Une sortie médiatique d’Emmanuel Macron
La courte vidéo (2’14) ainsi que l’interview du président de la République publiées par le magazine Elle les 7 et 8 mai font beaucoup réagir. En quelques mots, sans beaucoup d’explications et de manière très évasive, Emmanuel Macron y déclare souhaiter ouvrir un débat en vue d’« instaurer un devoir de visite, un devoir d’accompagnement jusqu’à l’âge adulte des enfants » (c’est moi qui souligne). Depuis, la presse et les commentateurs s’échinent à tenter l’exégèse de la parole présidentielle. Depuis, les experts et les activistes de tous bords s’écharpent et se répandent en prises de position péremptoires.
P@ternet, réseau de réflexion sur la paternité, est bien convaincu que les parents ont des devoirs : devoir de subvenir aux besoins de l’enfant, de l’éduquer, l’entourer, l’aimer, l’accompagner au jour le jour dans sa découverte du monde et vers sa futur autonomie d’adulte… S’occuper de son enfant est un devoir moral, un devoir humain, un devoir premier qui incombe à tout parent.
Certes il existe des parents désinvestis de la vie de leur enfant. Des parents qui ne sont pas, ou pas assez, présents auprès de leur enfant. Certes ce désinvestissement pose problème, pour l’enfant, et pour la société dans son ensemble.
Est-il pour autant pertinent d’en faire une obligation légale ? Et quid de la mise en application d’une telle inscription dans notre code civil et notre code pénal ?
État des lieux
Peu avant cette sortie médiatique d’Emmanuel Macron, une proposition de loi a été déposée le 2 mai 2024 à l’Assemblée nationale. Le dispositif envisagé consiste en le remplacement dans le code civil du droit de visite et d’hébergement par un devoir de visite et d’hébergement, et l’introduction dans le code pénal « d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros » en cas de non respect de ce devoir.
Je n’ai pas trouvé mention d’un lien entre cette proposition de loi et la parole présidentielle. La seconde étant très floue et évasive, la première peut cependant aider à porter un éclairage sur ce dont il est, ou pourrait être, question : l’introduction d’un devoir nouveau dans le code civil accompagné d’une sanction afférente dans le code pénal.
Rappelons tout d’abord que plusieurs devoirs parentaux sont d’ores et déjà inscrits dans la loi.
L’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme suit :
« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. » (c’est moi qui souligne)
Et l’article 373-2 du code civil précise ce qu’il en advient lors d’une séparation parentale :
« La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent. » (c’est moi qui souligne)
Le devoir parental envers l’enfant est donc bien présent dans notre corpus législatif.
Celui-ci n’est cependant pas accompagné d’une sanction pénale, ou du moins pas directement dans le cas qui nous occupe ici, qui est celui du désinvestissement parental.
On trouve certes dans le code pénal l’article 227-17 ainsi rédigé :
« Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Cet article se trouve cependant sous le titre « De la mise en péril de la santé et de la moralité des mineurs » (articles 227-15 à 227-21). Cette inscription dans une section consacrée à la mise en péril des mineurs et la formulation du dispositif basée sur le verbe « compromettre » (compromettre la santé, la sécurité…) indiquent que l’intention du législateur n’est pas de sanctionner un désinvestissement en lui-même, mais des actions directement nuisible à l’enfant.
Des devoirs parentaux sont donc déjà affirmés dans le code civil qui incluent un devoir d’investissement parental auprès de l’enfant, mais l’absence d’investissement parental n’est pas sanctionnée en tant que telle par le code pénal.
Inscrire un nouveau devoir dans la loi ?
L’évolution législative suggérée par Emmanuel Macron, et celle envisagée par la proposition de loi sus-citée, n’a donc au civil qu’une incidence assez limitée. Il s’agit d’étendre la portée du devoir d’investissement parental en précisant que, pour le parent au domicile duquel la résidence de l’enfant n’est pas fixée, recevoir son enfant en « visite » et l’« héberger » n’est pas un droit simple mais une obligation.
Il en va tout autrement au pénal. Se soustraire à l’accueil et hébergement de son enfant deviendrait passible d’une lourde sanction.
On peut alors se poser les questions suivantes :
- Est-il pertinent de modifier le code civil afin d’affirmer dans la loi qu’accueillir son enfant en visite et hébergement est un devoir ?
- Est-il pertinent, et est-il réaliste, de pénaliser le non respect d’un tel devoir ?
Considérons tout d’abord le cas général, majoritaire, de parents lambda, de suffisamment bons parents, qui peut-être conservent quelques conflits l’un envers l’autre, mais ne posent pas de problèmes critiques vis-à-vis de l’enfant.
Les articles 371-1 et 373-2 du code civil disposent déjà que chacun des parents doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et assurer l’ensemble des devoirs relevant de l’autorité parentale. Une inscription supplémentaire au code civil n’apporterait pas grand chose.
Le cas des parentalités gravement pathologiques (en particulier des situations de violence ou de maltraitance) est clairement hors du champ visé par les innovations envisagées. Il ne fait aucun doute que les promoteurs de ces évolutions législatives seront d’accord pour affirmer qu’aucun devoir de visite ou d’hébergement ne doit être confié à un parent violent ou maltraitant.
Reste donc le cas de parents non violents ou maltraitants, mais désinvestis de la vie de leur enfant.
Est-ce bien dans l’intérêt de l’enfant que de forcer, dans le cadre d’un dispositif judiciaire, répressif, le contact avec un parent qui ne souhaiterait pas s’occuper de son enfant, n’en ressentirait pas l’envie, le besoin, la nécessité ? Il est permis d’en douter.
L’enfant a besoin d’une parentalité investie, convaincue comme une évidence de l’importance du temps de vie partagé. Peut-être imposer ce temps de vie commune pourrait-il débloquer quelques situations d’absence par (mauvaise) habitude, de manque de contact par situation enkystée de manque de contact où l’éloignement s’auto-alimente. Mais est-ce sain de passer pour cela par le glaive de la justice ?
Cela relèverait plutôt des services sociaux, qui pourraient être incités à mieux rechercher une réelle coparentalité, à mieux accompagner l’implication d’un parent trop peu présent dans la vie de l’enfant. Travailler, plus encore que cela n’est déjà fait, avec les professionnels de l’enfance à promouvoir la coparentalité aurait du sens. Imposer un contact peut-être non souhaité laisse perplexe.
Lever les obstacles à la paternité
P@ternet considère que l’angle d’approche n’est pas le bon. Plutôt que de judiciariser et sanctionner, il faudrait s’interroger, sérieusement s’interroger, sur les nombreux obstacles à la paternité auxquels font face beaucoup de pères et qui déterminent leur éloignement de leurs enfants bien plus qu’une fantasmée mauvaise volonté de leur part.
Pendant et après une séparation parentale, tout tend à éloigner les pères de leurs enfants.
Il y a la question des moyens. Conserver après séparation un temps de vie commune suffisant pour maintenir vivante la relation parentale nécessite, entre autres, un logement adapté pour y recevoir ses enfants. Ceci est tout simplement impossible pour une large majorité de nos concitoyens dont le niveau de vie ne permet pas de financer deux logements suffisamment grands. Un parent est alors sacrifié pour concentrer les moyens sur le parent restant et les enfants. Beaucoup de pères se voient ainsi de fait rejetés hors du quotidien de leurs enfants.
Au delà des moyens, il y a la pression sociétale. Les milieux professionnels de l’enfance ne voient pas toujours d’un bon œil que des hommes demandent à s’occuper pleinement de leurs enfants. Le réflexe est souvent de s’adresser à la mère, le père se sentant traité en intrus. Les employeurs sont souvent bien moins enclins encore pour un homme que pour une femme à accepter la souplesse nécessaire à l’exercice de la parentalité solo. L’entourage familial, amical, professionnel est souvent bien moins compréhensif encore qu’il ne le serait avec une mère quant aux conséquences des contraintes parentales. Certains avocats déconseillent de demander la résidence alternée car compliquée à défendre… La société toute entière tend à faire pression sur le père pour le renvoyer à un rôle de pourvoyeur financier, et tend à le couper de la vie quotidienne de ses enfants.
Misandrie toujours…
Au delà, un élément à prendre en compte dans la parole présidentielle est la discrimination ostensiblement affichée entre pères et mères. Ce sont les pères qui sont inlassablement visés, suspectés, pointés du doigt, mis au banc des accusés. Avec un contraste saisissant, les mères sont exonérées de tout manquement potentiel. Dans la vidéo référencée au début de cet article, Emmanuel Macron se permet d’ajouter les mots suivants à une tirade consacrée aux devoirs des pères et aux insuffisances de ces derniers : « parce que c’est jamais le cas pour les mères ».
La misandrie est une des choses les mieux partagées dans nos sociétés modernes. Si cela n’est pas nouveau, il est consternant de voir le plus haut personnage de l’État se fourvoyer bassement dans le pater bashing. Cette vidéo et cette interview présidentielles ont sans nul doute été soigneusement vérifiées, validées avant mise en ligne. Difficile dans ces conditions de plaider la maladresse de l’expression spontanée.
Que le président de la République, qui est censé représenter tous les citoyens, joue ainsi les mères contre les pères, c’est-à-dire les femmes contre les hommes, c’est-à-dire la moitié de notre population contre l’autre moitié, en dit long sur la misandrie de notre époque, tellement banalisée qu’au plus haut niveau de l’État on s’y fourvoie sans même s’en aviser.
Interview archivée au format PDF (3.64 Mo, 6 p.).
Proposition de loi nº 2578 archivée au format PDF (99 Ko, 4 p.).