Un livre fort intéressant est paru le 27 septembre 2022 aux États-Unis : Of Boys and Men: Why the Modern Male is Struggling, Why It Matters, and What To Do About It. L’auteur, Richard V. Reeves, dresse un panorama des difficultés auxquelles sont confrontés les garçons et les hommes dans la société américaine. De nombreux indicateurs – résultats scolaires, emploi, ruptures familiales, isolement, taux de suicide, taux d’incarcération… – révèlent l’étendue du problème. Les politiques publiques devraient s’en préoccuper intensément. Les médias devraient en faire un point important d’attention. Il n’en est rien. L’auteur tente d’amener ce sujet sur le devant de la scène et combat la tendance à considérer les garçons et les hommes comme étant responsables des difficultés qu’ils rencontrent, puis propose des pistes pour une politique publique en leur faveur.
« Boys are falling behind at school and college because the educational system puts them at a disadvantage. Men are struggling in the labor market because of an economic shift away from traditional jobs. And fathers are dislocated because the cultural role of family provider has been hollowed out. The male malaise is not the result of mass psychological breakdown, but of deep structural challenges. »
Richard V. Reeves (© D.R.)
Richard Reeves n’est certes pas le premier à tenter d’alerter sur ces réalités inquiétantes, qui, si elles tendent à s’aggraver avec le temps, ne sont pas nouvelles. Citons parmi les livres qui abordent ces questions The Hazards of Being Male: Surviving the Myth of Masculine Privilege d’Herb Goldberg en 1976, The Myth of Male Power: Why Men are the Disposable Sex de Warren Farrell en 1993 ou bien Boys Adrift de Leonard Sax en 2007. Richard V. Reeves aura-t-il plus d’audience que ses prédécesseurs ? Il est probable que, comme d’habitude quand il s’agit de problèmes touchant spécifiquement les garçons et les hommes, le couvercle se referme rapidement et que le déni ordinaire reprenne ses droits. La personnalité de l’auteur, chercheur solidement reconnu et catégorisé à gauche de l’échiquier politique, lui offre cependant une certaine visibilité. Au moins peut-il être plus difficilement étiqueté méchant activiste et sa parole moins facilement ostracisée sans même être écoutée.
Le travaux de Richard V. Reeves se rapportent à la société américaine, mais ses constats concernent largement l’ensemble des sociétés occidentale. Ses réflexions et propositions doivent nous interpeller.
Le livre aborde trois domaines principaux.
Éducation
« When almost one in four boys (23%) is categorized as having a « development instability », it is fair to wonder if it is educational institutions, rather than boys, that are not functioning properly. »
Les garçons échouent massivement dans nos systèmes scolaires. Le constat est bien visible dès les petites classes, puis les difficultés s’enkystent dans l’enseignement secondaire. Il y a aujourd’hui un véritable fossé entre les filles et les garçon dans les études supérieures. Les premières y sont bien plus nombreuses que les seconds et y réussissent mieux.
Discutant les causes de cet échec du système scolaire dans son ensemble, Richard V. Reeves avance trois propositions.
Constatant la différence biologique filles-garçons dans le rythme de développement cérébral – le cortex préfrontal se développe plus tardivement chez les garçons que chez les filles – et constatant que les difficultés scolaire dans les petites classes tendent à entraîner un cercle vicieux d’échec sur le long terme, il propose de retarder d’un an l’entrée à l’école des garçons (en conservant bien sûr de la souplesse).
Constatant l’influence positive qu’exerce la présence d’enseignants masculins sur le comportement et les apprentissages des garçons à l’école, particulièrement dans l’acquisition des capacités langagières, il appelle à un vaste plan de recrutement d’hommes dans le système éducatif.
Enfin, constatant que le système scolaire est globalement orienté vers les études académiques, il demande à ce que soit mieux développé et valorisé un enseignement professionnel qui pourrait permettre à davantage de garçons de trouver leur place dans la société.
Emploi
« Male workers are challenged on one side by robots, and on the other by workers in other countries.
« One in three men with only a high school education are now out of the labor force. »
Les évolutions du marché du travail ces dernières décennies ont vu un effondrement de beaucoup d’emplois traditionnellement masculins, en particulier dans l’industrie, tandis que les secteurs en forte croissance d’emploi sont pour la plupart largement féminisés (éducation, santé, administration…). D’autre part, le salaire horaire médian des hommes a baissé depuis les années soixante-dix. Seuls les très haut salaires ont augmenté.
L’acronyme STEM (Science, Technology, Engineering, and Mathematics) est bien connu. Richard V. Reeves propose son pendant : HEAL pour Health, Education, Administration, and Literacy. Le déficit de femmes dans les métiers STEM est largement étudié et pris en considération, et de nombreux programmes existent pour tenter d’y remédier. Le déficit d’hommes dans les métiers HEAL est plus fort encore, mais ne bénéficie de quasiment aucune attention et aucune action. Pourtant, les enjeux sont immenses, tant du point de vue du marché du travail (les besoins d’emploi sont bien plus importants dans les HEAL que dans les STEM, avec des situations critiques de difficulté de recrutement dans certains secteurs) que du point de vue des conséquences sur les usagers de ce déséquilibre sexué (il n’est pas anodin qu’une forte majorité d’enseignants, de soignants ou de professionnels du système judiciaire soient des femmes).
Richard V. Reeves propose que la politique publique se donne un objectif de 30 % de femmes dans les STEM, et symétriquement de 30 % d’hommes dans les HEAL.
Paternité
« Fathers matter to children, including in some ways that are distinct from those of mothers.
« My own father fulfilled the traditional provider role, but he was much more besides – swimming coach, driving instructor, moving man, chauffeur, academic adviser, you name it. »
Les lecteurs de P@ternet sont bien évidemment convaincus de l’importance des pères et de la paternité pour nos enfants, garçons et filles, et pour l’ensemble de nos sociétés. Nos lecteurs sont bien informés aussi des difficultés auxquelles sont confrontés les pères : éviction des hommes de la procréation, aléas de la filiation, fragilité de la relation père-enfants…
Richard V. Reeves, qui, on peut le supposer, se doit de n’être point trop disruptif pour ne pas braquer et conserver une chance de porter son message, n’aborde pas toutes ces questions. Il se concentre sur la relation père-enfants et propose trois mesures : une amélioration des systèmes de congés parentaux en faveur de plus de présence des pères auprès de leurs enfants, plus d’équité dans le traitement des séparations parentales et une organisation du monde du travail mieux compatible avec l’exercice de la parentalité. Cette partie du livre n’est toutefois pas la plus développée.
L’ouvrage est plus dense que ces quelques éléments que je vous retranscris ici. Richard V. Reeves aborde de nombreux sujets qui relèvent des sciences sociales et politiques, comme par exemple les stéréotypes de genre, les conséquences des différences biologiques entre hommes et femmes, le dualisme nature/culture, les effets des politiques publiques d’égalité hommes-femmes ou bien les positionnements des ailes gauche et droite de l’échiquier politique sur ces sujets. Je renvoie au texte original le lecteur intéressé (et anglophone, le livre n’ayant hélas n’a pas encore été traduit).
Richard V. Reeves a annoncé le 30 juin dernier la création d’un American Institute for Boys and Men :
« Until now, there hasn’t been a credible, research-based, non-ideological organization in the United States dedicated to understanding and improving the lives of boys and men. […]
« So I am setting out to build one. »
À suivre, donc. Souhaitons que cette initiative soit un succès et contribue à faire avancer la cause des garçon et des hommes.
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