Une réforme s’impose pour le partage des prestations familiales en cas de résidence alternée

Conseil d'État

Le code de la sécurité sociale prévoit que toute personne française ou étrangère résidant en France et ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant également en France bénéficie de prestations familiales pour ces enfants. Ce droit aux prestations familiales n’est en principe reconnu qu’à une seule personne au titre d’un même enfant, la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l’enfant (cf. articles L513-1 et R513-1 du code de la sécurité sociale). En cas de divorce ou de séparation, l’allocataire est celui au foyer duquel vit l’enfant. S’appliquant également en cas de résidence alternée de l’enfant, sauf pour les aides au logement et les allocations familiales, cette règle de l’unicité de l’allocataire a déjà donné lieu à de nombreux contentieux. Le Défenseur des droits a notamment estimé qu’elle est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et discriminatoire (voir par exemple la décision nº 2020-196 du 8 octobre dernier). Régulièrement interrogé à ce sujet, le Gouvernement a pourtant toujours refusé d’initier une réforme (voir par exemple les questions parlementaires du 31 décembre dernier sur le partage des prestations sociales entre parents divorcés).

Le Conseil d’État a ajouté aujourd’hui un nouvel épisode à ce mauvais feuilleton en enjoignant au Premier ministre de réformer l’article R513-1 du code de la sécurité sociale, ce texte faisant notamment obstacle, en cas de résidence alternée des enfants, à ce que celui des parents qui n’est pas allocataire puisse bénéficier du complément libre choix du mode de garde.

Le Conseil d’État avait été saisi en octobre 2019 par un courageux père de famille aux fins d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre et le ministre des Solidarités et de la Santé avaient refusé de faire droit à sa demande d’abrogation des articles R513-1 et R513-2 du code de la sécurité sociale qu’il avait présentée au mois de juillet précédent, et de leur enjoindre de procéder immédiatement à cette abrogation sous astreinte de mille euros par jour de retard. Le litige portait plus spécifiquement sur le partage du complément libre choix du mode de garde, une aide attribuée au ménage ou à la personne faisant garder ses jeunes enfants par un assistant maternel ou un employé à domicile.

Voici l’essentiel du raisonnement du Conseil d’État :

« 4. Il résulte des dispositions de l’article L. 513-1 du code de la sécurité sociale […] que le législateur a entendu lier l’attribution des prestations familiales, au nombre desquelles figure la prestation d’accueil du jeune enfant comprenant le complément du libre choix du mode de garde, à la charge effective et permanente de l’enfant. Dans le cas, seul en litige, où, à la suite du divorce, de la séparation de droit ou de fait des époux ou de la cessation de la vie commune des concubins, les parents exercent conjointement l’autorité parentale et bénéficient d’un droit de résidence alternée sur leur enfant mis en œuvre de manière effective et équivalente, l’un et l’autre de ces parents sont considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens de ces dispositions. L’attribution d’une prestation familiale ne saurait dès lors être refusée à l’un des deux parents au seul motif que l’autre parent en bénéficie, sauf à ce que les règles particulières à cette prestation fixées par la loi y fassent obstacle ou à ce que l’attribution de cette prestation à chacun d’entre eux implique la modification ou l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi.

« 5. L’objet du complément du libre choix du mode de garde est de compenser les frais engagés par la personne qui a la charge de l’enfant pour en assurer la garde en raison de son activité professionnelle. Son attribution est attachée au recours effectif à une personne pour garder de [sic] l’enfant qui, dans l’hypothèse en litige, réside alternativement chez chacun d’entre eux avec une résidence alternée mise en œuvre de manière effective et équivalente. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, dès lors que les deux parents peuvent prétendre dans cette hypothèse au bénéfice de cette prestation, son attribution ne peut être refusée à l’un d’entre eux au seul motif que l’autre parent y a droit, dès lors que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi n’y font pas obstacle et que l’attribution de cette prestation à chacun d’entre eux n’implique ni la modification ni l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi. [Le requérant] est par suite fondé à soutenir que cette règle de l’allocataire unique fixée au premier alinéa de l’article R 513-1, qui fait obstacle à ce qu’un parent bénéficiant d’une résidence alternée de son enfant mise en œuvre de manière effective et équivalente perçoive le complément du libre choix du mode de garde dès lors qu’il n’est pas cet allocataire unique, méconnaît dans cette mesure l’article L. 513-1 du code de la sécurité sociale. »

Le Conseil d’État a conséquemment décidé d’annuler le refus du Premier ministre d’abroger le premier alinéa de l’article R513-1 du code de la sécurité sociale et lui enjoint de modifier ces dispositions dans un délai de six mois à compter de la présente décision, toutefois sans astreinte.

Références
Conseil d’État
1re–4e chambres réunies
Lecture du 19 mai 2021
Décision nº 435429

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

Faire un don

Totalement indépendant, ne bénéficiant à ce jour d’aucune subvention publique et ne vivant que de la générosité privée, P@ternet a besoin du soutien de ses lecteurs pour continuer, et se développer. Si cet article vous a intéressé, vous pouvez soutenir P@ternet grâce à un don ponctuel en cliquant sur l’image ci-dessous.

helloasso

Laissez un commentaire (respectez les règles exposées dans la rubrique “À propos”)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.