Autorité respectable et respectée…

Jean Gabard (© D.R.)

Dans la famille, à l’école, dans la rue, nous ressentons de plus en plus la nécessité de l’autorité, mais le simple fait de l’évoquer fait penser à un retour en arrière, à un passé dont nous ne voulons plus. Alors, aujourd’hui, quelle autorité peut, à la fois, respecter les femmes, les hommes et les enfants et être respectée ?

Il n’y a pas si longtemps encore, la femme, mise en position d’infériorité, cédait l’autorité à un homme qui avait tendance à en abuser. En s’enfermant dans le sérieux et le rigorisme, il se comportait plus en dictateur qui « faisait sa loi » pour son plaisir, qu’en père qui se contentait de la dire, pour le bien de l’enfant. En ne provoquant chez ses enfants que l’envie de se rebeller, il ne leur apprenait pas à assumer la frustration : il ne jouait pas la fonction de père et ne leur permettait pas de grandir.

La « révolte contre le père » des années 60-70 a bouleversé la donne. Aujourd’hui, parce que nous avons réagi, à juste titre, contre l’autoritarisme et le sexisme, la situation a été inversée. L’homme, même lorsqu’il est présent physiquement, parce qu’il ne veut plus exercer de fonction répressive ou parce que la maman ne veut plus la lui donner, ne peut plus être perçu par l’enfant comme quelqu’un qui mérite d’être écouté. C’est alors très souvent la maman qui exerce seule l’autorité parentale. Ceci est encore beaucoup plus vrai après une séparation.

Cette femme moderne qui n’est plus écrasée par la présence d’un patriarche au pouvoir absolu parait maître du jeu. Elle peut certes avoir des réticences à employer la fermeté avec « la chair de sa chair » mais peut très bien se montrer tout aussi capable et sévère qu’un homme. Et pourtant, malgré sa bonne volonté et malgré les apparences, cette autorité que l’on voudrait parentale, devient très souvent une « autorité pas rentable » ! En effet, de plus en plus d’enfants sont des enfants-rois, qui dans la famille n’intègrent pas les limites et les respectent encore moins quand elles sont posées par d’autres « autorités » à l’école et dans la société.

Ceci n’est pourtant pas une fatalité !

Si nous assumons la différence des sexes (et maintenant les sciences prouvent que les différences autres que physiques ne viennent pas que de la construction sociale) et le fait que la maman est fantasmée toute-puissante [1] par le petit enfant, celle-ci ne peut jouer les mêmes fonctions symboliques que le père. Ce qu’elle fait et dit est toujours interprété différemment par le tout petit enfant, qui, s’il peut enregistrer énormément de sensations, n’a pas encore les moyens de tout comprendre. Si cette maman fixe seule des limites sans faire intervenir un tiers différent, l’enfant risque de ne pas les intégrer. Il peut se soumettre, mais cherche surtout à lui faire plaisir pour ne pas la perdre. Son but est de la copier pour rester dans la toute-puissance avec elle. Quand la maman veut le limiter, l’enfant lui n’a, en fait, qu’une idée : l’imiter. Il n’est jamais question de loi à respecter puisque, pour lui, les mots viennent d’un lieu où la limite n’existe pas (qui obéirait à une règle venant d’une personne qui ne la respecterait pas ?). Il reste hors la loi (contrairement à l’enfant victime de l’autoritarisme qui peut la rejeter, lui, ne la connaît pas !).

Un homme (qui n’est pas forcément le géniteur ou même le papa) n’a pas mis au monde l’enfant. Il n’est pas perçu tout-puissant et se trouve mieux placé pour faire intégrer les limites aux enfants. Pour cela il doit non seulement jouer la fonction symbolique de père en disant la loi (décidée ensemble) mais aussi être écouté. Et il ne le sera que s’il est nommé père en étant aimé et valorisé par la mère.

En consentant à se présenter, aux yeux de l’enfant, comme quelqu’un qui écoute le père, la maman entre alors dans la fonction symbolique de mère. En donnant l’autorité à un « Autre » différent [2], elle signifie à l’enfant qu’elle n’est pas toute-puissante puisqu’elle manque et qu’elle a besoin de quelqu’un. Cet homme mérite alors d’être écouté et la loi à laquelle il se plie et qu’il se contente de dire (il ne s’agit pas de faire sa loi), sera plus facile à entendre [3]. L’exemple de ses parents assumant leur non toute-puissance permettra aussi à l’enfant de mieux accepter les limites.

Si nous voulons sortir des dérives actuelles, sans retomber dans les erreurs du passé, il nous faut inventer un nouveau projet qui, prenant en compte la différence des sexes, redéfinisse les fonctions que les pères et les mères ont à jouer, sérieusement, sans se prendre au sérieux. N’avons-nous pas tout à gagner ?

Notes
  1. Pour Aldo Naouri, « ce n’est pas la mère qui se décrète toute puissante ou qui cherche à l’être, c’est l’enfant qui la perçoit comme telle, quoiqu’elle fasse ou ne fasse pas ».
  2. Pour le psychanalyste Jean-Pierre Winter : « Ce n’est parce qu’un homme est un homme qu’il peut remplir la fonction paternelle auprès d’un enfant. Cette fonction ne peut être remplie que si la mère de l’enfant l’a choisi comme père pour cet enfant ou comme tiers pour cet enfant […] Pour être un tiers, il faut être dans l’altérité. »
  3. Cyrulnik (Boris), Sous le signe du lien : une histoire naturelle de l’attachement, Paris, Hachette, 1989 : « Quand il n’y a pas de “père psychique” l’enfant ne peut échapper à la toute puissance de cette mère dévorante. Pour trouver un semblant de libération, il cherche un père extra familial, un substitut paternel. Il trouve alors un chef de bande, un membre politique, un père charismatique, un fondateur de secte. »

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