Le problème de l’identification et de l’Œdipe chez les enfants élevés sans père, et les conséquences sur les comportements dans la société

Olivier (Christiane), « Le problème de l’identification et de l’Œdipe chez les enfants élevés sans père, et les conséquences sur les comportements dans la société », allocution prononcée à Paris le 11 juin 1994, lors du colloque organisé dans le cadre du troisième congrès SOS PAPA sur le thème « Devenir et rester père, quel combat ? ». Christiane Olivier est psychanalyste et écrivain.

 

Geneviève Delaisi, Guy Desplanques, Christiane Olivier, Jean-Pierre Cuny, colloque du troisième congrès SOS PAPA, Paris, 11 juin 1994 (© SOS PAPA)

Geneviève Delaisi, Guy Desplanques, Christiane Olivier, Jean-Pierre Cuny, colloque du troisième congrès SOS PAPA, Paris, 11 juin 1994 (© SOS PAPA)

Féministe convaincue, Christiane Olivier n’en est pas moins préoccupée de l’évolution de la famille. Praticienne avant tout, c’est dans son cabinet qu’avec beaucoup de lucidité et d’intelligence elle a tiré les conséquences des dislocations familiales dont elle observe, au cours des analyses, les ravages psychologiques.

Chaque ouvrage que publie Christiane Olivier est en soi un événement. Elle a en particulier écrit Les fils d’Oreste (Flammarion, 1994) dont la parution a provoqué un dossier spécial sur les pères dans Le Nouvel Observateur, mais aussi Les enfants de Jocaste (Denoël, 1980), La Psychafamille, qui est une bande dessinée illustrée par sa fille (Carrère, 1988), et les Les filles d’Ève (Denoël, 1990).

Je prétends vous parler du comportement des enfants. Au départ, je pense que vous en avez tous une idée. Mais ce qui me frappe dans les déplacements que je fais en France et hors de France, c’est que ni les hommes ni les femmes ne connaissent la place psychanalytique d’un papa et sa place dans l’inconscient du masculin. Il paraît qu’il y a là un néant, une inorganisation complète. Les femmes se dressent contre moi et disent : « Mais qu’est-ce qui vous prend ? Les enfants sont sortis de nous et nous appartiennent ! Mais qu’est-ce qui vous prend de faire entrer le père et lui dire qu’il a droit à autant que nous ? Ce n’est pas vrai ! » Mais je dis : vous savez ce que cela engendre de ne pas avoir de père et de ne pas avoir de repères quand on est un enfant ? « Mais comment ? ils ont une mère, ça suffit, jusqu’à présent ça leur suffit, on nous l’a toujours dit ! »

On ne vous a sans doute jamais dit ce qui se passait avant trois ans ? Non, on a toujours dit que c’était la mère. D’ailleurs, les anciens nous le disent : « En-dessous de quatre ans, le père ne sert à rien. »

Alors, mon travail, c’est un travail pédagogique et analytique. C’est d’expliquer à quoi sert un père, de quelle façon, du premier jour jusqu’à environ trois à quatre ans. À environ trois ou quatre ans, semble-t-il, tous les enfants arrivent à faire la séduction du papa, et le papa entre dans la danse. Il voit une petite fille qui lui fait de charmantes plaisanteries, qui lui montre ses jolies robes, qui s’adresse à lui. Il ne résiste pas. Il devient enfin un père agissant qui prend la main de sa fille et va se promener avec elle.

Souvent, les pères ne s’occupent pas de l’enfant jusqu’à deux ans et demi, croyant bien faire en le laissant dans les mains des femmes.

les-fils-d-oreste-213x340Alors, dans mon livre, il y a évidement plusieurs chapitres qui vous mettent dans le coup, qui vous expliquent comment les pères ne sont jamais entrés dans la danse de l’inconscient, absolument jamais. Que ce soit avant le Moyen Âge, que ce soit dans la Gaule antique, que ce soit après le Moyen Âge, que ce soit au moment de la Renaissance, que ce soit au moment de la Révolution : les pères n’étaient toujours pas du côté de l’inconscient. Vous allez me dire : quel intérêt d’être du côté de l’inconscient, c’est-à-dire être du côté du corps ? Car un bébé n’a pas d’autre moyen de communiquer que son corps. Sachez que toute personne qui se trouve dans le champ inconscient et dans la bulle du jeune bébé le sera par son corps, c’est-à-dire par son odeur, par sa peau, par sa voix, par le bruit de ses pas et par la façon dont il tient l’enfant.

L’homme ne tient pas l’enfant de la même façon qu’une femme ; en général, il le tient debout contre lui car il n’a pas de sein pour faire obstacle. Il lui met la tête dans son cou. Là, l’enfant repère l’odeur de son père, car la nuque est un endroit extrêmement parfumé.

Le père a donc tout à fait raison de faire comme cela. Il n’y a pas de règle. Disons que les femmes le tiennent plus volontiers couché, avec la tête sur le sein gauche, parce que le sein gauche est un coussin très naturel et très doux, et l’enfant le trouve très bien. Du fait qu’il est tenu debout ou couché, l’enfant comprend déjà que ce n’est pas le même parent qui le tient. Je ne prétends pas qu’il sache que c’est un parent masculin ou féminin ; je dis seulement qu’il distingue qu’il y a alternance de parents. Dans les débuts, il me semble qu’il est important que vous soyez un des alternants du bébé et que celui-ci passe de l’un à l’autre parent.

Le bébé se dit : « Ça, c’est la voix grave, ce sont les poils, je suis tenu debout, je suis tenu très haut. » Car les enfants « sentent », avec les échos qui leur reviennent, à la façon dont nous réagissons quand on nous bande les yeux ; nous savons tout de suite si la voix est basse ou si elle est haute. Les bébés ont une ouïe qui est vraiment sensible. Aussi, selon qu’ils sont très loin ou plus rapprochés du sol, ils le sentent au renvoi qui leur est fait par leur sens auditif. Donc, un bébé qui est tenu plus haut par un père plus grand, il le sent tout de suite, sans qu’on lui donne aucune explication. Tenir son bébé est très important. Le toucher est très important. Lui laisser attraper vos cheveux et tirer dessus comme font les bébés est très important. Les mères croyaient que ce comportement leur était réservé. Pas du tout ! C’est la façon dont les bébés font connaissance avec les adultes et ils savent parfaitement, à quatre ou cinq mois, distinguer ces deux adultes. Seulement, il faut dire qu’on n’a jamais réalisé cette phase de contact du corps du père. Pourquoi ? L’histoire vous l’expliquera.

Je partirai simplement de Lacan, dont vous savez qu’il se situe à peu près au milieu de ce siècle.

Lacan a dit tout de suite : « Le père ne sera un père que si la mère dit : C’est ton père. Je le reconnais comme l’homme que j’aime et avec qui j’ai voulu faire un enfant. » Le pouvoir d’attribuer le père est donc entièrement donné à la mère. Autrement dit, pour ce grand monsieur Lacan, vous étiez déjà complètement grugés sans le savoir. Vous étiez mis entre les mains des femmes. Là-dessus, le féminisme est passé, donnant une liberté énorme aux femmes, en particulier à partir du moment où il y a eu une loi sur la maternité naturelle. Les femmes se sont mises à avoir le dessus très rapidement sur les hommes en disant : « Du moment que je t’aime et que j’ai voulu faire un enfant avec toi, je dis que tu es le père, et voilà. Mais du moment où je ne t’aime plus, où tu m’horripiles et où l’on va se quitter dans quelques mois, eh bien ! ce n’est pas la peine. » Et la femme n’a pas tendance à vous donner l’enfant. Je dis que si on ne vous le passe pas, il faut bien quand même que vous ayez le droit d’avoir l’enfant qui est le vôtre, et que vous ne soyez pas obligés d’attendre qu’on vous le passe.

À cela, vous me répondez : « Il n’y a pas de loi. On ne nous permet pas de prendre notre enfant. On ne nous permet pas d’être responsable de l’enfant, surtout quand il s’agit d’un petit bébé. »

Comment a-t-on vu ces choses-là ? Elles sont devenues très claires à partir du moment où il y a eu des divorces, où il a fallu prononcer l’attribution de l’enfant à l’un des parents, ou seulement ses visites régulières chez l’autre parent. Il a bien fallu prendre une loi. Et on sait pourquoi les juges ont pris la décision que l’enfant en-dessous de quatre ans irait avec sa mère, ce qui fait qu’il a un inconscient tout au féminin. Cela veut dire, pour le petit garçon par exemple, un enfant qui a fait un Œdipe très marqué, qui a eu un attachement à sa mère très marqué, et qui n’a eu personne pour le sortir de là, à la sortie de l’Œdipe, pour pouvoir se dire : « Je serai comme papa. »

C’est alors un homme qui se bagarre contre les femmes, en disant : « Occupez la place que vous voulez mais pas la mienne », ou : « Ayez le salaire que vous voulez, mais pas le mien. » Ce sont des choses catastrophiques pour les femmes, que nous rencontrons comme obstacles dans notre vie. C’est notre place sociale qui nous est barrée régulièrement par un homme en colère, qui dit : « Moi, je n’ai qu’un privilège, c’est celui du travail, tu ne vas tout de même pas me le rogner. » Mais il faut dire que, de l’autre côté, il y a une femme qui s’inscrit en disant : « Moi, j’ai un privilège, c’est le bébé, tu ne vas tout de même pas me le prendre. » Alors nous sommes avec des privilèges. Dans le cas de la femme, vous pensez bien que ce n’était pas considéré comme un privilège ; en fait, c’était un héritage tutélaire. Alors, si je le remets en question, c’est parce que je m’en rends compte dans toutes les analyses. Je viens de vous parler des hommes qui sont misogynes, qui ont des troubles de l’identité, car ne pouvant être comme celui qui est un homme ; ils sont plus ou moins identitairement hommes et ont des problèmes de ce côté-là.

Et si je me tourne vers celles qui ont été des petites filles, je tombe sur des femmes qui, alors, ont une demande absolument désespérée du côté de l’homme avec qui elles vivent, car elles n’ont pas vécu avec un autre homme, en particulier pas avec leur père. Seul leur père, en les prenant dans les bras, du premier jour jusqu’à deux ans et demi, trois ans ou quatre ans, pouvait leur faire comprendre, sans aucune parole : « Je suis content que tu sois ma fille. Je suis content que tu sois différente de moi. Tu es ma différence et j’en suis enchanté. Je ne sais pas nettoyer une petite fille, je ne sais pas comment il faut faire, mais je suis enchanté, car j’en ai le droit : je suis le père. »

« J’en ai le droit ! » Vous allez me dire que beaucoup d’entre vous sont contestés car elles disent : « Tu t’occupes de la petite ; alors fais-le proprement ! » Parce qu’on imagine, de l’autre côté, qu’il y a toujours des fantasmes d’incestes. Mais dites-vous bien, si vous ne le savez pas, que nous, les mères, nous avons bien tripoté nos petits garçons, qu’il y a énormément de fantasmes d’incestes, mais que toute la société nous a laissées faire, nous disant simplement : « Tu ne coucheras pas avec ! » Nous ne couchons pas avec notre fils, mais nous vivons dans une ambiance d’inceste permanente. C’est cela qui fait que nos fils seront désireux des femmes par la suite. S’ils s’opposent aux femmes au moment du pouvoir, ils ne s’opposent pas aux femmes sur le plan du sexe, et cela ils le doivent à leur mère. Je dis que les petites filles ne doivent pas grand chose à leur père parce qu’il n’était pas là pour les orienter sexuellement, et qu’elles vivent dans le rêve. C’est à cause de cela, et pour elles, qu’on écrit des contes merveilleux avec des princes charmants. C’est pour elles qu’on écrit des romans de gares stupides qu’elles lisent dans le train avant d’arriver à leur boulot. On en vend quatre ou cinq millions par an en France. Ce sont des romans stupides.

C’est, par exemple, l’histoire d’une toute petite fille seule et abandonnée, dont le papa ne s’est pas occupé. Elle a été très malheureuse très longtemps, jusqu’au jour où un homme très riche, plus âgé qu’elle et très gentil, s’est approché d’elle, l’a ramassée dans le ruisseau, et lui a dit : « Je t’aime. Je vais faire de toi une femme. » Ce sont des paroles que le père aurait dû prononcer intérieurement, car le père pense : « Tu vas devenir une femme. » Même s’il n’existe aucune manifestation sur le corps, car le corps de la petite fille est assez indifférencié par rapport à celui du petit garçon. Seul le père reconnaît que ce n’est pas un corps comme celui qu’il a eu et, sans que cela soit exprimé, la petite fille reçoit ces paroles narcissiques : « Tu es bien une femme. »

À partir de là, la petite fille n’a peut-être pas besoin de tout le cirque hystérique que l’on fait autour des petites filles avec des robes, des frisettes, avec des boucles d’oreilles et des tas de choses. Du moment que son papa lui dit : « Tu es une fille et j’en suis enchanté. ».

En ce qui me concerne, j’ai fait une petite enquête, vraiment une toute petite ; je connaissais six écrivains, des personnalités, auxquels j’ai chaque fois demandé : « Es-tu fille du père ou de la mère ? », sans spécifier la question. La réponse a été tout de suite : « Je suis fille de mon père. » J’ai bien vu que d’être la fille de son père, cela donnait une force tout à fait étrange. Moi, je peux vous dire que je suis fille de mon père, non pas parce que j’étais la préférée, mais parce que mon père était médecin, qu’il vivait à la campagne, qu’il a chaque fois accouché sa femme, ce qui fait qu’il posait ses dix doigts chaque fois sur tout bébé naissant. Donc il nous « narcissait » au passage, et chaque fois qu’on était malade il nous prenait sur ses genoux, nous tapait, nous palpait, nous ouvrait la bouche, nous mettait le stéthoscope dans le dos, ou devant. Nous avions l’habitude de passer entre les mains du père. Je crois que nous avons tous reçu dans cette famille la permission d’avoir un corps de femme quand nous sommes devenues femmes, et cela a été une chose extrêmement importante.

J’ai des sœurs qui sont aussi « costauds » que moi dans d’autres domaines, et nous pensons toutes que c’est parce que nous avons eu un père. Il se trouve que cela a été le hasard. À l’époque, il y a cinquante ans, les pères n’avaient pas la formation pour soutenir leur bébé, vous pensez bien ! Mais comme il était médecin, il s’en occupait, forcément. Je pense qu’il faut voir là ce que les psychanalystes savent très bien, c’est que toute vérité première s’inscrit par le corps. La psychosomatique n’est rien d’autre qu’une histoire de corps. On fait de l’asthme, on a de la fièvre, on fait des angines, parce qu’on retourne à des symptômes tout à fait premiers de notre enfance, dans des moments où personne ne veut nous écouter, où l’on a des problèmes. On tombe malade avec le corps parce que c’est la première chose qui a servi à l’inscription de nos premiers malheurs, et également la manifestation qu’il y avait un malaise. Les maladies d’enfance sont très souvent des maladies psychosomatiques qui sont provoquées par un changement, par une absence, par un manque, par quelque chose d’angoissant. Alors, ce que je veux dire aux pères, moi, c’est que je ne pense pas que cela sera facile, mais que cela doit changer : ils ne sont pas seulement des pères pour l’argent. Car vous en avez marre d’être condamnés à payer des pensions alimentaires, d’autant que vous n’avez même pas la jouissance de l’enfant les trois quarts du temps. Vous payez pour un enfant que vous voyez insuffisamment. Et comme je l’ai entendu l’autre jour à Angers dans un groupement d’hommes, les enfants qui ont suivi leur père jusqu’à quatorze ou quinze ans leur déclarent un jour : « Papa, j’en ai marre de te voir tous les mardis, je n’en ai rien à faire. » En fait, il n’y avait plus aucun lien entre père et enfant du fait qu’ils se voyaient insuffisamment. Alors, ce que j’ai à dire, c’est qu’il faudra que vous arriviez à obtenir une loi qui reconnaisse que l’inconscient de l’enfant doit être marqué également du géniteur et de la génitrice, qu’il faut qu’il porte la marque des deux.

Alors, me direz-vous, quel est l’intérêt d’une telle loi ? L’intérêt de cette chose, c’est que, quand il y a une loi, tout le monde le sait. Au moment du divorce, on ne se posera pas la question : « Qui doit garder l’enfant ? » Ce sera les deux, forcément ! Il y aura l’alternance, je ne sais pas de quelle façon, mais elle sera plus juste que ce qui se passe aujourd’hui. Ce que je souhaite personnellement, c’est que nous puissions divorcer si nous ne nous entendons pas, mais j’en ai assez de voir les enfants qui sont systématiquement mis du côté de la mère et vont vivre soit la haine, soit l’abandon, soit l’oubli de celui qui les a créés au départ. Je trouve cela assez inimaginable, assez révoltant, et je comprends parfaitement la révolte des hommes. Voilà, c’était mon point de vue.

[Applaudissements]

Un participant – J’ai une question à poser sur la symbolique du père. J’ai vécu avec ma fille un certain temps ; de sa naissance jusqu’à un an et demi. Dans la période où j’ai mon enfant, pendant deux jours, il y a toute une restructuration à faire, parce que l’enfant a aussi vécu avec sa mère, qui lui a appris des choses sur son père qui sont des choses un peu abstraites. Moi, de mon côté, je retrouve cette situation à l’envers. J’aimerais pouvoir continuer à avoir des rapports affectifs avec elle. Dans quelle mesure y a-t-il une perte de symbolique par rapport à çà, dans le temps ?

Christiane Olivier (© SOS PAPA)

Christiane Olivier (© SOS PAPA)

Je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous étonner. Beaucoup de gens se satisfont de l’idée qu’au point de vue affectif et au point de vue amoureux le temps ne compte pas, que ne compte que la qualité du temps. Moi, je ne suis pas d’accord là-dessus. Je pense que la grand-mère qui n’aime pas beaucoup son enfant, qui est là tout le temps parce qu’elle est là, eh bien ! elle fait partie de l’univers de l’enfant. Et si cette grand-mère vient à disparaître, cela fait un trou, bien qu’il n’y ait pas eu de lien exceptionnel dans l’affectif. Alors ne parlons pas du père qui est un père aimant ! S’il voit son enfant, ce temps où il est avec lui est certainement significatif, car si ce temps est insuffisant il faut reconnaître que le temps est vécu comme absence, et quelquefois comme absence négative. Il faut entendre ce que les enfants viennent vous dire : « Maman a dit que tu étais méchant. » Je suis obligée de dire à ces papas-là qu’il fallait répondre : « Oui, je suis méchant et belliqueux, je la déteste, c’est pour cela qu’on s’est séparé, mais je ne suis pas méchant avec toi, je t’aime beaucoup ! »

Il faut rétablir la symbolique de la mère, quand même dire : « J’ai voulu faire un enfant avec elle, mais toi, tu ne changes pas. Tu vas continuer à voir ton papa et ta maman. Voir ton papa, c’est un peu difficile, d’accord, mais c’est tout. »

Il faut toujours, sur le plan de la symbolique, associer les deux parents, rester neutre vis-à-vis de la personne que vous avez quittée, dire : « Je suis ton papa, et je te considère comme l’enfant de Nicole, comme au temps où j’étais avec elle, mais quand je te vois, je pense que tu es mon enfant. Je ne te rejetterai jamais. » Il est vrai que bien des parents font passer l’enfant de l’un à l’autre. Par exemple, Bertrand dira : « Tu es l’enfant de Bertrand, ne me parle pas de Nicole », et demain Nicole dira : « Tu es l’enfant de Nicole, ne me parle jamais de Bertrand. » Ainsi, l’enfant est séparé en deux tout le temps, car il doit alterner d’une partie à l’autre, ce qui donne chez lui une difficulté importante de concentration.

Les professeurs se plaignent. Les enfants qui viennent de familles éclatées ont une façon de penser extrêmement courte. Ils ne maintiennent pas leur attention regroupée. Ils sont tout le temps en train de se diviser, tout le temps en train de retourner vers l’un ou vers l’autre car, quand ils sortent avec l’un, ils savent qu’ils ne sont pas avec l’autre, et la plupart des enfants qui ont bénéficié des droits de visites et qui rentrent chez le parent ne parlent de rien. Ce qui veut dire qu’ils sentent qu’ils n’ont pas le droit de dire ce qu’ils ont vécu : « Tu serais bien trop en colère ! » Là, il y a un problème de communication, semble-t-il, entre les deux parents. Je pense que si on les conseille mal au moment du divorce, ils vont se mettre dans l’idée : « Vous êtes ennemis. » Cela arrive dans la vie ; on a des amis, on a des ennemis, mais cet enfant-là doit vous garder tous les deux comme amis. Faites attention à cette chose-là. Ne dites pas des horreurs sur l’autre, sinon vous vous détruisez vous-mêmes, et vous détruisez l’enfant. Quand vous avez choisi une compagne, vous ne pouvez pas la déjuger, même si votre enfant veut la déjuger.

Michel Thizon – Est-ce que, pour une petite fille, dans sa relation avec son père, lorsqu’elle le voit seulement de façon épisodique, la réalisation de l’Œdipe change ?

Il y a une très longue explication. Il est évident que je vous parle de l’Œdipe de la petite fille et de son père comme les mères vivent couramment l’Œdipe avec leur fils ; nous sommes en déséquilibre masculin-féminin, à cause de cette histoire de la tendre enfance. Vous, les hommes, vous avez toujours un Œdipe avec votre mère, vous ne le dénouez pas, vous le trimbalez comme une casserole derrière vous, mais vous l’avez vécu, c’est une certitude. Ce qui fait que du côté du couple, vous demandez infiniment moins qu’une femme qui arrive à dix-huit ans vers un homme, et qui est devant ce premier partenaire œdipien.

C’est très grave ce que vit la femme en amour. Elle dit : « Toi qui pourrais remplacer mon père. » Vous rendez-vous compte dans quelle situation elle met l’homme ? Alors l’homme dit : « Je n’ai pas les épaules assez larges, je ne pourrai pas, je n’y arriverai pas, je ne suis pas ton père, je ne peux pas dire tous les matins que je t’aime, mais je te l’ai déjà dit hier, mais je t’ai épousée… » Il est évident que la femme est une demandeuse plus acharnée, et peut-être vais-je profiter de cette réponse-là pour répondre à la question : Pourquoi les femmes demandent-elles toujours leurs enfants ?

Eh bien ! les femmes ont un problème, toujours pareil : cet Œdipe n’est pas vécu dans toutes les familles normales actuellement. L’Œdipe n’a pas l’occasion de se vivre socialement. Pourquoi ? Le père étant absent, on ne peut pas « faire l’amour » étant absent, un des deux étant absent ! il n’y a pas d’Œdipe car tous les pères sont plus ou moins absents. Il y a rarement un père, sauf dans certains cas, professeurs, fonctions libérales, qui sont ouverts à ce problème d’Œdipe et qui se disent : « Je veux avoir un enfant en équilibre, et je veux qu’il ait autant de masculin que de féminin, donc je vais être père, c’est-à-dire passer une partie de mon temps avec cet enfant pour avoir le plaisir de l’“œdipianiser”. » Ça veut bien dire quelque chose, ce verbe qu’on a inventé. Alors, les femmes sont extrêmement demanderesses à l’âge adulte vis-à-vis de l’homme, car c’est leur premier homme, et c’est extrêmement grave de prendre une petite fille et de la laisser devenir ça, c’est-à-dire cette femme hystérique qui court derrière l’homme, prête à lui plaire de toutes les façons ; et deuxièmement, ça va être une mère acharnée, disant : « Puisque je ne suis pas sûre d’être une femme, laissez-moi cet enfant, c’est ma preuve à moi. »

Vous vous trouvez là devant une histoire d’identification extrêmement grave et régressive, qui s’est passée entre l’âge zéro et trois ans. Et vous dites : « Qu’est-ce qu’elles ont avec leur enfant, elles sont folles ? » Eh oui ! elles sont folles.

Un jour, j’ai vu une femme venir chez moi. La garde de l’enfant avait été accordée au père, chose extrêmement rare ; pourquoi ? Parce que la mère avait passé une période difficile : elle était sans logement, sans travail ; son mari était cadre supérieur, avait une vie large, était remarié, avait des voitures, d’autres enfants. La mère est venue chez moi me faire la requête suivante : « Madame, je suis retournée devant le tribunal, car il est inadmissible qu’on ne me donne pas mon enfant. » Je lui ai dit : « Vous estimez que votre enfant est dans de mauvaises conditions psychologiques ? Moi, j’ai vu ses résultats scolaires, j’ai vu les dessins de l’enfant ; vous avez de la chance, Madame, votre enfant va vraiment très bien. Si vous êtes vraiment mère, vous n’allez pas le toucher. » Elle m’a dit : « Mais moi, Madame, comment est-ce que je peux vivre alors que tout le monde voit que je n’ai pas eu mon enfant et que je suis mauvaise mère ? » Ce qui apparaissait, c’était son histoire d’identité : « Et moi, une mauvaise femme ? Je ne l’accepterai jamais ! »

Vous étiez donc devant un problème très lourd, très ancien, très grave. Il ne partira que si les mentalités changent, et si on sait qu’une petite fille qui ne voit pas son papa correctement entre zéro et trois ans est une future hystérique, qui demandera à son mari des choses incommensurables, et qui dira : « L’enfant est à moi parce que c’est ma preuve de femme. »

C’est très important ce que je vous dis là, car cela n’a jamais été dit. Ça va être une histoire de changement de mentalité. Je suppose que, peu à peu, on va faire des réunions pour savoir vraiment si le père est, comme vous l’avez dit très justement, incompressible.

La présence du père à un certain moment devient en fait incompressible. Il est vrai qu’entre zéro et, je dis trois ans mais il faudrait pratiquement aller jusqu’à quatre ou cinq ans, jusqu’à ce que la prise de conscience se termine ou à peu près, la présence du père est indispensable et incompressible. Il faut donc organiser des congrès autour de cela, des réunions ; il faut, à mon avis, qu’il y ait un changement de mentalité, à la suite de quoi je pense que le droit et la loi, qui suivent toujours l’évolution des mentalités, vont suivre. On dira : « Et ce père indispensable, comment lui fait-on sa place ? » Eh bien ! on lui donne, par exemple, un congé de paternité, trois mois à la naissance. J’ai fait une enquête chez des jeunes pères ; 75 % des pères ont dit : « On voudrait bien trois mois d’arrêt, pour faire connaissance avec l’enfant, pour s’en occuper, pour être à l’aise avec. »

Vous savez ce qu’on disait autrefois, quand on voulait faire abandonner un enfant par une mère ? On disait : « Ne le lui faites pas voir. » C’est pareil, ce qu’on fait aux pères ; on leur donne trois jours, c’est insuffisant, c’est ridicule. Cet homme-là a le temps de se désespérer, en disant : « Maintenant, je vais laisser ma femme avoir une tendre idylle avec mon fils ; moi, je ne serai pas là. » C’est tout ce qu’il a le temps de se dire.

C’est aux hommes de dire : « Nous voulons faire une idylle avec notre enfant. » Vous nous dites qu’elle est incestueuse ? Et nos femmes alors, ne sont-elles pas incestueuses avec nos fils ? Mais tout le monde a laissé courir et c’est un vrai scandale.

Vous avez maintenant des éléments en or pour vous défendre, car les femmes vivent ce que vous devriez vivre si vous viviez votre paternité psychologique. Elles le vivent avec l’enfant, on le leur permet, la loi le leur accorde, et la loi le leur conseille, c’est encore plus gros.

[Applaudissements]

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