Le ministère de la Justice a mis en ligne un « simulateur » des pensions alimentaires. Celui-ci semble actuellement accessible en deux versions :
- https://www.justice.fr/simulateurs/pensions-alimentaire
- https://www.service-public.fr/simulateur/calcul/pension-alimentaire
Aucune indication n’est donnée quant au modèle de calcul sous-jacent. Cependant, ce simulateur reprend manifestement les travaux du magistrat Jean-Claude Bardout, qui datent de la fin des années 2000 et sont amplement critiquables. D’une part parce que les hypothèses et méthodes de calcul sont simplistes à l’extrême et fortement biaisées, d’autre part parce que les montants de pensions alimentaires ainsi calculés sont largement surévalués.
Dans notre langue, un simulateur est un modèle représentant artificiellement un fonctionnement réel (voir par exemple les définitions qu’en donnent les dictionnaires Le Robert ou Larousse, ou bien encore le site Wikipédia). Pour pouvoir être ainsi qualifié, un simulateur doit donc approcher le fonctionnement réel qu’il est censé simuler, et doit en proposer une approximation raisonnablement fiable.
Le « simulateur » des pensions alimentaires mis en ligne par le ministère de la Justice ne prend en entrée que les ressources du parent débiteur, le nombre d’enfants et le type de résidence.
Or, la fixation du montant de pensions alimentaires est régie principalement par l’article 371-2 du code civil, qui est ainsi rédigé :
« Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. »
Le fonctionnement réel qu’il est question de simuler ici prend donc en compte :
- les besoins de l’enfant,
- l’ensemble des contributions de chacun des parents aux besoins de l’enfant,
- les ressources de chacun des parents,
la pension alimentaire devant être fixée de manière à respecter un principe de proportionnalité des contributions aux besoins par rapport aux ressources.
Tout simulateur relève, par essence, d’une simplification de la réalité. La question est alors celle de l’écart à la réalité. Quelle est l’ampleur de cet écart ? Cet écart est-il suffisamment maîtrisé pour que les résultats donnent une indication pertinente de la réalité ainsi simulée ?
Considérons deux parents débiteurs ayant le même nombre d’enfants, le même montant de ressources et le même type de résidence pour leurs enfants. Supposons que dans un cas les ressources du parent bénéficiaire soient modestes ou moyennes (ses contributions directes pour les enfants représentant alors une proportion importante de ses ressources) et que dans l’autre cas elles soient élevées ou très élevées (ses contributions directes pour les enfants représentant une faible proportion de ses ressources). La pension alimentaire calculée par le « simulateur » est identique dans les deux cas alors que les proportions de contribution des parents bénéficiaires sont très différentes.
Considérons à nouveau deux parents débiteurs ayant le même nombre d’enfants, le même montant de ressources et le même type de résidence pour leurs enfants. Supposons que dans un cas les domiciles parentaux soient proches et dans l’autre cas éloignés, avec des coûts de transport importants à la charge du parent débiteur. La pension alimentaire calculée par le « simulateur » est identique dans les deux cas alors que les contributions aux besoins de l’enfant du second parent sont beaucoup plus importantes (maintenir un lien parental est incontestablement un besoin de l’enfant).
Considérons encore deux parents débiteurs ayant le même nombre d’enfants, le même montant de ressources et le même type de résidence pour leurs enfants. Supposons que l’un dépense beaucoup pour ses enfants (prise en charge de certaines dépenses, une chambre pour l’enfant, achat de vêtements et de toutes sortes de fournitures…) tandis que chez l’autre parent les enfants n’ont pas leur chambre et arrivent chaque fois avec tout leur nécessaire de vie. Les contributions du premier parent sont nettement supérieures à celles du second, ce que la pension alimentaire doit prendre en compte. Pourtant, la pension alimentaire calculée par le « simulateur » est identique dans les deux cas.
Tout cela est-il juste ? Tout cela est-il réaliste ?
Ce modèle de calcul mis en ligne par le ministère de la Justice est tellement simpliste qu’il en perd tout lien avec la réalité des situations. Il est tellement déconnecté de la réalité que le qualifier de « simulateur » est une tromperie.