La condition scolaire et télévisuelle des enfants

Lurçat (Liliane), « La condition scolaire et télévisuelle des enfants », allocution prononcée à Paris le 12 juin 1999, lors du colloque organisé dans le cadre du huitième congrès SOS PAPA autour du thème « L’enfant écarté du père ». Liliane Lurçat est directeur de recherche honoraire au CNRS.

Paul Bensussan, Liliane Lurçat et Didier Rey, colloque du huitième congrès SOS PAPA, Paris, 12 juin 1999 (© SOS PAPA)

Paul Bensussan, Liliane Lurçat et Didier Rey, colloque du huitième congrès SOS PAPA, Paris, 12 juin 1999 (© SOS PAPA)

 

Je souhaite évoquer la condition actuelle des enfants avec à l’esprit l’idée suivante : les enfants ne sont plus protégés du monde, ils subissent des pressions très fortes. L’ambiance sociale est marquée par l’importance des modèles médiatisés et par les mutations de l’école. La seule protection réelle, le seul rempart qui peut les protéger, demeure la famille, qui se trouve malheureusement fragilisée.

Le sujet concerne tous les parents qui se sentent préoccupés par la difficulté d’éduquer et de protéger les enfants des influences néfastes qui peuvent s’exercer sur eux. La dégradation des apprentissages scolaires nécessite une attention continue des parents, qui doivent suppléer aux insuffisances de l’école. L’absence du père ne peut être compensée par le seul soutien matériel et affectif. Il faut qu’il développe une intimité avec l’enfant fondée sur la confiance, tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Le père peut l’aider ainsi à accroître la force morale et intellectuelle indispensable pour surmonter les nombreux obstacles qu’il lui faudra franchir pour devenir un véritable adulte.

C’est à l’école que s’est révélée la transformation des enfants. En même temps que la maternelle s’ouvrait à tous les enfants âgés de trois à six ans, elle a dû s’adapter à ce public de jeunes consommateurs de télévision. La même situation a été vécue aux autres niveaux de l’enseignement. L’école a joué le rôle révélateur des transformations des enfants, elle en a subi le contrecoup avant même d’en comprendre les raisons.

L’impact des médias et de l’école dans la transformation des enfants s’est trouvé amplifié par la fragilisation des familles. Les familles ont aussi subi le changement de leurs enfants, sans bien le comprendre en raison de sa radicalité et de sa rapidité. Le développement massif de l’école à coïncidé avec l’accueil d’enfants et d’adolescents qui ont introduit des attitudes nouvelles dans l’institution scolaire. Les familles ont été trop souvent impuissantes devant l’emprise sur leurs enfants des modèles télévisuels et des influences extérieures au foyer. L’abandon éducatif s’est installé dans beaucoup de foyer. Les difficultés économiques et la dissociation de nombreux couples n’ont pas simplifié la tâche des parents submergés par les attitudes revendiquantes de leurs enfants.

L’« école de masse », ainsi nommée par ses promoteurs, se caractérise par le désir de scolariser tous les enfants sur le même modèle. L’hétérogénéité des niveaux n’engendre pas miraculeusement une homogénéité des résultats. De plus, l’égalité des goûts et des compétences ne se décrète pas. Le rassemblement des élèves selon le principe de l’hétérogénéité peut être source de violences nouvelles qu’on refuse de prévoir, ou même de voir.

L’école a changé dans son projet, ses démarches et sa manière de gérer le temps. Le temps scolaire est morcelé par la multiplication des vacances et des rentrées qui nécessitent chaque fois des réadaptions. Ce hachage du temps scolaire favorise les discontinuités mentales et l’instabilité physique et mentales des élèves. Il affronte les familles à d’épuisants problèmes d’organisation du temps.

Le temps consacré aux apprentissages de base est réduit, en même temps qu’est contestée la méthode de l’école élémentaire, fondée classiquement sur une transmission systématique et progressive des connaissances. L’imprécision des démarches, l’absence de rigueur pédagogique favorisent la confusion et l’incompréhension, tandis que les automatismes de base – lire, écrire et calculer – ne sont pas installés chez beaucoup d’enfants qui ne bénéficient pas du soutien familial, et mal installés chez beaucoup d’autres dont les connaissances sont lacunaires à des niveaux très élémentaires.

Les parents sont obligés de s’intéresser à l’école autrement qu’autrefois, car l’école à changé. C’est une école non séparée du monde, et devenue incapable à bien des égards de protéger les enfants d’eux-mêmes et des autres. L’école n’est plus l’institution sur laquelle on pouvait se décharger de l’instruction et de certains aspects de l’éducation des enfants. C’est un lieu qui reflète les vicissitudes de l’époque, en particulier l’abandon moral, et souvent matériel, de beaucoup d’enfants, livrés à toutes sortes d’influences que personne ne maîtrise.

La brutalité du monde moderne se révèle à l’école. Elle s’insinue jusque dans l’intimité du foyer par le biais de différents médias. Les enfants d’aujourd’hui subissent des influences très puissantes qu’ils s’exercent dès le berceau, notamment celle de la télévision dont l’effet cumulatif modèle leur personnalité en formation, faisant concurrence au modèle familial.

Ils peuvent ainsi échapper à leurs parents, car ils sont livrés à des influences plus puissantes et plus insidieuses, fondées sur la séduction et la peur. Avant d’entrer à l’école, et sans le savoir encore, ils appartiennent à un public de téléspectateurs. Mais c’est à l’école que se révélera ce public, quand se fera la rencontre avec le groupe d’âge.

Ils découvrent à l’école la complicité télévisuelle dans les goûts et les jeux partagés. Devant ce public déjà constitué, les maîtres sont amenés à gérer des enfants sous influence, qu’ils ne comprennent pas, et qui sont beaucoup plus difficiles à discipliner et à instruire.

On rencontre à présent beaucoup d’enfants mal insérés dans le réel et vivant parfois une sorte de déréalisation, de coupure avec la réalité. Leur insertion dans le monde réel se trouve entravée par la place trop grande faite au divertissement dans la vie quotidienne. Le temps trop long consacré chaque jour au divertissement favorise la substitution insidieuse de la fiction à la réalité.

Être un enfant aujourd’hui, contrairement aux époques antérieures, c’est être imprégné de différents aspects du monde et de la société par l’intermédiaire des médias. Les conséquences de cette initiation, à la fois brutale et permanente, se manifestent dans des comportements nouveaux, individuels et collectifs, qui inquiètent à juste titre. Ils mettent en cause l’équilibre des enfants, ils les sortent prématurément de l’enfance à l’âge où ils ont le plus besoin d’être entourés et guidés par leurs parents.

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