Bloch (Matthias), « La situation juridique en Allemagne », allocution prononcée à Paris le 10 juin 1995, lors du colloque organisé dans le cadre du quatrième congrès SOS PAPA sur le thème « Besoins de l’enfant et droits des pères : la voie de la médiation ». Matthias Bloch est avocat.
Avocat franco-allemand, Matthias Bloch se bat pour la garde conjointe en Allemagne et l’application des conventions internationales.
Le docteur Naouri a décrit le principe d’une organisation structurelle, puis a mis en évidence avec minutie les difficultés rencontrées. C’est extrêmement intéressant pour moi, car ma fille est actuellement dans l’une des crises d’adolescence décrites par le pédiatre.
Pour vous faire part de ma réflexion sur le droit familial, je vais prendre pour exemple l’Allemagne, en tant que pays, en tant que situation géographique et historique, puis je vous décrirai un cas extrême de ce que nous appelons droit, structure, histoire et moralité.
Sur le plan géographique, je constate que nous avons en Europe un droit tout à fait intéressant en Norvège et en Suède, un droit français différent du droit allemand. En Angleterre, le droit est également différent, mais partiellement seulement. Je ne connais absolument pas le droit polonais, et j’ignore plus ou moins le droit italien. En Norvège, les avocats n’interviennent pas dans le droit familial. La procédure de divorce est quasiment administrative, et je dirais que la conciliation est pratiquement imposée. Ainsi, 50 % des accords sont obtenus en application de cette procédure. Il y a là un schéma de dialogue assez intéressant, et je crois que la Norvège est le modèle type de ce qui est la conception scandinave de ce genre de question. J’ai eu le plaisir de rencontrer à Gand, où s’est tenu le Congrès sur l’application de la Convention de l’ONU sur les droits des enfants, le Barneombudet norvégien. Il assure un service direct au téléphone ou par courrier, et les enfants peuvent faire appel à lui. Ce système génère cependant des abus ; on m’a cité par exemple le cas d’une grand-mère qui s’est plaint, par l’intermédiaire d’un enfant, d’un problème aussi futile que le bruit.
Vous avez en France un système de divorce très juridique, nettement plus sûr, s’appuyant sur des principes clairement établis. Cela n’empêche pas que quelques critiques sérieuses soient à formuler lorsqu’on le compare au système allemand, car il génère des incertitudes encore plus graves que ce dernier. Je n’en dirai pas plus sur le contexte géographique.
En ce qui concerne le contexte historique, on se pose en Allemagne des questions telles que : Quelle est la morale à appliquer ? Quel est le bien ? Quel est le mal ?… Après Auschwitz, et tous ces crimes immenses qui pèsent sur l’être et sa conception, ces questions ont évidemment beaucoup plus d’impact en ce qui concerne le droit de la famille que celui des affaires. Nous avons entendu M. Naouri évoquer le sous-développement des valeurs morales. Vous pouvez considérer que dans la situation de l’Allemagne, où le doute est gravissime, conséquence de la rupture des valeurs morales la plus extrême que nous ayons connu dans un passé encore présent dans tous les esprits, ce sous-développement a une importance encore bien plus considérable.
C’est donc un néant, un désert, qui caractérise la situation du droit familial en Allemagne au lendemain de la guerre. J’en ai la preuve. Rien n’a été fait à ce moment-là. On a laissé en place un droit particulièrement vétuste. Il en était probablement de même en France. Il y avait par exemple une distinction grave et quasi totale entre le couple légitime et le couple illégitime, ce qui paraît aujourd’hui tout à fait médiéval.
Nous avons eu une réforme sous le régime de la coalition libérale-socialiste qui a aboli la notion de faute en ce qui concerne le divorce, ce qui semblé extrêmement progressiste et très moderne. Et voilà ! À qui la faute ? À personne ! On se quitte !… Et puis le droit n’est plus là pour juger d’un comportement conjugal ou sexuel. On a appliqué ce principe, et on s’est aperçu que pratiquement rien n’allait plus. Il n’y a maintenant pratiquement plus de droit, et c’est un constat d’échec.
Cela m’amène à vous montrer les résultats sur le plan du droit de la famille et du droit de l’enfant. En Allemagne, le mariage ne correspond même pas à un consensus social. Or, pour devenir quelqu’un, tout simplement une personne digne de ce nom, nous avons bien besoin de structures. Dans ce nouveau système, la structure même passe inaperçue. Elle n’est pas conçue comme une nécessité. Ce vide est remarquable. Il est rempli d’illusions. On pense que l’enfant devient un homme, ou une femme, comme ça, naturellement. Quand elle provoque des difficultés entraînant des procédures de divorce où il y a des décisions à prendre en ce qui concerne la garde des enfants, cette situation rencontre un vide juridique remarquable. On est alors dans une incertitude quasi complète par manque de références. Le droit pénal est beaucoup plus complet que celui permettant de traiter ce genre de procédures, qui a recours à l’arbitraire le plus général. Et pour tout dire, on interroge l’enfant comme s’il était la Pythie de Delphes.
En ce qui concerne la médiation, à de rares exceptions près, on peut également parler d’échec pour la simple raison que, dans ce domaine, vous avez besoin d’une langue, vous avez besoin d’une grammaire. Je crois qu’aujourd’hui tout juriste a besoin également d’une structure pour y trouver le droit, pour lever ses doutes. Tout cela se travaille.
J’ai travaillé trois ans en Allemagne de l’Est, et j’ai donc lu le Code civil d’Allemagne de l’Est. Je ne sais pas s’ils avaient conçu eux-mêmes ce petit bouquin, mais il était appliqué là-bas. Le Code civil ouest-allemand contient 2500 paragraphes, le Code civil français fait pareillement 2000 paragraphes. En Allemagne de l’Est, il n’en contient que 800. On vous dit : « Voyez comme c’est merveilleusement simple : la justice est socialiste, mon caractère est socialiste, mon comportement est socialiste, etc. Et puis je n’ai plus besoin de ces horribles définitions, de ces combats juridiques comme cela se pratique dans le droit bourgeois avec son Code civil compliqué ! » Je ne veux pas parler des contrats que j’ai lus sur le plan économique, c’était le flou patenté.
Ainsi, lorsqu’on applique un système ignorant, ou refusant de s’appuyer sur une structure organisée, on n’a pas les moyens pour nuancer, faire des distinctions. On est forcé de rester dans le flou de l’illusion généralisée, et c’est ainsi que l’on commet des injustices. C’est ça, le droit familial en Allemagne. Je vous l’expose, parce que c’est tout d’abord celui que je connais le mieux, et je le propose à votre réflexion comme un exemple permettant de se rendre compte à quel point le droit familial est le pivot des incertitudes ou des états d’âme des sociétés. Je pense que le dialogue et la réflexion se situent à un niveau particulièrement bas dans le droit familial.
Ensuite, pour tout vous dire, pour vous exposer un peu plus les faits qui nous préoccupent le plus en Allemagne, je précise qu’en 1976, quand la réforme entérina l’abolition de la notion de faute en divorce, le législateur a tout simplement oublié de prendre en compte les problèmes de garde des enfants, et d’assurer la continuité juridique aux deux parents… L’arrêté de 1982 donnait au législateur l’obligation de définir les modalités de la garde conjointe. Nous sommes en 1995 et ce n’est toujours pas fait. Sous la pression des textes internationaux, nous avons finalement maintenu un projet de loi limitant la discrimination des enfants nés de parents non mariés. Or, nous n’avons fait aucun progrès sur le plan législatif en ce qui concerne l’organisation de la garde ou la médiation. Ces sujets ont été inscrits dans la nouvelle législature, qui a maintenant quatre ans ; c’est-à-dire qu’on les inscrit depuis douze ans, et rien n’a jamais été fait. La seule explication que je trouve est cette incertitude devant les choix à effectuer, et cette habitude bien ancrée de traiter ainsi « les choses sur le gazon », cela sans que la société soit capable d’une prise de conscience. Et tant pis si les pères et les enfants sont broyés par cette machine qui fonctionne selon le mode impulsionnel, c’est-à-dire en fonction des impressions des juges.
Il y a quelques mois, j’ai eu une audience où l’on a voulu interroger les enfants au sujet d’une question idiote. J’ai finalement dit au juge : « Est-ce qu’on donne le droit de parole aux enfants pour savoir s’il est mieux d’aller à l’école ou en vacances ? » J’ai dû aller jusque-là pour lui faire comprendre qu’il serait peut-être mieux que les parents et le juge trouvent un accord plutôt que de se référer à l’avis des enfants, qui se trouvent le plus souvent confrontés à un conflit de loyauté des plus graves dans ce type d’interrogatoire.
C’est donc pour souligner la nécessité des structures et des réflexions sur les structures que je voulais exposer, à titre d’exemple, le cas de l’Allemagne.