Un père fait condamner l’Italie par la Cour européenne des droits de l’homme

Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné aujourd’hui l’Italie pour avoir méconnu les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatives au droit au respect de la vie privée et familiale, en ne déployant pas des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite d’un père dont les mésaventures sont très semblables à celles vécues par certains de nos lecteurs.

En l’espèce, le requérant est un ressortissant italien né en 1969, père d’un garçon né en février 2014. La mère ayant quitté le domicile familial avec l’enfant deux mois après la naissance, sans le consentement du père, icelui déposa une plainte au mois d’octobre suivant pour le délit de soustraction d’enfant.

Le père saisit ensuite le tribunal de Trévise en janvier 2015 pour se plaindre de difficultés dans l’exercice de son droit de visite. Il déposa une nouvelle plainte en mai 2015 au motif que la mère l’empêchait de voir son fils.

Un rapport rédigé en mars 2016 à l’issue d’une expertise effectuée sur l’enfant et ses parents établit que l’enfant subissait les conséquences délétères d’une privation de contact avec son père pendant les trois premières années de sa vie, une période importante pour la formation de liens d’attachement entre un enfant et ses parent, et que la mère n’était pas favorable à un rapprochement entre l’enfant et son père, alors que l’expertise donnait une appréciation positive des capacités parentales d’icelui. Se basant sur cette expertise, le tribunal de Trévise confia l’enfant en juillet aux soins des services de l’assistance publique de la municipalité de Mogliano Veneto, établit la résidence principale de l’enfant chez sa mère, définit le droit de visite du père et ordonna un parcours de soutien psychologique pour la mère. Icelle interjeta appel de la décision, puis, sans avoir obtenu l’autorisation préalable ni du père ni du tribunal, déménagea en décembre pour s’installer à Rome, à environ six cents kilomètres du domicile du père.

La cour d’appel de Venise rejeta en janvier 2017 le recours formé par la mère, établit que la résidence de l’enfant se trouvait toujours à l’ancien domicile de la mère et confirma que l’enfant était toujours confié aux services sociaux de Mogliano Veneto. Nonobstant cette décision du tribunal, la mère refusa de retourner vivre à son ancien domicile. Les services sociaux de Mogliano Veneto lui demandèrent en avril de se conformer à la décision de la cour d’appel de Venise, en vain. Le père déposa une plainte pénale en mai pour le délit de non-respect d’une décision judiciaire. La mère introduisit ensuite un recours auprès du tribunal de Rome afin d’obtenir la garde exclusive de l’enfant, nonobstant les précédentes décisions judiciaires. Le père saisit le tribunal pour enfants de Venise en juillet, arguant que la mère avait déménagé sans son accord et qu’il ne pouvait pas de ce fait voir son fils. Il invita le tribunal à se prononcer de manière urgente et demanda que la mère fût déchue de son autorité parentale. Se basant sur les rapports établis par les services sociaux qui indiquaient que la mère ne collaborait pas, qu’elle dénigrait le père et que l’enfant, qui présentait un retard de langage, n’était pas suivi par un orthophoniste malgré les instructions qui avaient été données à sa mère, le parquet demanda alors au tribunal de prononcer la déchéance de la responsabilité parentale à l’égard de la mère ou d’ordonner son éloignement de l’enfant. Apprenant que son fils avait été hospitalisé, le père se rendit à Rome en août mais il fut empêché de le voir malgré l’intervention de la police.

Le père se rendit de nouveau à Rome en janvier 2018 pour voir son fils, comme cela avait été prévu, mais il ne trouva personne à son arrivée. Il fit constater cette situation par les gendarmes et déposa une plainte. Pendant tout le reste de l’année, le père put quand même voir son fils à quelques reprises lors des hospitalisations de l’enfant à Rome, mais toujours en présence de la mère et des parents d’icelle.

Malgré les demandes réitérées du père, le tribunal de Venise ne se prononça que deux ans plus tard, en février 2019. Le tribunal constata que la mère était opposée au maintien de la relation entre le père et son fils, qu’elle n’avait jamais permis au père d’être présent dans la vie de l’enfant, et que son comportement faisait du tort à celui-ci. Il constata également que la mère dénigrait le père, qu’elle ne faisait pas suivre l’enfant par des spécialistes, contrairement à ce que lui avaient recommandé les services sociaux, et qu’elle refusait également de faire vacciner l’enfant, lequel ne pouvait donc être inscrit à l’école maternelle. Concluant que ce comportement était certes préjudiciable à l’enfant, mais qu’il était la conséquence du conflit entre la mère et le père, le tribunal estima qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de voir sa résidence principale transférée chez son père ni d’être éloigné de sa mère. Il décida seulement de limiter l’autorité parentale de la mère et confia l’enfant aux soins des services de l’assistance publique de la municipalité de Rome en leur ordonnant de prévoir un parcours d’accompagnement psychologique pour l’enfant et sa mère, d’établir un calendrier de rencontres entre l’enfant et son père, de mettre en place une médiation entre la mère et le père, et de signaler au procureur tout non-respect des prescriptions du tribunal par la mère. Des rencontres d’une heure tous les quinze jours furent prévues. Le père envoya un courriel aux services sociaux en mars afin de connaître le nom de la personne qui devait suivre son fils mais n’eut aucune réponse. Il adressa le même jour un courriel à l’agent chargé du dossier au sein de l’administration municipale de Rome afin de lui faire savoir qu’en dépit des instructions données par le tribunal, la mère ne répondait pas à ses appels téléphoniques ni ne l’informait de l’état de santé de son fils et que de surcroît aucune rencontre n’avait été prévue. Après avoir envoyé un message à la responsable des services sociaux, le père fut informé qu’il n’y avait pas de personnel disponible pour superviser les rencontres. Deux autres courriels adressés aux services sociaux en avril demeurèrent sans réponse. Le père put enfin s’entretenir avec la responsable des services sociaux en juin. Le mois suivant, il saisit la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il fit savoir aux services sociaux en août que la mère avait changé la résidence de l’enfant sans l’en informer. Alors que la mère s’opposait toujours aux rencontres, un accord fut quand même trouvé en septembre sur un régime de deux visites par mois. La première rencontre entre le père et son fils eut lieu le mois suivant, soit sept mois après la décision du tribunal de Venise. La rencontre de novembre n’eut pas lieu, car la mère refusa d’y emmener l’enfant. Le procès pénal visant la mère et ses parents fut ouvert en novembre et la mère fut condamnée à un an et huit mois d’emprisonnement pour soustraction d’enfant.

Le père put rencontrer son fils à trois reprises en janvier et février 2020. Il déposa une nouvelle plainte contre la mère en février pour non-respect de la décision du tribunal de Venise. Le père ne put plus voir son enfant jusqu’en juillet en raison de l’indisponibilité du centre où les visites devaient se dérouler, nonobstant les décrets du président du Conseil des ministres autorisant les déplacements motivés par l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement. Les services sociaux de Rome firent savoir au père en juillet que les rencontres ne pouvaient pas reprendre car la mère s’y opposait. Le père demanda aux services sociaux en août de lui faire parvenir des renseignements sur l’état de santé de son fils, qui n’avait pas encore été vacciné, ainsi que sur le soutien psychologique apporté à la mère.

Dans son arrêt rendu le 18 mai dernier, mais communiqué seulement aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu qu’il y a bien eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les autorités italiennes :

« 83. La Cour note que, dans le cas d’espèce, face à l’opposition de la mère de l’enfant, qui perdurait depuis 2014, et aux difficultés rencontrées par le requérant pour exercer son droit de visite, les autorités nationales n’ont pas pris rapidement toutes les mesures nécessaires et qui pouvaient raisonnablement être exigées d’elles pour faire respecter le droit de l’intéressé d’avoir des contacts et d’établir une relation avec son fils […].

« 84. À cet égard, la Cour rappelle avoir déjà constaté, dans l’arrêt Terna […], l’existence d’un problème systémique en Italie concernant les retards dans la mise en œuvre du droit de visite judiciairement prononcé. »

L’Italie devra verser au père treize mille euros pour dommage moral et quinze mille euros pour frais et dépens. Le prix d’un fils perdu…

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Première section
24 juin 2021
Affaire A. T. c. Italie (requête nº 40910/19)

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