Coret (Pierre), « Communiquer avec son enfant séparé. Nécessités, obstacles, solutions », intervention lors du colloque organisé à Paris le 8 juin 1996 dans le cadre du cinquième congrès SOS PAPA. Le docteur Pierre Coret est psychiatre et pédopsychiatre.
Il faut éviter ce type de relation où l’enfant doit petit à petit se mouler complètement dans les désirs de sa mère s’il veut être aimé, s’il veut être accepté et reconnu. La mère, en général, va faire en sorte, bien entendu, d’éliminer le père, et tombe dans le panneau dans la plupart des cas. Exemple : la mère merveilleuse qui est capable de s’ouvrir le ventre pour donner à manger à son enfant, l’amour maternel dans toute sa splendeur. Et le père qui bosse comme un dingue, qui n’est jamais là, et qui va boire un coup avec ses copains. Dans un tel cas de figure, le plus dangereux des deux pour l’enfant est la mère, et non le père. Cependant, il a aussi sa part de responsabilité car, dans la plupart des cas, il n’est pas là pour imposer sa présence, son désir, ou quelque chose qui va faire que l’énergie vitale de la mère, son énergie de désir, comme on dit dans mon jargon, aille sur le père et non pas sur l’enfant. Ce n’est pas toi, mon enfant, qui doit me satisfaire dans le sens que je dois donner à ma vie, mais c’est toi, mon mec, qui doit me satisfaire ; encore faut-il qu’il soit là.
Vous voyez, toute la difficulté quand on se place du point de vue du monde intérieur est là. Je sais que le temps passe, donc je vais accélérer un petit peu et j’en arrive directement à mes propres convictions en matière de justice à l’heure actuelle. J’ai écrit un petit article là-dessus, j’en ai apporté quelques exemplaires que je vous laisserai si vous voulez, et mes convictions sont tout à fait à l’opposé des vôtres, chères mesdames.
Donner la parole à un enfant dans une cour de justice, qu’est-ce que ça veut dire ?
Vous savez que notre code civil, et le code civil de toutes les sociétés humaines organisées, est fondé sur une chose, une seule loi, et cette loi c’est l’interdit de l’inceste, au sens large du terme, c’est-à-dire l’interdit du retour au ventre maternel. Et c’est l’interdit d’aller vers l’indifférenciation ; c’est comme si notre propre loi nous forçait à toujours aller vers plus de conscience, plus de différenciation d’avec la nature profonde d’où nous sommes tous issus, hommes et femmes ; je suis désolé, c’est un ventre de femme, ce n’est pas un ventre d’homme.
Cette loi est celle qui nous a permis d’accéder à la conscience ; or, quand on fait entrer un enfant dans un tribunal, quand on lui fait franchir les marches du palais, que fait-on ? Devant les juges, qui sont censés fondamentalement être les garants de cette loi, de l’interdit de l’inceste, on lui donne une parole. Vous avez dit très exactement : « Si l’enfant a envie de vivre chez son père et que le juge s’en rend compte, le magistrat le placera chez son père ». Je dis : non, c’est une aberration ; quitte à vous faire hurler, on y reviendra tout à l’heure.
Je dis non, pourquoi ? Parce que accorder une autorité à la parole de l’enfant, que ce soit pour la mère ou pour le père je n’en ai rien à cirer, accorder une autorité à cet enfant par rapport aux problèmes de ses parents, même s’il est concerné et j’en conviens, c’est de toute façon, qu’on le veuille ou non, il ne faut pas se leurrer, c’est le mettre devant ce dilemme qu’on dénonce, et c’est comme ça qu’il le vit de l’intérieur. Je le sais parce que j’en ai vu un certain nombre, et il y en a qui sont drôlement mal, pâlichons, blancs, quand ils arrivent devant le juge, parce que justement, qu’on le veuille ou non, le dilemme est là, il est incontournable, et c’est du pipi de chat de dire qu’il est contournable ; franchement, on ne peut pas les mettre devant un tel dilemme.
Il est là, le dilemme : bien entendu que leur parole va avoir un poids, une autorité, et cette autorité, de toute façon, elle va être retirée à l’un ou l’autre des parents, comme les vases communicants. Si la parole de l’enfant n’a aucune autorité sur la décision, je ne vois vraiment pas pourquoi on le fait venir dans un tribunal, et c’est une aberration. Si on le fait venir, c’est que sa parole a une autorité, et cette autorité, je suis désolé, on la retire soit au père soit à la mère, forcément. Si on la retire à l’un des parents, cela veut dire qu’on crée symboliquement un couple, dans 90 à 99 % des cas mère/enfant, contre la parole de l’autre, du père. Symboliquement, c’est ce qu’on appelle instaurer légalement un couple incestuel. C’est la restauration du droit à l’inceste. D’un point de vue symbolique, c’est ça et rien d’autre.
Donc je suis fondamentalement contre le fait de laisser les enfants être auditionnés par les juges ; je sens qu’on va avoir un débat très houleux, mais attendez un petit peu, laissez-moi finir mon exposé. Donc il y a un problème, parce que, bien entendu, la réplique est de dire : « Écoutez, si le papa fait de drôles de choses à sa fille, c’est absolument dégueulasse de ne pas entendre l’enfant ». Je suis complètement d’accord avec vous, complètement, mais il y a des juges pour enfants, il y a d’autres juridictions, et le fait de toucher à son enfant, de toucher en particulier tout ce qui est d’ordre sexuel chez son enfant, c’est en terme légal un « crime », et je tiens à ce que cela reste un crime, sinon c’est toute notre société qui s’écroule ; c’est un crime, ça n’a donc pas à être jugé par un JAF. S’il y a un problème de ce type-là, qu’on aille voir immédiatement, bien entendu, toute la machinerie sociale, juges et avocats pour enfants, machins et trucs…, et ça doit être condamné comme il se doit, parce qu’effectivement c’est un crime.
[Assentiment dans la salle]
Nous sommes d’accord et j’en suis ravi.
Il ne faut pas mélanger les choses car les problèmes des parents doivent être des problèmes que les parents se doivent d’assumer, et le problème de l’enfant c’est que, si on lui donne une responsabilité, ce sera de toute façon un poids absolument énorme pour lui pour le restant de ses jours. Et plus l’enfant est jeune, plus il est branché sur la souffrance de ses parents ; c’est-à-dire que, comme il est une éponge à absorber la souffrance de ses parents, il va de toute façon prendre parti, en général pour le parent qui est le plus en souffrance et le plus en difficulté, celui qui est le plus en difficulté par rapport à la relation, surtout si l’enfant est jeune, ce qui est dans 90 % des cas la mère. L’enfant va donc prendre, par rapport à cette fusion, ou cette relation incestueuse, le parti de sa mère ; donc les juges iront dans ce sens-là.
Les juges, moi je trouve qu’ils font le maximum qu’ils peuvent, même s’ils le font souvent mal. Voyez : je suis en train de faire une plaidoirie en faveur des juges ! Ce qui ne va pas, c’est la loi. Ce sont ces pseudo-lois qu’on est en train de mettre sur pied et qui, d’un point de vue psychologique, vont à mon sens totalement à l’encontre de l’intérêt de l’enfant. Que sait un juge de l’intérêt de l’enfant, de cette notion complètement floue et vague au nom de laquelle on dit absolument n’importe quoi ? J’ai entendu les pires conneries.
Au nom de cette affaire et de l’enfant, on va favoriser dans 90 % des cas ce que j’appelle une relation incestueuse à la mère. Cette si bonne mère qui est capable de faire tant de bonnes choses pour l’enfant. Et c’est de ce point de vue-là, messieurs les pères, qu’il s’agit de vous situer, et de vous battre, et de défendre pied à pied justement cette garantie dont a besoin l’enfant pour pouvoir continuer à grandir et continuer à se différencier ; et à ce moment-là, vous serez tout à fait digne du sigle de votre association : Save the soul of your kids, sauvez l’âme de vos enfants.