Cuny (Jean-Pierre), « L’influence des enquêtes sociales dans l’affaiblissement du rôle du père séparé et dans la minimisation de son image », allocution prononcée à Paris le 11 juin 1994, lors du colloque organisé dans le cadre du troisième congrès SOS PAPA sur le thème « Devenir et rester père, quel combat ? ». Jean-Pierre Cuny est avocat.
Avocat au barreau de Versailles depuis dix-huit ans et ancien chargé de cours, Maître Jean-Pierre Cuny est spécialisé dans le droit de la famille.
Praticien de premier plan, il a souvent éclairé de ses conseils avisés l’association SOS PAPA.
Devenir et rester père : c’est un vaste sujet, qui me paraît avoir été excellemment initié tout à l’heure par Mme Delaisi et je n’y reviendrai pas.
Le combat judiciaire, par contre, est beaucoup plus proche en effet de mes sensibilités d’une part, et de ma pratique quotidienne d’autre part. Alors je vais vous parler en effet de mes sentiments actuels sur l’évolution, de ce que je ressens. Je ne dis pas que je suis totalement impartial sur le sujet du comportement de la justice à l’égard de ce problème particulièrement épineux… Je vous parlerai également de ses dérives telles que je les ressens, et je vous dirai quelques mots de ce camp retranché des conceptions réactionnaires dans ce domaine, qui se trouve à mon avis dans le cadre des enquêtes sociales, qui me préoccupent énormément.
Acteurs et entretien du conflit
Alors, combat judiciaire ? Il est vrai que c’est certainement dans ce domaine que l’avocat doit exercer le plus difficilement, avec le duel que nous connaissons habituellement entre parties bilatérales, car c’est dans le domaine particulier du droit de la famille que nous avons quelquefois à lutter contre un adversaire qui est l’institution judiciaire. Je ne parle pas uniquement du juge, parce que s’il existe des avocats honnêtes, il existe aussi des magistrats honnêtes, mais il faut y associer également tous ceux qui travaillent à la décision de la justice. L’enquêtrice sociale me paraît être une intervenante souvent extrêmement importante dans la décision du juge, de même que des avocats qui se sont souvent rendus coupables d’élever le contentieux au cours des procédures de divorce, je dirais de manière assez souvent injuste.
La plupart des conseils œuvrent généralement dans le sens des procédures de divorce par consentement mutuel. Aucun d’entre nous n’a véritablement intérêt à créer un conflit lorsque l’on peut l’éviter. C’est beaucoup plus agréable et beaucoup plus facile lorsque nous avons affaire à des gens qui ont su avec intelligence régler leurs problèmes. C’est beaucoup plus agréable pour nous de régler les problèmes par voie de contrat, de convention, de discuter et de trouver des solutions.
Pour ma part, j’affirme que c’est souvent l’institution judiciaire qui nous empêche, par son favoritisme, de procéder de cette façon-là. J’ai pu constater qu’il est très souvent préférable pour la mère de s’adresser au juge dans le cadre d’une procédure contentieuse et conflictuelle, et c’est souvent beaucoup plus facile pour elle, lorsque celle-ci n’estime pas prioritaire de maintenir le dialogue avec le père des ses enfants. Cela ne représente pour elle aucun risque, si ce n’est que des avantages. C’est une constatation qui est lourde de conséquences. Vous comprenez bien : à partir du moment où l’on a intérêt à créer un contentieux pour pouvoir obtenir plus facilement des dispositions qui ne seraient pas obtenues dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel, il faut mesurer toutes les conséquences qui en résultent à l’égard de la famille d’une façon générale, et des enfants bien entendu. Nous savons bien que les enfants sont les premiers à supporter les conflits qui existent entre les parents, sans parler des parents eux-mêmes, parce qu’une procédure de divorce entraîne des blessures tout à fait considérables, souvent très lourdes et très difficiles à fermer.
Indépendamment de cette attitude, je trouve également qu’il y a encore une résistance assez marquée de la part des juges aux solutions que j’appellerai progressistes, égalitaires. Il y a des tas de possibilités pour éviter de rester systématiquement dans les cadres rigides qui nous sont proposés, que ce soit à l’égard de l’autorité parentale, que ce soit à l’égard de la résidence des enfants, que ce soit à l’égard du droit de visite et d’hébergement, ou de la pension alimentaire. Tout le monde sait qu’elle est quelque chose ressentie comme souvent insupportable, parce qu’elle est insupportable, parce qu’on n’a pas toujours envisagé toutes les solutions qui pourraient la rendre beaucoup plus supportable.
L’autorité parentale
Nous savons que la plupart des progrès qui ont été faits dans le domaine des droits de la famille ne sont jamais venus de l’institution judiciaire. C’est toujours par l’effet d’un événement extérieur, une loi en l’occurrence, que les progrès peuvent se concrétiser. Cela veut-il dire que les problèmes tels que ceux de l’autorité parentale conjointe n’ont jamais été posés dans le cas du contentieux judiciaire, avant les dispositions légales qui ont prévu l’autorité parentale conjointe ? La plupart des avocats qui travaillaient dans ce secteur d’activité sollicitaient notamment au profit du père que l’autorité parentale soit conjointe. Cela paraissait une évidence pour tout le monde de maintenir à l’égard de celui qui n’avait pas la garde la possibilité d’exercer des droits. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a encore très peu de temps celui qui n’avait pas la garde était privé de la totalité des droits. Ainsi, lorsque le père, au cours d’un droit de visite et d’hébergement, un weekend, tentait de sermonner son fils ou sa fille qui n’avaient pas de bons résultats en classe : « Papa, tu n’as plus rien à dire, ce n’est pas toi qui a l’autorité, ce n’est plus toi qui décide. » Et, de fait, il n’avait aucune possibilité de prendre des décisions, tant sur le plan scolaire que dans tout autre domaine. L’autorité parentale conjointe était donc une solution qui paraissait évidente et aucun texte ne l’empêchait. Seulement, les magistrats estimaient, pour que l’autorité parentale puisse s’exercer, qu’il fallait que les parents soient dans une situation d’absence totale de conflit.
Dans un premier temps, lorsque la loi institua l’exercice en commun de l’autorité parentale, rien n’a changé. Ce n’est que ces quelques dernières années que l’on constate une certaine évolution. Il y a une résistance considérable à l’application de l’autorité parentale, puisqu’aussi bien un nouveau texte de loi peut désormais modifier les conditions dans lesquelles elle peut ne pas être autorisée. C’est-à-dire que, jusqu’à un certain temps, la loi a prévu le principe de l’autorité parentale, mais a constaté que ce principe n’était pas celui qui était généralement appliqué, de telle sorte qu’aujourd’hui les magistrats qui refusent l’autorité parentale sont obligés de motiver leur décision alors que précédemment ce n’était pas le cas.
J’ai vu de très nombreux cas, comme tous les avocats bien entendu, où il suffisait à l’un des deux époux, celui, bien entendu, qui avait la résidence des enfants, de créer artificiellement un contentieux ; il suffisait que le juge constate qu’il y avait un désaccord, un contentieux entre les parties, pour refuser l’exercice en commun de l’autorité parentale. Voilà donc encore les effets pervers générés par l’institution judiciaire qui n’a jamais véritablement contribué à créer, je dirais un climat pacifique absolument indispensable. Je ne vais pas vous parler du droit de visite et d’hébergement, des problèmes de résidence, des problèmes de garde alternée dans des conditions qui seraient parfaitement satisfaisantes. Non pas la garde alternée qui consiste à ce que l’enfant passe huit jours chez l’un, huit jours chez l’autre, bien entendu, mais il y a des systèmes de résidence alternée qui sont parfaitement concevables et qui sont actuellement encore refusés, parce que l’on ne veut pas sortir du cadre traditionnel de celui de la résidence de l’enfant, généralement chez la mère. Le problème du droit de visite et d’hébergement également serait susceptible d’amélioration : pourquoi rester toujours dans le cadre rigide du samedi matin sortie des classes au dimanche soir 17 ou 18 heures ?
On voit de temps en temps, un peu plus souvent maintenant, des décisions qui prévoient que le droit de visite s’exercera le vendredi ou le mercredi, mais ce sont encore des décisions qui sont marginales et qui nécessitent un débat, une discussion. Ce n’est pas une proposition spontanée de la part de la justice. Et puis pourquoi mettre systématiquement à la charge du père qu’il aille chercher les enfants et qu’il les ramène à domicile ?
Cela encourage à coup sûr l’éloignement par la mère.
[Applaudissements]
Je vous assure que si la plupart des gens qui ont applaudi ont connu ce problème, ils savent très bien qu’on se heurte à un refus systématique, et que la discussion n’est pas ouverte sur ce sujet. Moi, je crois que c’est dans le cadre de nos associations qu’on peut arriver à des solutions pour l’avenir. Je pense qu’il faut militer pour une véritable présomption de paternité. Il faut que le père soit présumé capable au même titre que la mère de pouvoir un jour exercer e droit de visite et d’hébergement.
Je crois que si l’on admettait, dès à présent, que dès qu’une procédure de divorce est engagée, un jour les enfants iront chez le père lorsqu’ils sont confiés à la mère ou, réciproquement, iront chez la mère lorsqu’ils sont confiés au père, parce qu’il n’y a pas de raison que ce système marche d’un côté et pas de l’autre, et si l’on admettait systématiquement que cela doit arriver, de la même façon que l’on doit admettre aujourd’hui que l’autorité doit être conjointe, eh bien ! je pense que cela changerait beaucoup de comportements et que cela amènerait beaucoup d’apaisement.
Enquêtes sociales
C’est pourquoi je crois que, dans un premier temps, il faut faire en sorte que le père soit présumé capable, et je dirai que s’il y avait un texte de loi à initier par l’intermédiaire d’associations comme la vôtre, ce serait un texte de loi qui poserait ce principe de la présomption de paternité, pas dans le sens où on la connaît habituellement, mais dans le sens où le père doit être présumé capable de pouvoir s’occuper de ses enfants au même titre que la mère. Deuxième point : c’est le rôle de plus en plus inquiétant des enquêtes sociales qui, comme je vous le disais tout à l’heure, me paraissent constituer une sorte de camp retranché dans le cadre duquel semblent être réunies des conceptions assez réactionnaires. Tous les avocats qui ont à connaître de la défense des droits des pères en même temps que celle du droit des mères (je tiens à vous préciser que je ne suis pas engagé uniquement dans la défense du droit des pères mais dans la défense des mères aussi, et c’est d’ailleurs précisément en défendant les mères que je me rends compte de ces sortes de dérives) voient bien que le comportement des enquêtrices sociales n’est pas du tout le même, qu’il y a une complicité qui s’instaure d’emblée avec la mère. La question que l’avocat pose à son client qui a reçu l’enquêtrice sociale, c’est : « Alors, comment ça s’est passé ? »
La réponse pour un père d’ailleurs ici dans la salle, qui me vient à l’esprit évidemment, c’est : « Monsieur, vous voulez la garde de votre petite fille, il va falloir nous en convaincre, parce que je n’ai pas l’habitude de donner d’emblée la garde des enfants au père, je ne suis pas d’accord avec vos projets, quand projet il y a. » Classique comme réponse, extrêmement classique.
La réponse de la mère, au contraire, quand elle vient nous voir : « Cela s’est très bien passé, aucun problème, cela marche très bien. L’enquêtrice m’a d’ailleurs rappelé immédiatement après avoir vu mon mari, parce qu’il y avait un petit point qu’il fallait que je lui précise, un petit point qui l’inquiétait un petit peu. Je l’ai rassurée immédiatement. » Classique, habituel !
Et puis on évoquait tout à l’heure un certain nombre de concepts qui sont inacceptables ; on vous disait tout à l’heure, par exemple, qu’il était de jurisprudence constante que l’enfant de moins de quatre ans soit confié à la garde de la mère. Moi, je ne vais pas aussi loin que cela, parce que je ne pense pas qu’il faille que ce soient d’abord les décisions de justice qui posent ce principe, ni même que les juges l’affirment aussi clairement que cela. C’est le fait par contre des enquêtrices sociales. Oui, c’est tout à fait clair, on le trouve extrêmement fréquemment, et j’ai à votre disposition, le cas échéant, un certain nombre de rapports, dont l’un qui me vient à l’esprit. Il s’agissait d’un père et d’une mère qui présentaient, je dirai les mêmes garanties, voire même, me semble-t-il, beaucoup plus chez le père ; ce n’est pas parce que c’était mon client, mais la mère avait perdu son emploi, elle avait perdu son domicile, elle était un peu à la dérive. Le père, lui, offrait tout un tas de garanties, et l’enquêteur social conclut : « Oui, mais compte tenu de l’âge de l’enfant, il y a lieu de faire jouer la prévalence de la mère. » C’est clair, c’est dans un rapport écrit ! Ce sont des gens qui sont désignés par les juges et qui figurent sur des listes qui sont établies, on ne sait d’ailleurs pas comment, dont on ne connaît pas le degré de formation ni le degré de sensibilité. Les règles des enquêtes sociales ne sont pas des règles précises. Autant, à l’expertise, si vous faites désigner un expert pour faire constater des fissures dans votre appartement, vous verrez qu’il y a trois pages de règles sur les conditions dans lesquelles doit s’exercer une expertise, autant pour les enquêtrices sociales, il n’y a pas de règle.
Vous avez pu tous remarquer la somme de ragots que recueillent, avec d’ailleurs un enthousiasme particulier, les enquêtrices sociales dans leurs rapports, voir même souvent par téléphone, n’importe comment, nous n’avons aucune garantie. Quand on sait les difficultés qu’a un juge d’instruction pour découvrir la vérité, les ménagements qu’il doit prendre pour recueillir le témoignage des personnes et pour que ces témoignages soient utilisables, on voit par contre l’invraisemblance des conditions dans lesquelles les enquêtrices sociales recueillent les ragots qui leur sont présentés dans des conditions qui ne sont pas vérifiées, et par des gens qui, une fois de plus, n’ont pas de sensibilité au problème juridique et judiciaire que pose la constitution d’un véritable dossier. Quand on voit le nombre de contrevérités, de mensonges, qui fondent souvent les conclusions des rapports, c’est quelque chose qui, de mon point de vue, lorsque j’ai à faire face à ces documents, est assez décourageant. Ce qui est encore plus décourageant, c’est de voir que les juges, bien entendu, approuvent pratiquement toujours les conclusions des enquêtes sociales.
Alors, je dis qu’aujourd’hui, s’il y a un combat à mener dans le sens que vous souhaitez, il passe indiscutablement vers la remise en question de cette pratique détestable, par, sans doute, une nouvelle réglementation. Il faut que soient instituées des enquêtes sociales dans des conditions objectives et d’impartialité. Il faut que les gens à qui seront confiées ces enquêtes sociales démontrent, si j’ose dire, préalablement, des assurances quant aux principes sur lesquels il vont établir leur conclusion.
Aujourd’hui, ma seule certitude, c’est que ces enquêtrices forment une sorte de véritable lobby qui va généralement dans le sens des droits de la mère, mais certainement pas de ceux du père. Chaque fois qu’un père recueille des conclusions favorables, c’est qu’il est placé dans une situation de vacataire, d’intérimaire : c’est généralement le cas où la mère est dans l’incapacité de pouvoir assumer ses responsabilités, c’est le cas où elle est hospitalisée, où elle est dans un état psychologique tel qu’il lui rend impossible la garde de l’enfant. J’ai eu le cas très récemment d’une situation où la mère est dans une incapacité psychologique totale, où l’enquêtrice sociale conclut que l’enfant est en danger moral avec la mère, et j’en parle sous le contrôle d’ailleurs d’un père qui se trouve ici. L’enquêtrice sociale dit : « L’enfant est en danger moral avec elle », mais « plutôt que de confier la garde au père qui aurait un projet géographique qui ne lui convient pas et compte tenu de ce que l’enfant est très attaché à sa mère… » (je lis les termes du rapport), elle préconise l’intervention du juge des enfants pour qu’une mesure d’assistance éducative intervienne ! Autrement dit : on préfère avoir affaire à un tiers plutôt que de laisser l’enfant au père.
C’est un scandale.
[Applaudissements]