Les « études de genre », trop vite appelées « théorie du genre », imprègnent profondément les esprits modernes. Elles sont aujourd’hui entérinées par les directives européennes comme outil de lutte et d’action contre les discriminations. Elles font même partie des programmes officiels des universités et entrent maintenant dans les livres scolaires.
Comment expliquer, aujourd’hui, le succès de cette nouvelle vision du monde ? Quelles en sont les conséquences sur les relations hommes/femmes et l’éducation des enfants ?
Les études de genre sont la suite logique du grand mouvement de remise en cause de la société patriarcale qui a commencé à se manifester vers le XVe siècle, au nom de la liberté et de l’égalité. Elles reprennent les travaux, entre autres, de Margaret Mead et de Simone de Beauvoir (« On ne naît pas femme, on le devient ») et se développent d’abord aux États-Unis. Elles rencontrent ensuite un très large écho dans le mouvement des jeunes contestataires pour une contre-culture, dans les années soixante. Elles apparaissent aujourd’hui incontestables face aux théories naturalistes dépassées.
Alors que les hommes au pouvoir, incapables d’assumer la différence des sexes, avaient fait de la différence féminine une infériorité justifiée par la nature, les études de genre s’en prennent, en réaction, non seulement aux lois, aux paroles et aux actes discriminants mais à toutes les différences autres que biologiques, qui seraient dues à la culture. Celles-ci seraient construites : c’est la société qui nous assignerait des rôles, des comportements, des motivations suivant que l’on est garçon ou fille. Étant le résultat d’une éducation sexiste, ces différences seraient elles mêmes des injustices contre lesquelles il faut lutter.
Mais est-ce aussi simple ?
Catherine Vidal nous dit : « À la naissance seuls 10 % de nos 100 milliards de neurones sont connectés entre eux. Les 90 % des connexions restantes vont se construire progressivement au gré des influences de la famille, de l’éducation, de la culture, de la société. »
On ne peut qu’accorder un certain crédit à cette neurobiologiste réputée. S’il est évident que l’humain à la naissance est encore un être en évolution, il est néanmoins possible de se demander quelle est l’influence des 10 % de nos neurones connectés avant la naissance et donc avant d’avoir subit l’influence de la société ? Enfin, les 90 % des connexions restantes vont-elles se construire uniquement « au gré des influences de la famille, de l’éducation, de la culture, de la société » ? Nous n’avons là aucune preuve ! Si le choix d’une poupée ou d’un camion peut influencer le comportement futur d’un enfant, le fait d’être né d’une personne du sexe différent et d’avoir un corps de garçon ou d’être née d’une personne du même sexe avec un corps de fille capable, plus tard, de mettre des enfants au monde, n’a-t-il pas aussi une certaine influence ? Et ceci n’a rien de culturel ! Ceci est le lot de tous les enfants sur tous les continents et même dans les peuplades mélanésiennes, aujourd’hui comme il y a 10 000 ans ! Il se pourrait même que cette structuration du psychisme, que l’on ne peut pas davantage prouver que la construction sociale, ait une importance non négligeable… Toujours est-il que le refus de toute discrimination et de toute construction sociale sexiste nous fait adopter, comme une évidence, la « théorie du genre », qui devient l’idéologie dominante.
D’après ces « études », la masculinité et la féminité sont devenues des fabrications culturelles à déconstruire. Et on s’y emploie depuis plus de quarante ans. Ceci n’est pas sans conséquences sur les relations hommes/femmes et sur l’éducation des enfants.
Les hommes et les femmes étant non seulement égaux en droits mais jugés identiques, si ce n’est bien sûr biologiquement, sont maintenant censés avoir les mêmes motivations, les mêmes comportements, les mêmes résultats. Si les femmes n’arrivent pas à atteindre le niveau de résultats des hommes, la faute en revient à ces derniers qui les auraient discriminées. Si les hommes n’arrivent pas à faire preuve des mêmes qualités que les femmes dans d’autres domaines, ils sont rendus responsables de leur mauvaise éducation.
« L’homme et la femme ne feront plus qu’un », nous disait Sacha Guitry, qui rajoutait cependant : « Reste à savoir lequel ? » Et Valérie Zerguine semble donner la réponse en même temps qu’elle se pose la question : « Et si, à trop vouloir changer l’homme, la femme l’avait recréé à son image ? » (Marie Claire, juin 2001). Pas étonnant si les règles de comportement faites pour protéger les hommes ne tiennent plus compte aujourd’hui que de la spécificité féminine, devenue la norme ! La sensibilité, l’authenticité, la spontanéité, le lâcher prise, la proximité, l’harmonie… autrefois dénigrées comme qualités féminines deviennent aujourd’hui les valeurs que tout un chacun se doit de développer.
La « théorie du genre » conçoit les spécificités masculines non pas comme une infériorité naturelle (ceci ne serait pas politiquement correct), mais comme une maladie. Elle n’assume pas davantage la différence des sexes que ne le faisait l’idéologie patriarcale. En rendant, de façon assez perverse, l’homme responsable de ses soins et donc, en cas d’échec, de sa mise à l’écart, cette idéologie féministe est tout autant sexiste. N’assumant toujours pas la différence des sexes, elle ne permet pas de la gérer et ne favorise pas le « vivre ensemble » !
Cette idéologie, dans la réaction, a aussi de terribles conséquences sur l’éducation des enfants. Confondant les rôles sociaux et les fonctions symboliques, elle a certes permis aux hommes de pouvoir beaucoup mieux qu’avant jouer leur rôle de papa. C’est ainsi qu’ils s’occupent de leurs enfants et n’hésitent plus à être dans l’affectif, le ludique. Réagissant, à juste titre, contre le sexisme et l’autoritarisme des pères traditionnels mais se pensant semblable, la maman ne juge plus utile de jouer la fonction symbolique de mère et de faire exister une fonction symbolique de père que l’homme lui-même n’a parfois plus envie de jouer.
Ces fonctions différentes, non interchangeables avec un petit enfant ne sont-elles pas pourtant nécessaires pour que l’enfant devienne autonome et qu’il intègre la loi ? De moins en moins jouées, comment éviter le nombre grandissant d’enfants-rois ayant des difficultés à accepter les frustrations et les limites et qui deviennent difficiles à gérer dans la famille, à l’école et en société ?
Luttant à juste titre contre des discriminations mais ne permettant plus de gérer la différence des sexes et de donner une véritable éducation aux enfants, la « théorie du genre » doit-elle être considérée comme un progrès ou comme une dérive ?