Un parricide ordinaire

Un parricide ordinaire

Debussy (Amboise), Un parricide ordinaire, Éditions Nina Corfou-Borjes, 26 mai 2021

Les personnages principaux
Un homme, une femme, la justice aux affaires familiales
Le thème
La domination dans le couple, l’affranchissement, la vengeance
Le thème subordonné
Les biais de sexe et la contingence en affaires familiales
Les dommages collatéraux
Les enfants

Cela pourrait sembler banal, ordinaire comme l’indique le titre du roman. Nos tribunaux s’emplissent chaque jour d’hommes et de femmes qui se déchirent, d’avocats mercenaires qui mènent de véritables guerres, de juges aux affaires familiales qui tranchent la vie des premiers à partir de bribes d’information et d’impressions fugaces mises en scènes par les seconds. Ce thème pourtant est rarement traité, et plus rarement encore du point de vue du père qui se bat pour conserver le lien avec ses enfants.

Geoffroy et Claire sont parents de trois enfants. Ils ont aussi élevé ensemble Jade, la fille que Claire a eue d’une première union. Geoffroy ne réalisera qu’après la séparation, alors qu’il devra se battre pour ne pas être exclu de la vie de ses enfants, qu’il a participé à son insu à l’exclusion du père de Jade.

Geoffroy est un jeune homme brillant et sensible. Trop jeune, il rencontre Claire, belle femme de dix ans son aînée. Après quelques années, alors qu’il aura mûri et voudra s’affranchir de cette relation, Claire le soumettra par la terreur d’une tentative de suicide.

« Peu importe qu’elle ne puisse plus le dominer par la force, la faiblesse semblait une arme beaucoup plus efficace pour l’enchaîner. Elle aurait dû s’en douter plus tôt. La sensibilité de Geoffroy constituait son pire talon d’Achille. »

Ce couple désenchanté dans lequel Geoffroy est retenu par cette forme de violence psychologique perverse vivotera tant mal que bien et aura trois enfants.

« C’est ainsi qu’ils veillent l’un sur l’autre en évitant de s’éveiller. Comble de l’ironie, leur entourage amical […] les voit comme un couple modèle […]. »

Geoffroy trouvera pourtant finalement le courage d’y mettre fin, en rencontrant celle qui deviendra sa compagne et avec laquelle il aura une petite fille… mais je ne vais pas vous raconter tout le roman.

La haine rentrée survit à la séparation. Pire, elle s’y épanouit.

Claire, femme abandonnée, attache les enfants à sa cause : il a « abandonné les enfants ». Le chapitre dans lequel l’avocate de Claire discute sa stratégie de défense – ou plutôt : d’attaque – est un modèle de machiavélisme. Amboise Debussy sans doute force un peu le trait du discours de l’avocate pour les besoins fictionnels. La démonstration de la perversité du système n’en est pas moins éclatante.

La fin de l’histoire… je la tairai. Il est d’usage dans une note de lecture de ne pas divulgâcher.

Le livre est dense et subtil, bien plus que ces courtes lignes ne le laisseront penser : il faut le lire !

Le roman nourrit une histoire dans l’histoire, en parallèle de celle de Geoffroy. Nous suivons les juges aux affaires familiales de la cour d’appel qui doivent décider de la résidence des enfants, et nous vivons de l’intérieur la production de la décision de justice. L’auteur dépeint avec acuité les travers d’une justice aux affaires familiales matrifocale, ainsi que la contingence de décisions qui relèvent parfois plus de l’état d’esprit des juges et de leurs rapports de force entre eux que du fond du dossier.

Le lecteur trouvera, à travers l’histoire singulière de Geoffroy, un panorama général d’obstacles auxquels sont confrontés ceux qui sont amenés à devoir se battre pour leurs enfants : le besoin maladif d’un parent de s’assurer la jouissance exclusive des enfants, la manipulation, le fait de se retrouver en terrain miné parmi des acteurs savamment montés contre soi (dans le livre : le directeur d’école), des avocats qui jettent de l’huile sur le feu et conspirent des pièges, des gendarmes qui rechignent à prendre les plaintes pour non représentation d’enfant, des juges dont le réflexe atavique est de confier les enfants à la mère…

Pour autant ce n’est pas un livre noir ou désespéré – je le qualifierai plutôt de lucide. Geoffroy est un héros positif qui consacre toutes ses forces à ses enfants, refuse de se laisser aller à la haine en retour et construit sa vie au milieu des embûches. Un petit regret cependant. Geoffroy est grand, beau, supérieurement intelligent. Il est attiré par, et attire à lui, des femmes supérieurement belles et intelligentes. Sans doute le fallait-il pour les besoins de l’histoire imaginée par Amboise Debussy. Mais ce caractère supra-ordinaire du héros contrarie un peu la visée sociétale du roman qui est de dénoncer ces parricides ordinaires qui se jouent au quotidien dans notre société.

L’écriture est recherchée sans être inutilement sophistiquée, les dialogues sont vivants et bien menés. L’entrelacement en chapitres courts de périodes de la vie de Geoffroy et du jugement en appel est très réussi et donne du rythme au roman.

Je laisserai le dernier mot à Geoffroy, lui-même avocat d’affaires, qui déclare :

« Détrompez-vous. Ce ne sont pas les mauvais jugements que je redoute, ce sont les jugements en général. Qu’ils soient, ou non, fondés en droit, ils sont un risque énorme pour mes clients car c’est un tiers qui va prendre une décision sur la vie de leur entreprise […]. »

Un parricide ordinaire

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