Le Conseil constitutionnel a répondu aujourd’hui à une question prioritaire de constitutionnalité sur la non-déductibilité des pensions alimentaires pour enfants mineurs en résidence alternée, qui lui avait été transmise par le Conseil d’État le 24 février dernier – voir notre chronique du jour.
En l’espèce, le père d’une jeune fille résidant par alternance au domicile de ses deux parents avait fait l’objet d’un contrôle sur pièces à l’issue duquel l’administration fiscale avait remis en cause les déductions de pensions alimentaires versées à son ex-épouse au titre des années 2011 à 2013 et lui avait notifié en conséquence des cotisations supplémentaires d’impôts sur le revenu au titre de ces mêmes années. L’administration fiscale avait par ailleurs rejeté ces mêmes déductions dès le dépôt des déclarations de revenus des années 2014 et 2015, et avait notifié au père des cotisations primitives d’impôts sur le revenu intégrant dans les bases d’imposition les pensions alimentaires qu’il avait initialement déduites.
Le père avait alors demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de ces cotisations d’impôt sur le revenu, arguant notamment :
- d’une part, qu’il devait pouvoir déduire le montant des pensions alimentaires versées à son ex-épouse tout en bénéficiant de l’augmentation du quotient familial en application de l’article 194 du code général des impôts, dès lors que cette dernière ne portait que sur un quart de part supplémentaire, et que le refus opposé par l’administration fiscale portait atteinte aux principes d’égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques ;
- d’autre part, qu’il devait bénéficier d’une demi-part supplémentaire, et non d’un quart, en raison du rattachement de sa fille en résidence alternée à son foyer fiscal.
Débouté en juillet 2019, le père avait porté l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille, à laquelle il avait demandé de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du deuxième alinéa du 2º du II de l’article 156 du code général des impôts :
« – ces dispositions, dans leur rédaction issue du III.A. de l’article 30 [de] la loi de finances rectificative pour 2002 du 30 décembre 2002, méconnaissent le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt proclamé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et celui d’égalité devant les charges publiques posé à l’article 13 de cette déclaration, sans que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
« – à cet égard, premièrement, des inégalités non justifiées existeraient entre, d’une part, le parent ayant la garde alternée de son enfant et versant une pension alimentaire et, d’autre part, un parent qui, soit, détient la garde principale de son enfant et bénéficie d’une demi-part supplémentaire, soit, n’en a pas la garde et déduit alors la pension alimentaire dont il est débiteur ;
« – deuxièmement, s’agissant des parents de l’enfant en résidence alternée au domicile de chacun des parents, qui bénéficient à ce titre du partage de la part de quotient familial correspondant à leur enfant mineur, la disposition en litige entraîne une différence de traitement injustifiée entre celui qui verse la pension alimentaire et celui qui la perçoit ; en effet, cette pension n’est pas imposable entre les mains de celui qui la reçoit en application des dispositions de l’article 80 septies du code général des impôts, alors qu’elle n’est pas déductible des revenus du débiteur en vertu des dispositions en litige. »
Admettant le caractère sérieux de la question, la cour administrative d’appel de Marseille avait décidé de la transmettre en décembre dernier au Conseil d’État, lequel avait décidé en février de la transmettre à son tour au Conseil constitutionnel.
Lors de son audience publique tenue aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a jugé – comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre – que les dispositions contestées sont conformes à la Constitution et qu’elles ne portent pas atteinte aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques.
Le Conseil constitutionnel a d’abord écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques :
« 5. Selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés”. En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
« 6. L’article 194 du code général des impôts détermine le nombre de parts de quotient familial à prendre en considération, pour la division du revenu imposable, en fonction de la situation et des charges de famille du contribuable. En cas de divorce, d’imposition séparée des époux ou des partenaires d’un pacte civil de solidarité, de rupture de ce pacte ou de séparation de fait, l’enfant mineur est considéré comme étant à la charge du parent chez lequel il réside à titre principal et lui ouvre droit à une majoration de quotient familial. L’enfant mineur en résidence alternée au domicile de chacun de ses parents séparés ou divorcés est, sauf disposition contraire, réputé être à la charge égale de l’un et l’autre. En ce cas, la majoration de quotient familial à laquelle l’enfant ouvre droit est attribuée pour moitié à chacun des parents.
« 7. En application du premier alinéa du 2º du paragraphe II de l’article 156 du code général des impôts, la pension alimentaire versée à un enfant mineur est déductible du revenu global. Les dispositions contestées prévoient toutefois que cette pension n’est pas déductible lorsque l’enfant est pris en compte pour la détermination du quotient familial du débiteur de la pension.
« 8. Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.
« 9. En premier lieu, d’une part, l’attribution d’une majoration de quotient familial au titre d’un enfant atténue la progressivité de l’impôt sur le revenu d’un contribuable en fonction de sa situation et de ses charges de famille. D’autre part, la déduction d’une pension alimentaire versée à un enfant mineur prend en compte, dans la détermination du revenu imposable, les sommes versées par un parent pour la contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant. Dès lors, en refusant la déduction d’une pension lorsque le parent débiteur bénéficie déjà d’une majoration de quotient familial au titre du même enfant, le législateur a entendu éviter un cumul d’avantages fiscaux ayant le même objet.
« 10. En second lieu, si le parent qui a la charge partagée d’un enfant en résidence alternée ne peut pas, le cas échéant, déduire de ses revenus la pension alimentaire qu’il verse à l’autre parent, il bénéficie, en tout état de cause, de la moitié de la majoration de quotient familial.
« 11. Par conséquent, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant les charges publiques. »
Le Conseil constitutionnel a ensuite écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :
« 12. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi “doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse”. Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
« 13. En premier lieu, le législateur a entendu prendre en compte fiscalement la contribution d’un parent à l’entretien et l’éducation d’un enfant soit par la déduction de ses revenus de la pension qu’il verse à l’autre parent lorsque l’enfant a sa résidence principale chez ce dernier, soit par une majoration de son quotient familial quand il s’acquitte directement des dépenses nécessaires à l’entretien et à l’éducation de l’enfant qu’il accueille à son domicile de manière principale ou qu’il s’en acquitte directement pour moitié avec l’autre parent lorsqu’il accueille l’enfant de manière alternée.
« 14. Or, le parent dont l’enfant réside principalement ou de manière alternée à son domicile contribue de manière différente à l’entretien et l’éducation de l’enfant que le parent dont l’enfant réside de manière principale chez l’autre parent et à qui il verse une pension alimentaire qu’il peut déduire de son revenu.
« 15. Dès lors, en attribuant une majoration de quotient familial au parent ayant son enfant en résidence principale ou alternée sans lui permettre, le cas échéant, de déduire la pension alimentaire qu’il verse à l’autre parent, le législateur a établi une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi.
« 16. Au demeurant, ni la majoration de quotient familial ni la déduction d’une pension alimentaire n’ont pour objet d’attribuer un avantage fiscal qui compenserait exactement l’ensemble des dépenses engagées par un parent pour l’entretien et l’éducation d’un enfant.
« 17. En deuxième lieu, si, en règle générale, le principe d’égalité devant la loi impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Les dispositions contestées ne créent, s’agissant de la prise en compte fiscale de la contribution à l’entretien et à l’éducation d’un enfant, aucune différence de traitement entre un parent dont l’enfant réside principalement à son domicile et un parent dont l’enfant y réside de manière alternée dès lors que ni l’un ni l’autre ne peut déduire la pension alimentaire que, le cas échéant, il verse à l’autre parent.
« 18. En dernier lieu, si la pension alimentaire versée par le parent d’un enfant en résidence alternée n’est pas imposable entre les mains du parent qui la reçoit, cette circonstance ne résulte pas des dispositions contestées mais de l’article 80 septies du code général des impôts.
« 19. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi. »
- Références
- Conseil constitutionnel
Audience publique du 14 mai 2021
Décision nº 2020-871 QPC du 14 mai 2021
Décision du tribunal administratif de Marseille (5 juillet 2019) archivée au format PDF (231 Ko, 5 p.).
Ordonnance de la cour administrative d’appel de Marseille (4 décembre 2020) archivée au format PDF (133 Ko, 4 p.).
Décision du Conseil d’État (24 février 2021) archivée au format PDF (88 Ko, 2 p.).
Décision du 14 mai 2021 (Conseil constitutionnel) archivée au format PDF (225 Ko, 5 p.).
Commentaire officiel archivé au format PDF (278 Ko, 17 p.).
Dossier documentaire archivé au format PDF (1.09 Mo, 35 p.).
Mise à jour du 15 mai 2021
Décision du 14 mai 2021 publiée au Journal officiel de la République française (nº 112, 15 mai 2021, texte nº 110) archivée au format PDF (147 Ko, 3 p.).
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