Noël (Laurence), « La médiation familiale », allocution prononcée à Paris le 10 juin 1995, lors du colloque organisé dans le cadre du quatrième congrès SOS PAPA sur le thème « Besoins de l’enfant et droits des pères : la voie de la médiation ». Laurence Noël est vice-présidente du Tribunal de grande instance de Bordeaux.
Laurence Noël était premier juge à Rochefort-sur-Mer en 1992 lorsqu’elle a fait jurisprudence, en donnant priorité à la Convention européenne des Droits de l’Homme sur l’infâme article 374 du Code civil, et en attribuant la garde provisoire à un père naturel.
Elle a également développé une pratique de médiation familiale qu’elle a réussi à intégrer au processus judiciaire lui-même et dont elle nous parlera…
Madame le Président Laurence Noël, acceptez-vous de nous faire part de vos points de vue sur le fonctionnement de la justice matrimonio-familiale, et de nous faire part de vos expériences et de vos pratiques tout à fait originales en la matière ?
J’ai été juge aux affaires familiales pendant plus de sept ans dans une petite juridiction, et j’ai eu recours à la médiation familiale de façon habituelle ; je vais essayer d’expliquer brièvement pourquoi et comment cela marchait.
Tout d’abord, contrairement aux idées reçues, la médiation a toujours été possible dans le cadre juridique. Il existe un grand principe en droit civil qui donne mission au juge de réconcilier les parties.
Il est intéressant de noter qu’à l’occasion de grands conflits sociaux, le juge des référés faisait souvent appel à un médiateur quand il s’agissait d’expulser les grévistes ou autres. Il n’y avait aucune critique des juristes. C’est seulement lorsque la médiation a été utilisée dans le contentieux familial que les critiques ont commencé à se faire entendre. On peut se demander pourquoi ?
Comment devient-on juge aux affaires familiales ?
On ne le devient pas parce qu’on le désire ou parce que l’on a une compétence particulière. On le devient parce que l’on est nommé à une fonction dans une ville et que cette fonction inclut le contentieux familial. C’est ce qui s’est produit lorsque je fus nommée premier juge à Rochefort. Cette obligation d’avoir à traiter des contentieux pour lesquels ils n’ont pas été préparés, ou pour lesquels ils ne se sentent pas de dispositions particulières, peut expliquer pourquoi certains de mes collègues ne sont pas du tout à l’aise. À Bordeaux, je ne fais plus du tout de contentieux familial, je fais maintenant du contentieux bancaire. Je n’était absolument pas compétente pour traiter ce sujet quand j’ai pris mes fonctions. De même, lorsque j’ai commencé à traiter les problèmes de contentieux familial, je n’y étais pas préparée du tout. Pour une question d’organisation interne au tribunal, j’ai pris la procédure à rebours. J’ai commencé par m’occuper des après-divorces et des contentieux des enfants naturels, puis ensuite de la procédure de divorce. Après, j’ai fait des conciliations. Ce processus à rebours a été pour moi une expérience très intéressante. En effet, je traitais beaucoup de contentieux d’après-divorce, et je me suis tout de suite posée des questions telles que : Mais pourquoi reviennent-il devant le juge alors que ça fait à peine six mois qu’ils ont divorcé ? Pourquoi telle famille revient-elle tous les six mois ?
Les mêmes problèmes reviennent sans cesse : une fois c’est un problème de pension, une autre fois c’est pour un changement de résidence d’enfants, une autre pour un problème de droit de visite. Vous vous dites au bout d’un moment : ça ne marche pas.
Il faut en conclure que la gestion de ce contentieux ne va pas. Il en résulte une très grande insatisfaction, tout à la fois pour le juge et le justiciable.
Connaître le fond des problèmes
Je me suis alors dit qu’il était peut-être nécessaire d’avoir plus d’éléments pour pouvoir statuer. J’ai donc fait appel à des enquêteurs sociaux, à des médecins pédopsychiatres, et puis dans cette équipe s’est inséré le médiateur, parce que dès le départ j’avais commencé à faire quelques ordonnances de médiation.
Cette équipe se réunissait, puis élaborait des règles. Par exemple, pour l’enquête sociale : est-ce que l’enquête doit se faire à l’école, est-ce que l’enquêteur social doit aller entendre l’enfant chez le père, ou chez la mère ? La médiation est arrivée en même temps. Elle fait donc partie de l’approche globale du contentieux familial.
Comment la médiation se déroulait-elle ?
Il y avait une permanence de médiation pendant mes audiences. La médiatrice se tenait à quelques bureaux du mien.
En matière de conciliation, un juge peut avoir recours à la médiation dès que la volonté de se séparer est énoncée. Après avoir entendu séparément puis ensemble les deux époux, je pouvais leur dire d’aller voir la médiatrice au sujet de la raison de leur séparation, ou au sujet de l’organisation de leur séparation. Cela ne les engageait à rien car de toute façon ils reviendraient devant moi. S’ils avaient pris un accord, je l’homologuerais ; dans le cas contraire, je prendrais des décisions. Donc, dès ce stade, la médiation pouvait commencer à se mettre en place. Je pouvais également à ce niveau décider une ordonnance de médiation, si les parties jugeaient utiles de se rencontrer plus souvent.
La médiation pouvait être ordonnée dans le cadre même de la procédure de divorce, soit avant toute mesure d’investigations, enquêtes sociales ou examen médico-psychologique, soit après que l’enquête sociale et les examens aient été réalisés. Cela offrait donc pour le magistrat que j’étais une palette de possibilités très grande. Comment cela fonctionnait-il ? Ma greffière emmenait les deux époux dans le bureau de la médiatrice, il se déroulait alors à ce moment-là une médiation brève dont le but principal consistait à informer les époux. La médiatrice indiquait pourquoi elle était là, expliquait le fonctionnement, quel rendez-vous les époux pouvaient avoir. Puis ils revenaient devant moi, avec quelque fois un accord. Ce n’est pas toujours le cas, contrairement à l’idée répandue qui dit que la médiation doit toujours se terminer par un accord. Ce que je peux dire avec l’expérience, et que je tiens à préciser, c’est que tout processus de médiation est utile, même si elle ne se termine pas par la réalisation d’un accord concret et précis sur des points particuliers. Cependant, je ne peux pas vous indiquer quel était le langage de la médiatrice lorsqu’elle recevait les personnes. Ce qui se dit là est confidentiel et n’est pas transmis dans le cadre de la procédure. Ce lieu est prévu pour que les parents puissent discuter, échanger leurs idées sur tous les problèmes que pose la séparation, pour eux-mêmes, pour les enfants, de façon qu’ils puissent se mettre d’accord sur toutes les décisions à prendre. Chaque famille est différente. Le nombre d’enfants, leur âge et leurs comportements, la disponibilité des parents diffèrent selon chaque cas. Il est nécessaire de trouver des solutions qui conviennent à chaque famille. Les accords pourront être écrits dans un contrat parental signé, et présenté par les parents eux-mêmes au magistrat.
Je proposais ainsi de réaliser une séance de médiation : « Madame, vous pouvez aborder aujourd’hui le sujet que vous aimeriez discuter avec l’autre parent. Au cours de cette rencontre, vous pourrez évoquer les motifs qui vous amènent devant le juge, ou de tout autre chose, tel le sujet qui vous préoccupe le plus, comme par exemple le comportement de l’enfant, sa scolarité, sa santé ou son entretien matériel. » La suite de la médiation est un peu plus technique, et je pense que Mme Dahan l’expliquera.
Il existe des idées reçue en matière de médiation :
- Dans le cadre judiciaire notamment, on a souvent reproché à la médiation de ne convenir qu’à des familles de milieu socioculturel moyen ou supérieur. En fait, je peux affirmer que l’expérience pratique réalisée à Rochefort a montré au contraire que toutes les familles, de quelque niveau que ce soit, avaient un grand avantage à recourir à la médiation, et pouvaient exprimer plus rapidement les raisons profondes de leurs difficultés, de leurs litiges.
- La médiation peut être effectuée dans le cadre d’enquêtes sociales ou d’expertises. C’est totalement faux. Il faut distinguer ce qui est de l’ordre de l’investigation, donc de l’enquête sociale, des examens médico-psycologiques, et ce qui est de l’ordre de la production d’un accord qui est la médiation. L’enquêteur ne peut pas faire ce travail.
- La médiation aboutit à des accords durables. C’est faux ; de toute façon, même si un accord est conclu, toute famille évolue, les enfants grandissent, les problèmes changent, donc le recours à la médiation doit être conçu comme un processus normal et habituel, auquel on peut avoir recours à différentes reprises.
- La médiation est la seule réponse aux difficultés actuelles de la justice familiale. Je ne le crois pas. C’est un des moyens, ce n’est pas le moyen essentiel. La médiation permet de parler dans un cadre de confidentialité de ce qui appartient au domaine privé et de la vie personnelle. Elle permet aux personnes de s’exprimer sur les aspects intimes de leur conflit. Le juge ne peut le permettre.
Lorsque vous allez devant le juge, vous passez généralement par un avocat, mais le processus judiciaire impose que les problèmes traités soient mis sous la forme juridique. Cette dernière introduit une distance par rapport à la réalité. Quand vous allez voir un avocat, vous allez lui parler de ce qui ne va pas dans votre situation personnelle, et, très vite, cet avocat va nous le traduire en concepts juridiques. On va présenter une requête en modification de résidence, ou en modification de droit de visite, et quand vous vous trouvez devant le juge, vous allez parler, il va vous interroger sur ces points précis. Or ce que vous souhaitez exprimer, c’est tout ce qui ne va pas, et cela touche l’intimité du couple. Or, ce n’est pas le travail du juge de parler de l’intimité.
Les avantages de la médiation
Le recours à la médiation est très important pour le magistrat. Cela lui permet de bien scinder les rôles. Je dirai donc que la médiation permet de redonner au juge son exacte fonction, qui est d’appliquer la loi, ou de faire respecter le droit, et non de faire du traitement social. Il conserve ainsi toute sa fonction symbolique et sa force.
La médiation permet de retrouver le réel en l’incorporant au processus judiciaire, mais à côté. Cela satisfait les parties car, au-delà des termes juridiques, comme je viens de vous l’indiquer, c’est l’intime et l’essentiel de chaque personne qui sont en jeu dans tous les conflits familiaux. La médiation permet aussi de garantir la bonne exécution des décisions, car il est évident que lorsqu’une décision est prise d’un commun accord, elle sera d’autant plus aisément mise en application.
Mais surtout, la médiation est un garde-fou à l’arbitraire du juge, qui doit s’appuyer sur un droit imprécis. Je citerai pour exemple les questions suivantes : qu’est-ce que l’autorité parentale conjointe ? Quel est le bon parent ? Qu’est-ce que la notion de l’intérêt de l’enfant lorsque les normes sont absentes ? L’appréciation repose sur la subjectivité du magistrat.
Autrefois, il y avait la jurisprudence qui permettait d’établir les règles qui n’étaient pas définies par le droit. À l’heure actuelle, tout va très vite ; les textes de lois changent vite. Il y a beaucoup de contentieux et pas beaucoup de magistrats. Tout cela fait que la jurisprudence ne peut pas s’élaborer.
Prenons par exemple la notion de bon parent : on pourrait dire que le bon parent est celui qui n’éloigne pas l’enfant de l’autre parent. On pourrait après tout établir un certain nombre de critères en fonction de l’âge de l’enfant. Peut-on savoir si l’enfant se trouve mieux avec sa maman ? Il y a bien des choses que les juges pourraient faire. Ils ne le peuvent pas, parce qu’ils sont noyés dans le contentieux familial. Ils n’ont pas le temps de réfléchir.
À mon avis, la médiation permet de remédier aux lacunes de ces processus automatiques.
Je voudrais terminer par une petite citation faite par un critique de droit qui parlait des dangers qui menacent le juge des affaires familiales :
« Veut-on réduire le droit de l’enfance et de la famille à un catalogue de pieux principes dans lesquels le juge puisera à volonté, appliquant le général pour écarter le particulier ou le contraire selon les cas, jouant d’une disposition contre l’autre, le tout se réduisant à un rituel apparent – entendre tout le monde, demander l’avis de tous – dissimulant ainsi l’arbitraire le plus total, où tout est plaidable, faute de règles de fond préalables [1] ? »
Quoi qu’il en soit, les mots prononcés par le juge sont d’une très grande importance et l’ordonnance qu’il prononce prime, même si l’une des deux parties ne le veut pas. C’est pour cela que la médiation est utile. Sa pratique n’est généralement pas volontaire. Vous n’allez jamais chez le médecin volontairement. C’est également une démarche difficile d’aller voir un tiers, de lui expliquer ce qui est intime et personnel, sans se réfugier derrière des concepts juridiques. Il faut donc une impulsion et, à mon avis, il est souhaitable que le juge puisse ordonner une médiation.
Notes
1. Hauser (Jean), Revue trimestrielle de droit civil, 1993, p. 815.