? Quels fils ?Lorsque j’étais venue cette première fois, il y a donc cinq ans, c’était juste après la sortie de mon livre Quels pères ? Quels fils ?, et je vous avais dit combien de fois, pendant l’enquête qui avait précédé la rédaction de ce livre, j’avais été traitée de « réac » pour avoir eu la curieuse idée de m’intéresser aux pères séparés de leurs enfants, et combien de fois j’avais entendu toujours la même phrase : « Vous savez, pour les enfants, il vaut mieux parfois ne pas avoir de père, ou en être séparés. » J’ai entendu cette phrase des centaines de fois. Et combien de fois j’avais entendu mettre en cause la souffrance paternelle : « Les hommes n’ont pas tellement envie d’avoir leurs enfants en garde, ils veulent seulement embêter leur femme. » C’est ce que j’ai entendu d’innombrables fois, et on me prenait comme complice en me disant : « N’est-ce pas, vous le savez bien, etc. »

Je voudrais donc signaler que, depuis cette époque, vous êtes parvenus, tous, et particulièrement grâce aux efforts de Michel Thizon, à percer un peu, et même beaucoup, ce mur de préjugés. Parce qu’il y avait un mur de préjugés, et je crois que désormais on vous ressent comme des hommes de cœur, malheureux ; le plus difficile, c’était peut-être de faire comprendre que vous étiez malheureux, et non pas des névrosés avides de vengeance et voulant absolument faire du mal à leur femme.

Vous avez donc réussi à faire comprendre cette souffrance et, il y a cinq ans, cette dimension sensible de la souffrance des pères n’était pas perçue. Il semblait que seules les femmes avaient l’apanage du cœur et, si vous apparaissiez comme souffrant justement dans votre paternité, c’était caricaturé comme une sensiblerie pas très normale d’individus bizarres. On m’avait dit : « Vous allez voir, ils sont tous brindezingues. »

Or, rappelez-vous, dans mon intervention à cette époque, je vous ai dit : « Attention, ne vous focalisez pas uniquement sur les injustices des pratiques judiciaires, ne faites pas des JAF (qu’on appelait à ce moment-là des JAM) vos seules têtes de turc. » Ne vous en prenez pas seulement aux lois et à l’application des lois, parce que le mal est plus profond. C’est la sociologue qui vous parle : c’est la paternité qui est dévalorisée, dans une sorte de jeu de balancier qui, après avoir favorisé la puissance du père pendant des siècles, est parti à l’opposé vers une sorte de surévaluation de la maternité.

En tant que femme et mère, moi je trouve très bien qu’on reconnaisse à la femme mère un statut et un rôle à la hauteur de son investissement dans la procréation, dans la naissance et dans l’éducation des enfants. Mais je crois tout à fait préjudiciable et grave que cette surévaluation du rôle maternel ait été accompagnée d’une dévalorisation de la paternité. Particulièrement, je voudrais vous le dire, de la paternité biologique, de la paternité génétique. Que le père transmette la vie, qu’il soit indispensable pour l’équilibre de l’enfant, que celui-ci connaisse son père comme le dit l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant, cela, la société actuelle ne le supporte pas. Nous avons ratifié cette convention en France mais, à la Commission nationale consultative des droits de l’homme dont je suis membre, on m’a encore dit que cet article ne devait pas être considéré comme valable en France.

Au fond, cette nécessité, pour l’équilibre de l’enfant, de connaître son père n’est pas reconnue en ce moment par la société française, ni par les juristes, ni par les psychologues, ni par beaucoup de sociologues. La société actuelle est donc braquée en ce moment contre les données de la biologie, qui trouve des liens inaltérables, indéniables, infalsifiables aussi, qui relient un père à son enfant, une mère à son enfant. D’ailleurs, observez que les droits parentaux en France ne sont reconnus que s’il y a une reconnaissance juridique. Il n’y a pas du tout de reconnaissance de la naissance et des droits biologiques s’il n’y a pas d’abord une reconnaissance juridique. Ce qui est valorisé maintenant, ce sont deux choses : la volonté des parents, c’est-à-dire vouloir être parent, et souvent c’est plus reconnu chez les parents adoptifs que chez les parents naturels ; et l’éducation de l’enfant, qui est survalorisée.

Or, dans ce jeu qui tend à faire prévaloir la volonté des adultes plutôt que la transmission de la vie, c’est la paternité biologique la plus déconsidérée. J’ai entendu dix mille fois dire : « Mais le spermatozoïde c’est rien du tout ! Ça n’a aucune importance ! » SpermatozoïdeOn pense donc de plus en plus que le père biologique peut être instrumentalisé. Par exemple, si une femme désire un enfant et que son mari est stérile, maintenant on va faire un enfant par insémination artificielle avec donneur, la fameuse IAD, et le donneur de sperme est prévenu : il demeurera complètement anonyme. C’est une sorte d’instrument introuvable, inconnu, et la loi de 1994 a prévu des peines incroyables pour le donneur de sperme qui cherche à connaître les parents et l’enfant qui est issu de son don.

On retrouve cette espèce de négation du père biologique dans les cas, assez nombreux encore, de légitimation d’un enfant par un homme qui n’est pas le père. Alors, d’une part, les psychologues vont dire et redire : « Le père est celui que désigne la mère. » Donc, en somme, c’est la mère qui va faire le père. Vous avez lu cela dans les écrits d’Aldo Naouri. On avait eu l’impression qu’il fallait donner au rôle du père une importance qu’il semblait quand même absolument nécessaire de reconnaître, et vous avez vu que ça retombe sur ce même mépris du père biologique. C’est la mère qui va désigner qui est le père.

D’où un accent constant mis par les journalistes, par exemple, sur le beau-père dans les fameuses familles recomposées. En ce moment, je suis constamment interwievée pour mon dernier livre. On me parle toujours de ces familles recomposées, et on me dit toujours : « Le beau-père est bénéfique pour l’enfant », comme s’il était mieux d’être beau-père que d’être père. Il y a là quelque chose de très profond dont je vous voudrais que vous preniez conscience parce que, finalement, on a l’impression que le jeu de la volonté de la mère va faire redistribuer la parentalité selon ses désirs.

Par exemple, cette notion de « famille recomposée » : c’est un foyer recomposé, oui, mais ce n’est pas une famille recomposée, puisque l’enfant, ou les enfants, ont toujours leur père d’un côté et leur mère de l’autre. Leur famille à eux est décomposée ; alors que eux, femme ou homme, ont recomposé une famille, d’accord. Mais pour l’enfant, la famille reste décomposée, et ce n’est pas le beau-père qui peut être un « substitut de père », puisqu’on parle maintenant dans ces termes.

D’autre part, on a de plus en plus tendance à parer le père adoptif de toutes les qualités qu’on dénie au père biologique, c’est très curieux. Il s’agit de préjugés, naturellement, il ne s’agit pas de réalités, mais regardez par exemple comment a été divulgué dans les médias toute l’affaire du petit tahitien qui s’appelle Lionel. Bon, d’une part, son père l’avait reconnu juridiquement dans les délais légaux, à quatre mois je crois, dès qu’il en avait connu l’existence. Il était donc le père biologique et le père juridique. D’autre part, les parents adoptifs n’étaient pas les parents adoptifs ; ils se sont dit les parents adoptifs, mais ils n’avaient pas encore signé l’adoption. Néanmoins, toute la presse, jusqu’à Anne Sinclair dans 7 sur 7, s’est élevée contre ce père, qui était traité de père biologique comme si c’était une injure. D’ailleurs, j’ai entendu à un tribunal un père qui demandait un droit de visite un peu supérieur à ce qui lui avait été accordé, et on lui a dit : « Mais finalement, Monsieur, vous n’êtes que le géniteur. »

Je crois qu’il faut que vous vous rendiez compte combien est profond cette sorte de mépris. Ce lien est la transmission de la vie, qu’il faut naturellement étoffer avec de l’amour, avec des soins, avec de l’éducation, avec de la responsabilité, etc.

Le grand remue-ménageAutre exemple : je suis maintenant constamment interrogée sur l’instabilité des couples, et je sais à quel point cela crée des problèmes dans la société. Mais on me laisse toujours entendre que les parents adoptifs ne divorcent pas. On dirait toujours qu’il y a une sorte de vertu toute particulière du moment où l’on n’est pas le père d’un enfant. Alors, je me suis posée la question : « Comment en est-on arrivé là et comment peut-on en sortir ? » C’est ce que j’ai voulu un peu retracer dans le livre Le grand remue-ménage, qui analyse donc l’histoire récente de la famille en France. En fait, j’ai voulu répondre à la question que Michel Thizon m’avait posée la première fois qu’il est venu me voir : « Je veux comprendre comment nous en sommes arrivés là, je veux comprendre ce qui s’est produit dans notre société pour qu’on en arrive à subir tout d’un coup ce que nous subissons. »

Alors, en effet, je crois qu’il faut voir comment les faits, les lois, ont évolué, et essayer aussi de comprendre la manière de s’en sortir. Je crois que SOS PAPA a eu raison de ne pas s’en tenir aux seules situations créées par l’iniquité envers les pères divorcés, mais aussi d’y inclure les pères non mariés, parce que là il y a une situation assez grave et préoccupante ; rappelez-vous qu’ils n’ont toujours pas l’autorité parentale quand ils reconnaissent leurs enfants.

J’ai essayé de retracer ces trente années durant lesquelles, surtout depuis vingt ans, le couple a beaucoup plus compté que le lien père-enfant, mère-enfant, et c’est cela qui a vraiment détourné l’attention. On s’est avant tout focalisé sur une sorte de société de choisir : liberté de choisir son conjoint, liberté de s’en séparer. Je suis tout à fait pour, mais attention quand il y a un enfant ! Attention, parce que si ces séparations en chaîne se traduisent par une séparation de l’enfant avec un de ses parents, le plus souvent le père, elles vont entraîner des coûts psychologiques ou sociaux extrêmement importants, et je dirais presque un déficit démocratique, parce qu’elles vont entraîner des inégalités pour les enfants qui vont être élevés par une mère seule ou par une mère avec un nouveau conjoint.

Je pense qu’il nous faut inventer une nouvelle société où l’on pourra se séparer, mais où père et mère continueront d’élever tous deux, à part entière, à égalité, leurs enfants. Il en va de la cohésion sociale et de la démocratie. Je pense qu’un mouvement comme le vôtre a un grand rôle à jouer pour faire comprendre que l’on doit pouvoir établir cette société où les séparations seront suivies d’une coparentalité.

Moi, depuis que je suis adulte, j’ai toujours entendu les enseignants dire qu’ils pouvaient tout faire pour les enfants, l’éducation complète, totale, à commencer par la maternelle ; d’ailleurs, je les ai souvent soutenus. Pour la première fois, j’entends des enseignants dire que les enfants ne vont pas bien, et particulièrement les enfants séparés d’un de leurs parents, surtout de leur père. L’école ne peut pas leur apporter ce qui leur manque aujourd’hui, c’est-à-dire les repères familiaux stables. Quand leurs parents sont séparés et qu’ils n’ont pas, justement, ces repères familiaux et cette double éducation, partout les enfants sont maintenant beaucoup plus nerveux, beaucoup plus instables ; ils cherchent les repères, la protection et l’autorité de leurs deux parents.

Égalité donc, ou au moins disons bi-parentalité, parce que je pense que le rôle du père et le rôle de la mère ne sont pas égaux ; bi-parentalité avant les séparations, et après les séparations.

En tous cas, compliments à SOS PAPA de n’avoir pas sombré dans l’anti-féminisme où d’autres sont tombés, et d’avoir soutenu la parité, la parité dans la famille, la parité dans le travail. Alors là, pour les femmes elle n’est pas encore là. Autant je vous défendrai dans la famille, autant j’aimerais que vous soyez à nos côtés pour vous rendre compte qu’il n’y a pas encore une vraie égalité pour les femmes dans le travail. Et dans la vie politique, alors je n’ai pas besoin de le dire, on sait les chiffres, qui sont encore assez minables. Je pense donc que vous avez là un excellent argumentaire, un argumentaire solide, qui montre que vous êtes pour équilibrer les rôles des sexes dans les trois registres famille, travail, cité.

Mais n’oubliez pas que la famille est aujourd’hui de plus en plus dévalorisée. Par qui ? Pas par un parti, mais par les tenants de l’individualisme à tout-va. Ils jouent l’enfant contre les parents, et je voudrais attirer votre attention, par exemple, sur toute la campagne sur la maltraitance, parce qu’elle va très souvent se retourner contre vous. Il y a une sorte de soupçon permanent ; les journalistes adorent faire croire que, s’il y a maltraitance, c’est forcément les parents. Et que des deux parents, s’il y a en un qui est plus brutal et plus vicieux, c’est forcément le père ; tout est en train de monter, monter. Vous le voyez, par exemple, dans les divorces pour faute, et il y aura de plus en plus de difficultés à donner des preuves inverses ; mais ce qu’il faut surtout, c’est nous dresser ensemble pour dire que ce n’est pas la famille qui est le principal auteur des maltraitances des enfants. Il va falloir faire très attention, il y a beaucoup de gens anti-famille, des gens donc tout prêts d’essayer de faire un procès à des pères à travers tout cela. En somme, ces tenants de l’individualisme ont pour but de dresser les enfants contre les parents, les femmes contre les hommes, et les hommes contre les femmes.

Alors, je voudrais vous rappeler que, dans la famille, le triangle est indispensable. Si le côté père-mère est fragile et qu’il entraîne souvent des séparations, il ne doit pas du tout entraîner la parité entre les rapports père-enfant et mère-enfant, qui doivent rester absolument solides. Donc, là, le combat que vous avez à faire, c’est revaloriser la paternité, et, croyez-moi, il y a de quoi faire, revaloriser la famille, et particulièrement la parité, l’égalité, dans ces rôles d’éducation. Égalité n’est pas semblance. Par exemple, je crois qu’il faut que vous fassiez apparaître que c’est particulièrement quand les enfants sont adolescents qu’ils vont avoir besoin du référent paternel. On l’oublie toujours, on parle toujours des bébés, pour montrer que les femmes sont bien plus nécessaire à ce moment-là. Il faut donc toujours repartir de ce triangle familial. Les enfants ont besoin de leur deux parents, et les femmes et les hommes ont besoin d’être égaux dans le travail et dans la cité.

Merci.

[Applaudissements]

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