Naouri (Aldo), « L’enfant face aux problèmes des parents », allocution prononcée à Paris le 10 juin 1995, lors du colloque organisé dans le cadre du quatrième congrès SOS PAPA sur le thème « Besoins de l’enfant et droits des pères : la voie de la médiation ». Aldo Naouri est pédiatre à Paris.
Depuis longtemps il s’intéresse aux débats des enfants et des parents. Il a écrit plusieurs ouvrages, dont notamment Une place pour le père, ouvrage précurseur d’ailleurs, publié en 1985 et réédité récemment dans la collection de poche du Seuil « Points Seuil ».
Le Dr Naouri tient de nombreuses conférences à travers le monde, et est souvent interviewé, sur les plateaux de télévision ou dans la presse. Cette semaine encore dans le magazine Elle.
Signalons enfin son tout dernier ouvrage, aux éditions Odile Jacob, intitulé Le couple et l’enfant…
Docteur Naouri, vous êtes mieux qualifié que quiconque pour nous faire comprendre comment on peut préserver l’enfant dans les situations qui sont les nôtres. La parole est à vous…
Je vais essayer de trouver des formulations simples sur des questions aussi complexes.
Je vous fait part de ce qui est ma dernière position, compte tenu d’une pratique de pédiatrie, c’est-à-dire une pratique axée sur l’intérêt porté à l’enfant, et l’intérêt de l’enfant en priorité, et non pas du tout une pratique qui prendrait l’enfant en otage, sous prétexte de dire qu’il a besoin de ceci ou cela.
Afin de mieux comprendre, je crois que le plus simple est d’essayer de définir ce que sont les places parentales.
Elles sont en fait constituées de trois rôles qui sont similaires dans leur désignation, aussi bien du côté de la mère que du côté du père. Je dirai qu’il y a un rôle géniteur, un rôle social, et un rôle fonctionnel.
Je n’ai pas besoin de définir le rôle géniteur, il consiste à savoir de qui est l’enfant.
Rôle social
Le rôle social pose pas mal de problèmes, dans la mesure où, précisément, le mot « social » ne recouvre pas seulement la reconnaissance par l’ensemble des personnes qui sont autour de nous. Il représente aussi une forme d’officialisation que donne ou ne donne pas le droit. Je vous invite à réfléchir à tous les problèmes qui tournent autour des liaisons non officielles ou non officialisées par rapport aux règles de droit.
Rôle fonctionnel
Le rôle fonctionnel correspond à la signification que l’on donne aux mots « Papa » ou « Maman ».
Une des premières constatations que l’on peut faire, et qui est tout à fait importante pour comprendre le reste, c’est que ces trois rôles, statistiquement et de façon écrasante, sont dévolus à une seule et même personne qui a les trois rôles. C’est-à-dire qu’elle est génitrice, elle est reconnue comme mère par le corps social, puisque de toutes façons il n’y a rien de plus certain qu’une mise au monde. En ce qui concerne le rôle fonctionnel, il n’y a aucune difficulté, parce qu’il lui suffit simplement de mettre ses pas dans ceux de sa propre mère pour que ce côté fonctionnel puisse aller à l’enfant de la même manière.
Cela est simple à comprendre : une maman a été une petite fille, elle devient maman de son enfant, et elle fait avec lui ce que sa mère a fait avec elle. C’est-à-dire qu’elle va obéir à une logique de comportement, qui est une logique de comportement féminin par essence, et qui consiste à assumer une fonction majeure selon la logique de la grossesse, c’est-à-dire satisfaire immédiatement, sur l’instant et sans penser à plus tard, le moindre des besoins de son enfant, et cela quel que soit l’âge de l’enfant et quelle que soit la nature du besoin. C’est une sorte de vocation, une sorte d’apostolat, qui n’est pas négligeable, qui est formidablement important, et en plus, du fait que les trois rôles sont réunis dans la même personne, il confère à l’enfant le sentiment que sa mère est douée d’une véritable toute-puissance.
Cette toute-puissance, l’enfant en tire bénéfice. La mère en tire bénéfice également parce que, de toutes les façons, elle réalise sa logique comportementale.
Rôle géniteur
Le père est le géniteur, il le sait, mais il ne peut en être sûr et le savoir réellement que dans la mesure où une mère le lui dit. Vous savez bien, la littérature en est couverte, quantité de scénarii tournent autour de cela : un homme, qui croyait jusque-là ne pas avoir de problèmes avec sa femme et ses enfants, peut s’entendre dire par sa femme : « Eh bien ! tu sais, il n’est pas de toi ! » Donc, le corps de la mère recèle le secret du rôle géniteur du père, de telle sorte que le rôle géniteur, même en cas de sécurité, de certitude maximale, reste toujours dans une forme de flou. Le droit romain disait : Mater certissima, pater semper incertus (la mère est certaine, le père est toujours incertain) !
Historique du rôle social du père
À partir du moment où le rôle géniteur reste dans cette forme d’incertitude, vous vous rendez bien compte qu’en définitive le rôle social, lui, reste également dans une forme d’incertitude à peu près équivalente. Quand on regarde de près dans l’histoire, c’est précisément ce à quoi se sont heurtées toutes les civilisations. On a essayé de faire en sorte que quelque chose se stabilise de ce côté-là, c’est-à-dire que l’on puisse penser une société évoluant d’une façon telle que cette incertitude puisse être levée. C’est ainsi que quantité de sociétés se sont organisées autour d’un soutien au père qui est pensé dans l’ensemble du fonctionnement de la société, qui est mis en exergue du fonctionnement de la société. Chacun de nous a en tête l’image du Pater familias romain qui était tellement puissant, et auquel il était concédé tellement de droits, qu’il avait droit de vie et de mort sur l’ensemble de sa maisonnée. Et pas seulement sur ses enfants.
En revanche, il existe des sociétés dans lesquelles le statut social conféré au père reste extrêmement flou. Les dernières évolutions de nos sociétés occidentales, dans un souci extrêmement louable de faire en sorte que disparaisse la discrimination sexuelle, ont voulu supprimer quantité de droits qui favorisaient les pères. Si bien que nous nous trouvons actuellement dans une nouvelle forme de société, où nous sommes renvoyés à la confrontation directe inter-sexuelle, sans aucune espèce de ménagement intermédiaire.
Le rôle fonctionnel du père
Il est extraordinairement problématique. Quel est-il ? Que peut-on en dire ?
Évidemment, on me dira : « C’est simple, moi je suis papa, j’adore mes enfants, ma fonction c’est d’adorer mes enfants ! » Je ferai remarquer que le fait d’aimer ou d’adorer ses enfants, d’avoir envie de ses enfants, est strictement équivalent d’un côté comme de l’autre. Il n’y a pas de priorité ni de primauté possible.
L’origine de la vie – Explications
En fait, le statut conféré à l’enfant, à l’intérieur de la conscience et de l’inconscient parental, c’est ni plus ni moins que le statut d’échec fait à la mort. Et on ne se reproduit pas autrement que sous la forme d’un mécanisme de cette puissance. Donc, une mère fait un enfant pour faire échec à la mort, le père fait un enfant pour faire échec à la mort, et l’investissement suffit. Cela ne définit pas le rôle fonctionnel du père, qui est difficile à cerner. On peut se rendre compte de ce rôle en écoutant le récit d’individus sur un divan, s’apercevoir de ce qui se passe. Qu’est-ce que c’est qu’un père ? À cette question, la psychanalyse, par exemple, a les plus grandes difficultés à répondre, pour une raison simple, c’est qu’à partir du moment où vous dites à un père : « Sois ceci ! », il ne peut plus rien faire du tout. Ce qu’on remarque simplement, d’une façon un peu grossière, c’est qu’en fait la fonction de père, c’est d’avoir une sorte de pouvoir – je ne définis pas ce pouvoir, je reste dans le vague très volontairement – un pouvoir d’une nature telle qu’il puisse venir faire obstacle à la toute-puissance de la mère.
Pourquoi cette espèce de contre-pouvoir ? Parce que la toute-puissance maternelle, réclamée par l’enfant, assumée par la mère, comporte elle-même une forme de toxicologie. C’est-à-dire que, laissée à elle seule, elle va devenir proprement mortifère…
En ce qui concerne la mère, l’intensité vivifiante de sa fonction de mère part de zéro, puis monte très fort jusqu’à la fin de la grossesse, et, évidemment, du fait que la mère est tellement indispensable à son enfant, reste longtemps élevée. Puis on se rend compte d’une chose, c’est que, à partir du moment où rien ne vient tempérer ou faire obstacle à l’exercice délibéré de la fonction maternelle, quelque chose rend cette fonction littéralement insupportable à l’enfant. À telle enseigne qu’on peut dire que si cela continue ainsi, cette mère va devenir étouffante au fil du temps. Pour parler en termes beaucoup plus crus, je dirai, si vous voulez, que la fonction maternelle qui est hautement « vivifiante » au début de l’existence devient, à force de persister identique à elle-même, « mortifère » au fil du temps. Le mot est brutal, mais il suffit de lire quelques pages de Proust pour se rendre compte de ce que peut éventuellement engendrer comme catastrophe une mère vissée à son enfant et qui en a fait une sorte d’otage, un individu autour duquel continue de s’expandre un sac utérin.
Il est extrêmement difficile pour une mère de ne pas se laisser aller à être intoxiquée par cette toute-puissance, et il est extrêmement difficile pour l’enfant de ne pas réagir au côté extrémiste de cette toute-puissance : « interdire le père ! »
Le père lui aussi a une logique. Il a une logique qui n’est pas seulement celle de « J’aime mon enfant ». Cette logique est le pendant de la logique de la grossesse ; elle est une logique de l’engrossement. C’est-à-dire : un père est un homme, et ce qui intéresse un homme c’est précisément d’engrosser sa femme.
Engrosser une femme, c’est pour lui quelque chose de tellement fondamental qu’en définitive il ne pense qu’à cela. D’ailleurs, c’est tellement fondamental et tellement important qu’il ne pense qu’à cela pour n’importe quelle femme. La nature fait en sorte que, précisément, à longueur de journée, il est capable, depuis la puberté jusqu’à la fin de ses jours, de semer des milliards de cellules germinales. Alors qu’une femme évolue dans une forme de certitude tranquille où, entre un temps délimité par la puberté et la ménopause, elle pond chichement un œuf par mois.
Nous avons donc d’une part cette forme de tranquillité, d’évolution extrêmement tranquille, économe, facile, bien gérable, et puis, de l’autre côté, quelque chose de fou. Cette chose si folle que, de toutes manières, le désir d’engrosser, ce désir de semer à tout vent, fait que le père va n’être intéressé que par une chose : c’est récupérer sa femme le plus tôt possible pour pouvoir l’engrosser à nouveau. Si bien que, précisément, un homme, un père, est littéralement mû à l’intérieur de sa vie de couple, de sa vie de parent, par le goût prononcé qu’il a pour le coït. Donc, il va dire à sa femme : « Écoute, viens, je t’emmène au restaurant, je te séduis, je te fais ceci, je te fais cela, pourvu que je puisse avoir ma petite satisfaction à la fin. » Ainsi, il la retire à son enfant.
Chaque fois qu’il retire la mère à son enfant, il ne laisse plus cette femme vivifier l’enfant. Au fond, on peut dire en quelque sorte que le père n’a pas de fonction vivifiante au départ. Il n’apporte donc aucune espèce d’élément vivifiant à son enfant ; au contraire, il lui en retire.
On se rend compte curieusement qu’au fil du temps cette façon de distraire la mère de son souci majeur, du souci primordial qu’elle a pour son enfant, qui peut paraître dommageable au départ de l’existence (tendance mortifère), devient au fil du temps, au contraire, vivifiante. Cette situation va structurer l’enfant, et faire en sorte que de façon progressive une séparation se fait entre la mère et l’enfant. Le croisement des deux tendances se fait précisément à l’adolescence, et l’on sait très bien jusqu’à quel point c’est extrêmement violent.
Fonction du père
En partant de ce qui précède, on peut dessiner la fonction du père, ou l’imaginer. Elle n’en est pas pour autant facile à assumer.
En effet, voici pourquoi :
- la mère se trouve être la fille de sa propre mère et a une envie très forte de donner à l’enfant quelque chose de ce qu’elle a connu ;
- le père est également le fils de sa mère et a une envie très forte de donner à l’enfant ce que sa mère lui a donné.
Il est facile pour lui d’être une mère de substitution, une mère bis, une autre mère.
En revanche, occuper la fonction séparatrice, c’est autrement plus difficile, pour une raison simple, c’est qu’il a eu un père, et ce père a passé son temps à le couper de sa mère et de la satisfaction que lui a apporté son contact. Il n’a pas accepté cette situation avec le sourire, ou en disant : « Oui Papa » ; il s’est dit : « Tu m’embêtes, je suis très bien avec Maman, fiche-moi la paix, ne m’empêche pas de tourner en rond, je te hais, je te déteste, je ne veux qu’une chose, c’est que tu meures. » Les souhaits de mort à l’endroit du père sont la chose la plus banale du monde, et ce sont les souhaits qu’émettent tous les enfants quel que soit leur sexe. Il va se produire un moment où cet enfant, qui avait souhaité la disparition de son père pour pouvoir rester avec sa mère dans cette sorte de duo superbe où la satisfaction et le plaisir étaient constants, va devenir père à son tour. Le fait est que, précisément, si jamais il joue le même rôle que son père en faisant le père, il va recevoir de la part de son enfant toute cette masse de haine, toute cette masse de révolte, toute cette masse inconsciente de ses vœux de mort. Si bien qu’il a une certaine facilité à fuir cette fonction, c’est-à-dire, en définitive, à ne pas « faire le méchant ».
Mais le dilemme est là : s’il ne fait pas le méchant, s’il n’est pas celui qui limite la relation intime mère-enfant, il va renouveler l’influx de la mère et, au lieu de suivre une courbe vivifiante ascendante, on aura une influence de moindre amplitude.
Or, si dans le premier cas on se rend compte que ce qui se passe pour l’enfant est la résultante des deux tendances, c’est-à-dire quelque chose qui est en gros relativement régulier, dans le deuxième cas la résultante est quelque chose qui file à une vitesse telle qu’au moment de l’adolescence, précisément, ça donne le vertige. C’est ce que je constate actuellement à l’intérieur du vécu de l’adolescence par nos adolescents.
Un pouvoir qui vient contrebalancer la toute-puissance de la mère, ce pouvoir-là ne peut être réellement exercé par le père ; c’est-à-dire qu’il n’accepte d’assumer sa fonction que dans la mesure où il est préalablement désigné par la mère pour assumer cette fonction.
Préalablement désigné par la mère ! Cela ne veut pas dire du tout que la mère lui dit : « Je t’autorise à être le père ! » Cela veut surtout dire que cette femme tient tellement à lui, qu’en définitive l’enfant passe un plan plus loin.
Cela fonctionne très bien, à condition que les sociétés ne mettent pas l’enfant au premier plan, c’est-à-dire que les sociétés n’entraînent pas à l’intérieur de ce système une forme de toxicologie qui leur est propre et qui fait que, par exemple, chez nous, plus de 50 % des décisions d’achats dans les ménages sont le fait des enfants selon l’INSEE.
Les publicitaires, aujourd’hui, visent l’enfant avant tout, et quoi que vous fassiez, vous ne pouvez plus gérer la situation. D’ailleurs, je vois très bien ici, sur cette affiche, l’enfant disant : « Papa, tu me manques, appelle SOS PAPA ». Je dis : « Ça, c’est faux ! » Parce que le moutard à cet âge-là ne dit pas : « Papa, tu me manques ! » Il le fera quand il aura dix ans de plus. À cet âge-là, il ne demande pas Papa, il est très bien avec Maman.
Pour que le père puisse exercer son rôle, il doit absolument être investi par la mère qui, au fond d’elle-même, à chaque fois qu’elle est avec son enfant, doit avoir le sentiment qu’en définitive elle n’est pas seulement avec « son » enfant, mais qu’elle est avec l’enfant que lui a donné cet homme.
L’état d’esprit des femmes a beaucoup changé vis-à-vis du futur père de leurs enfants. Auparavant, une femme « faisait un enfant à un homme » ; aujourd’hui, une femme dit : « Je cherche un père pour mon enfant. »
Cela veut dire que la toute-puissance de la mère tend à être de moins en moins limitée, et nous sommes dans une situation qui est en train de prendre une mauvaise tournure. C’est d’autant plus grave que si l’on se limite à considérer nos rôles naturels, tout ce qui vient restreindre la toute-puissance maternelle est de l’ordre du père. Autrement dit, toute intervention extérieure qui viendrait dire « non » à la mère et « non » à l’enfant ferait fonction de père. C’est-à-dire que le côté fonctionnel du père est atomisé et atomisable. Évidemment, me direz-vous, à partir du moment où c’est atomisé et atomisable, pourquoi faudrait-il quelqu’un pour occuper cette fonction ?
Un minimum ne suffit pas à structurer valablement un individu, on a besoin d’un peu plus. À partir du moment où l’on envisage les relations père/mère/enfant comme je viens de le décrire, on peut imaginer ce qu’il en est des recompositions familiales.
Quand il y a séparation, et Dieu sait que j’ai une grande pratique grâce à ma clientèle, on se trouve dans un cas de figure où l’enfant est laissé à la discrétion de la toute-puissance de la mère.
En effet, le père ne peut plus exercer sa fonction, puisqu’il est désavoué par la mère. Il est rejeté par la mère. Autrement dit, la fonction du père ne peut plus être exercée auprès de l’enfant que dans la mesure, je le répète, où deux conditions sont remplies :
- la mère de l’enfant demande à cet homme d’occuper cette fonction ;
- le père accepte de l’occuper.
Elle le lui demande parce que, pour elle, il est quelqu’un de très important. Il accepte de l’occuper, c’est-à-dire de ne pas être un substitut de mère, ou de rester dans la lignée de sa propre mère. Il consent donc à se raccommoder, à se rabibocher avec sa propre histoire et avec son propre père. Dans un cas de séparation, cette fonction-là n’existe plus. Il reste seulement au père de l’enfant le côté géniteur, le côté social, le coté de l’histoire. Ce n’est pas négligeable, c’est même énorme, pour une raison simple : c’est un capital qui reste valable pour le long terme.
On pourrait résumer ainsi : une mère qui exerce sa fonction travaille toujours pour le court terme, dans l’immédiat. Un père qui exerce sa fonction, comme vous l’avez vu, travaille toujours dans le très long terme.
Dans la mesure où le processus est dynamique et s’étale dans le temps, il faut bien comprendre que l’intérêt de l’enfant pourrait être préservé en restituant aux deux parents le côté fonctionnel de leur rôle. Le corps social peut faire quelque chose. Des associations comme SOS PAPA peuvent favoriser l’évolution, et les juges également. Mais ce qu’il ne faut surtout pas oublier, c’est que, dans les cas de séparation, une femme en position de mère de l’enfant d’un homme va rencontrer un autre homme qu’elle élira à nouveau. C’est extrêmement difficile pour un père de se dire que le nouvel homme de son ex-épouse va jouer un rôle dans l’éducation de son enfant. C’est extrêmement difficile parce que, dans une rupture, il y a toujours le côté narcissique qui joue très fort.
Le meilleur service qu’un homme séparé de sa femme puisse rendre à son enfant est de permettre au gouvernement de son ex-épouse de constituer une organisation stable. La raison en est simple. À partir du moment où un homme entre dans la vie de cette femme, le côté fonctionnel est remis en route. Il l’est d’autant mieux si le beau-père est investi par la mère et par l’enfant de l’aspect fonctionnel du rôle du père. C’est lui qui fera la loi, qui posera les interdits là où il les faut. Si jamais cela ne se passe pas, la mère se retrouve dans sa toute-puissance, d’ailleurs quelques fois de façon très perverse : « J’ai toute l’autorité sur les enfants. Toi, le nouveau, tu n’es pas leur père, tu la fermes ! Et toi, l’ancien, tu n’es plus leur père, alors tu te tires ! » Celui qui est le dindon de la farce, c’est le gamin.
Or, il n’y a pas encore de texte qui puisse donner aux beaux-parents un quelconque semblant de droit. Je pense que si jamais il y avait quelque chose de cet ordre, on pourrait probablement progresser dans la compréhension de toutes ces difficultés. Toute séparation est un drame. Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, puisque chacun sait que leur nombre va en s’aggravant de plus en plus.
Pourquoi cette situation, et pourquoi tant de drames ? Parce que nous vivons de façon de plus en plus impulsionnelle. Notre société, qui est de plus en plus sophistiquée, a de plus en plus de mal à trouver ses marques, et les valeurs morales qui sont censées la soutenir passent au second plan, derrière des valeurs plus superficielles, plus éphémères, et plus passionnelles. Nous sommes en voie de grave sous-développement, et ce sous-développement va nous conduire à la guerre des sexes, et au massacre.
Que nous nous massacrions seulement à notre niveau générationnel, passe encore. Le plus grave, c’est que lorsque nous faisons des dégâts entre nous, et qu’il y a un enfant au milieu, nous lui montrons un exemple qu’il s’empressera d’appliquer à son tour de la même façon, sinon pire, et on continuera comme cela. Vous voyez un peu quel est l’avenir.