Paris, le 16 septembre 2013
À l’approche d’une énième manifestation de pères le dimanche 15 septembre, vous avez cru bon dans une interview au magazine La Croix du 13 septembre discréditer la revendication fondamentale de TOUTES les associations de pères [1].
On se perd en conjectures devant les zigzags de votre communication, sur lesquels je vais revenir, mais pointons pour commencer la singularité que vous, co-organisatrice du Groupe de travail Coparentalité, en annonciez de facto la conclusion : pas de loi garantissant l’égalité parentale ; tout est dans la médiation. On peut difficilement faire plus en matière d’irrespect de l’interlocuteur (en l’occurrence les pères et leurs enfants dont le lien est systématiquement bafoué par la juridiction familiale) puisque ce Groupe de travail vient à peine de commencer ses travaux et que le point capital de la résidence alternée n’est censé être abordé qu’en… novembre.
La revendication fondamentale de TOUTES les associations de pères est de pouvoir élever et éduquer réellement leurs enfants en cas de séparation. Cela nécessite un investissement égal de leur temps auprès de leurs enfants, ainsi qu’un traitement réellement égalitaire devant le juge. Au demeurant, vous n’êtes pas sans savoir que l’Égalité est l’un des trois fondements de notre République.
À cet égard les zigzags de votre communication sont ceux-ci :
Au début de votre interview, SOS PAPA note avec satisfaction vos propos selon lesquels il est légitime que les pères veuillent « élever [leurs] enfants au même titre que les mères ». Vous aviez d’ailleurs déclaré le samedi des « grues de Nantes » : « On ne peut pas vouloir […] l’égalité femme-homme, et en même temps, ne pas entendre les […] pères qui entendent assumer à part égale leurs responsabilités de parents ». Vous précisez en outre à La Croix que l’augmentation (marginale) de la résidence alternée « est une bonne chose ». Au moins voici posé, dans la bouche de la ministre déléguée à la Famille, que la résidence alternée est un élément indissociable de l’intérêt supérieur des enfants.
Puis cela se gâte, et les incohérences se multiplient : en procédant par insinuation (« tentation chez certains ») vous tentez de salir cette demande des pères que vous veniez de déclarer légitime en disant que cela viserait à « rallumer la guerre des sexes » (sic !). Dans la même veine vous assimilez la demande de résidence alternée égalitaire d’un père, face à une mère qui fait blocage, à « la culture du conflit ». Vous caricaturez aussi cette aspiration légitime des pères en reprenant les propos mensongers des pires détracteurs de l’égalité parentale, qui prétendent faussement que nous voudrions rendre en toute occasion « obligatoire » ou « systématique » la résidence alternée égalitaire. Faut-il vous rappeler que nous n’avons jamais demandé que la résidence alternée égalitaire soit imposée à un couple qui n’en veut pas, mais simplement que cette disposition égalitaire, qui, dites-vous, « est une bonne chose », ne puisse être refusée à un parent qui la demande que pour des raisons dirimantes dûment motivées par le juge (ce qui n’est strictement pas le cas aujourd’hui).
SOS PAPA espère que cela résulte seulement du fait que vous seriez mal informée… car :
- En l’état actuel du code civil et de son application par la juridiction familiale, « la quasi totalité des décisions définitives homologue la convention des parents [2] » (alors que l’article 373-2-7 du code civil permet au juge de ne pas homologuer), mais quand la mère s’oppose à la résidence alternée égalitaire « les rejets de l’alternance se font surtout au détriment des pères (85,5 %) [3] ». Les chiffres récents de la chancellerie publiés cette semaine dans la presse permettent de calculer que ce taux de rejet est encore de… 80 % !!! C’est vous et pas nous qui déclarez : « la justice serait une justice de femmes rendue en faveur des femmes »… En tout cas la vérité des chiffres est que plus de 90 % des JAF sont des femmes.
- La médiation figure déjà à l’article 373-2-10 du code civil et le juge peut la proposer avant dire droit, donc de fait l’imposer aux conjoints. Il s’en est donc pratiqué d’innombrables au fil des années, dont nous connaissons parfaitement le résultat : fortes de ces taux de rejet bien connus de leurs avocats, il suffit aux mères réfractaires de ne rien lâcher en médiation pour que in fine le père soit privé de résidence alternée égalitaire par les juges ! À tel point que les avocats des pères les dissuadent naturellement de la demander.
Voilà le mécanisme discriminatoire auquel, selon vos propos dans La Croix, vous ne voudriez surtout rien changer ? Dans la vie professionnelle, les discriminations des femmes sont maintenant mesurées et sanctionnées, mais qu’en est-il dans la vie familiale des discriminations des hommes, alors que l’INED vient d’estimer à 20 % le taux d’enfants de divorcés qui perdent tout contact avec leur père [4] ?
SOS PAPA, toutes les associations de pères, les désespérés qui n’ont plus qu’à multiplier les actes spectaculaires, les centaines de milliers de pères séparés qui n’en pensent pas moins, les millions de citoyens bien conscients de cette injustice flagrante (cf. notre courrier du 31 juillet auquel vous n’avez pas répondu, où l’on vous signalait, outre les bizarreries du Groupe de travail, que selon de multiples sondages plus de 80 % estiment les pères discriminés par la justice familiale), vont attendre vos éclaircissements avec impatience.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments républicains.
Jean Latizeau, Président de SOS PAPA
Notes
1. Cf. Marmouyet (Françoise), « Dominique Bertinotti : “Systématiser la garde alternée est une fausse bonne idée” », La Croix, 13 septembre 2013.
2. Moreau (Caroline), Munoz-Perez (Brigitte), Serverin (Évelyne), « La résidence en alternance des enfants de parents séparés devant les juges aux affaires familiales. Enquête sur un échantillon de décisions prononcées par les JAF du 13 au 24 octobre 2003 », Études et Statistiques Justice, nº 23, 2004, p. 6 (format PDF, 284 Ko, 55 p.).
4. Cf. Régnier-Loilier (Arnaud), « Quand la séparation des parents s’accompagne d’une rupture du lien entre le père et l’enfant », Population & Sociétés, nº 500, mai 2013 (format PDF, 1.30 Mo, 4 p.).
Lettre archivée au format PDF (1.85 Mo, 2 p.).