Schmerber (Jean-Luc), « Les valeurs du paternisme », allocution prononcée à Paris le 27 mai 2000, lors du colloque organisé dans le cadre du neuvième congrès SOS PAPA sur le thème « La place du père dans la famille du XXIe siècle ». Jean-Luc Schmerber est avocat.
Comme les deux intervenants qui m’ont précédé, je voudrais dire que je suis content d’intervenir ici, invité, et je voudrais l’expliquer.
Je crois qu’il y a quelques associations qui font honneur à notre pays et qui nous donnent raison d’être relativement optimistes, qu’il s’agisse des Restos du cœur ou de SOS PAPA. Je les mets au même niveau parce que ce sont des associations qui me semblent véhiculer des valeurs qui sont à l’opposé des valeurs du féminisme. Je voudrais situer mon propos dans le cadre d’une certaine perspective : comme depuis toujours dans toute société, nous avons des débats de fond et des conflits entre des valeurs opposées. Et nous avons des valeurs que je rattacherai au « paternisme » ; pardonnez-moi le terme, le néologisme, qui n’est pas très heureux, mais c’est pour ne pas utiliser la vieille expression de paternalisme qui correspondait à tout autre chose. Je pense que les valeurs rattachées au paternisme l’ont très largement emporté dans notre société, notamment sur le plan judiciaire, sur les valeurs véhiculées par le féminisme.
La première de ces valeurs véhiculées par le paternisme, c’est l’altruisme, c’est la recherche de l’intérêt de l’enfant. C’est la valeur fondamentale du paternisme. Le féminisme étant de dire quelle doit être la place que je dois avoir, moi femme, dans la société actuelle.
Le paternisme, ce n’est pas cela ; c’est d’abord une réflexion sur autrui, et prioritairement sur l’enfant. Ce n’est peut-être pas sans raison qu’on a commencé à réfléchir à la notion de l’intérêt de l’enfant, à la fois sociologiquement, psychologiquement, mais surtout judiciairement, il y a vingt ou trente ans ; c’est parce que des associations de pères se sont mobilisées pour dire : « Mais voyons ensemble quel peut être l’intérêt de l’enfant, comment le traduire sur le plan judiciaire, quelles sont les modifications à apporter, comment les juges doivent l’envisager. » C’est effectivement un débat qui a été lancé par les pères. Je n’apprendrai rien à personne en évoquant la notion d’autorité parentale conjointe, c’est-à-dire ce que vous avez tout à l’heure évoqué en termes de bi-parentalité ou coparentalité. Ce ne sont pas des associations féministes qui ont levé le drapeau de la coparentalité et ont sollicité l’autorité parentale conjointe et sa mise en œuvre dans la loi. Elle est parvenue dans la jurisprudence parce que des pères, isolément, l’ont sollicitée, l’ont parfois obtenue, parce qu’au niveau de la réflexion ils ont montré, avec l’aide d’intervenants compétents, que cela allait dans l’intérêt de l’enfant. La notion d’autorité parentale est donc aussi votre œuvre, et c’est grâce à vous que c’est intervenu.
Plus récemment, pour tout ce qui tourne autour de l’hébergement modulé, quels sont les chercheurs, les associations, qui ont réfléchi sur cet hébergement modulé, avec ses atouts, et ses handicaps (ce n’est pas la panacée, on pourra en parler dans la discussion) ? Incontestablement, il n’y aurait pas d’hébergement modulé sans SOS PAPA. Ça, c’est clair et net. Il y aurait peut-être un père de temps en temps, à Perpignan, Strasbourg ou ailleurs, qui solliciterait dans son coin l’hébergement modulé, mais ça ne poserait en rien un problème de société ni un problème judiciaire. Si c’est actuellement évoqué dans un très grand nombre de débats, notamment avec des juristes, magistrats, avocats, services sociaux et autres, c’est parce qu’il y a eu une synergie de toutes ces demandes éparses, et surtout une réflexion qui est menée sur l’hébergement modulé. L’hébergement modulé est là aussi une traduction de cet altruisme véhiculé par l’association SOS PAPA au niveau de la réflexion, et je ne le dis pas pour faire plaisir.
Et cela n’allait pas de soit. Cela paraît maintenant comme une évidence, mais je rappelle à certains qu’il y a eu des associations de pères qui n’avaient pas les mêmes valeurs, qui ne défendaient pas l’hébergement modulé, et qui disaient uniquement : ce qui est inadmissible, c’est que nous, pères, ne soyons pas au même régime que les mères ; donc, il faudrait qu’il y ait les enfants confiés à la mère dans 50 % des cas, et les enfants confiés aux pères dans 50 % des cas. Je ne citerai pas leur nom, mais je connais mes sources et pourrai vous les livrer dans la discussion. C’est ce que j’appellerai le raisonnement féministe pas excellence, c’est-à-dire celui qui est construit en fonction de son intérêt personnel, de sa préoccupation, et qui n’a jamais été le discours ni la préoccupation de SOS PAPA.
Il y a eu ces dernières années l’apparition d’un phénomène qui se développe, c’est l’intervention de l’enfant dans l’environnement judiciaire ; c’est-à-dire plus exactement la prise en compte de la personnalité humaine de l’enfant au travers notamment de la possibilité pour lui de se faire assister par un avocat. Il suffit de voir concrètement ce qui c’est passé. C’est parce qu’il y a eu, je dirais à la louche, des centaines ou des milliers de pères qui se sont interrogé, qui se sont dit : « Mais est-ce que mon enfant ne pourrait pas s’exprimer, avoir son avocat et faire connaître ses sentiments ? » C’est pour cela que le problème a été mis sur la table, et c’est pour cela qu’il y a eu une modification de la loi. Encore une fois, aucune littérature féministe n’a jamais évoqué le problème de l’enfant comme personne humaine, comme possibilité d’être un être qui peut se faire assister. Ce n’est pas une critique, mais cet aspect altruiste n’est pas dans leur champ de préoccupation.
Un dernier élément pour souligner cette préoccupation des pères pour dépasser le cadre de leurs soucis personnels, c’est précisément l’existence de l’association SOS PAPA. Contrairement à ce qui est indiqué dans un quotidien du matin, Libération d’aujourd’hui, les propos que tient l’association, ses suggestions, sont justement la preuve, je dirais « la preuve par neuf », de ces valeurs véhiculées par le paternisme. Par les exemples que je vous ai donnés, j’ai préféré voir le côté optimiste, car tout n’est pas gagné. Il y a encore beaucoup à faire, et certaines des remarques qui ont été faites encore tout à l’heure mériteraient qu’on le développe. Mais, encore une fois, si on veut bien être optimiste, il y a eu des avancées considérables, je dis bien considérables, au niveau de l’autorité parentale conjointe, au niveau de l’hébergement modulé, au niveau de l’assistance de l’enfant, et c’est grâce à vous que ces avancées ont pu avoir lieu.
Deuxième élément de réflexion, deuxième valeur : c’est vrai que le paternisme semble être à la recherche de l’apaisement plutôt qu’à la poursuite artificielle du conflit inutile. Et encore une fois il s’agit de donner des exemples concrets, et non pas de lancer des pétitions de principe.
Deux exemples concrets. Depuis un an ou deux, se pose la question d’envisager une autre voie pour la séparation, à savoir un divorce non judiciaire. Là, évidemment, étant président de l’association pour la promotion du divorce civil, vous vous doutez que c’est un sujet qui me tient à cœur. Mais on pourra en parler dans le cadre de la discussion. Nous avons, bien entendu, des objections fondamentales de la part des professionnels du droit. Si je veux caricaturer méchamment, certains n’oublient pas leur gagne-pain, et se disent : « Mais que deviendrons-nous si on nous enlève une partie du contentieux ? », etc. Si je veux être plus gentil, je dirai que certains, avocats ou magistrats, se disent : « Mais comment peuvent-ils encore divorcer sans venir me voir et sans bénéficier de mes conseils ? », comme s’ils étaient plus compétents que les parents eux-mêmes pour déterminer quel est l’intérêt de leur enfant. Car il est bien clair que le divorce civil n’est envisagé que comme la constatation d’une volonté de séparation des deux parents et la prise en compte de leur accord en ce qui concerne leur enfant, mais non pas comme la possibilité pour le maire d’être le juge en cas de conflit. En réalité, le divorce civil n’est donc envisageable que lorsque les deux parents sont d’accord, estimant qu’il n’y a pas de conflit entre eux sur un plan matériel, ni sur le plan des enfants. Mais il y a encore des avocats et des magistrats qui disent : « Ce n’est peut-être pas normal qu’il n’y ait pas de conflit ; il doit y avoir un conflit quelque part derrière. »
Ce qui me paraît intéressant et important, c’est que le divorce civil et cette volonté de trouver une possibilité de dédramatiser la séparation, de ne pas avoir l’entretien du conflit, pour l’essentiel ce sont encore des pères, des associations de pères, qui sont derrière ; aucune association véhiculant des valeurs féministes, ce qui est normal puisqu’elles sont davantage fondées sur le conflit : « Je ne suis pas content de la situation qui est la mienne, je dois donc me battre contre l’autre, etc. » Posez-vous la question. Ce n’est pas innocent. Ce sont donc là encore des pères, des associations de pères, qui sont derrière le soutien au divorce civil, avec bien entendu toutes les difficultés que cela peut représenter.
Je vais vous donner un deuxième exemple, qui me tient à cœur parce que je considère qu’il fait mal, parce qu’il est mal pris par l’environnement judiciaire. Vous y avez fait allusion indirectement tout à l’heure. Ce sont les accusations tout à fait infondées et scandaleuses qui sont formulées dans le cadre artificiel des séparations conflictuelles à l’égard de l’un des parents, et dans la majorité des cas, statistiquement, à l’égard du père, concernant de prétendus attouchements sur les enfants. Par ceux ou celles qui opèrent, je vois que ce n’est pas une hypothèse d’école. C’est un phénomène assez récent parce que, pour schématiser, jusqu’à l’affaire Dutroux, les questions d’agressions sexuelles ou d’attouchements sexuels n’empêchaient pas le système judiciaire de dormir. Mais il y a maintenant une prise de conscience importante.
Ce qui me choque, ce n’est pas tant qu’il puisse y avoir des accusations d’un parent à l’encontre de l’autre, même si vous comprendrez que je sois toujours surpris qu’il y en ait un qui s’aperçoive, après le divorce comme par hasard, que l’autre est à l’origine de violences sexuelles ou d’attouchements alors qu’il ne s’est rien passé pendant vingt ou trente ans. Ça peut avoir de quoi surprendre. C’est vrai, ce n’est pas le grand amour entre les deux parents, et on a un système judiciaire qui fausse tout, qui est fondé sur le gagnant/perdant, sur le fait que l’on doit sélectionner le bon parent et exclure l’autre. Donc un système qui, je dirais, en rajoute. Alors un parent, la mère, aidée par son avocat, comprend rapidement que cela peut donner un atout si on en rajoute un bon morceau et si on pousse le bouchon très loin. Mais je voulais dire que ce qui me choque, ce n’est pas tant qu’il y ait des accusations à un moment. Non, ce qui me choque, c’est qu’il n’y ait pas de sanction dans cette poursuite artificielle du conflit ; c’est ça qui, fondamentalement, me choque.
Au niveau d’associations comme SOS PAPA, nous ne pourrons pas trouver la solution pour interdire à un parent ou à un autre de porter des accusations totalement aberrantes. Mais par contre, ce que nous pouvons dire, c’est que s’il y a un parent qui porte de telles accusations à tort, et qu’il s’avère que c’est à tort, parce que, et ça arrive de plus en plus souvent, il y aura un refus d’instruire ou une relaxe si cela vient devant le tribunal, il faut avoir le courage de dire tout simplement : « Madame, vous exagérez quand même un petit peu d’avoir dit des choses qui n’étaient pas gentilles vis-à-vis de votre mari. Vous savez, ce n’est pas bon pour vos enfants, donc ne le faites plus. » Là encore, la poursuite artificielle du conflit est tout à fait admise et va à l’encontre de ce que nous souhaitons.
Le dernier point, la dernière valeur qui est importante, qui est une valeur portée par le paternisme, portée par SOS PAPA, et qui est l’opposé du féminisme, c’est le refus de l’exclusion et de la discrimination.