Question sur l’apaisement des conflits familiaux et le rôle de l’avocat-médiateur

Sénat

Conway-Mouret (Hélène), question orale nº 1600S au ministre de la Justice sur l’apaisement des conflits familiaux et le rôle de l’avocat-médiateur [Journal officiel de la République française, édition « Débats parlementaires – Sénat », nº 12 S (Q), 25 mars 2021, pp. 1901-1902].

Hélène Conway-Mouret (© D.R.)

Hélène Conway-Mouret (© D.R.)

Mme Hélène Conway-Mouret attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur l’élargissement du recours à la médiation familiale. Elle lui rappelle qu’elle a déposé au Sénat le 13 juillet 2020 une proposition de loi nº 628 (2019-2020) afin, notamment, de rendre obligatoire, partout en France, l’entretien d’information préalable sur la médiation familiale avant toute saisine du juge aux affaires familiales. La loi nº 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a instauré, à titre expérimental, une tentative de médiation familiale obligatoire avant la saisine du juge. Onze ressorts ont été choisis pour cette expérimentation. La loi de finance pour 2021 a prévu, en son article 237, de prolonger cette expérimentation jusqu’au 31 décembre 2022.

La proposition de loi nº 628 généralise cette expérimentation mais le caractère obligatoire se limiterait à l’entretien d’information préalable et exclurait les situations de violence parentale et conjugale. Cet entretien permet aux parents de comprendre la finalité, le cadre et les enjeux de la médiation familiale sans entrer dans l’objet du différend. Il paraît inopportun, voire contre-productif, de contraindre les parents à engager le processus de médiation s’ils ne parviennent pas à un accord sur le principe même de cette démarche.

Le dispositif proposé aurait pour mérite de favoriser la « culture de la médiation » insuffisamment développée en France. En particulier, il appartient aux avocats d’acquérir et de développer cette nouvelle approche, comme l’a souligné un avocat dans une tribune publiée dans Ouest France le 1er février 2021 et intitulée « à quand un avocat de la paix ? ». Les outils existent : avec le processus collaboratif et la procédure participative, les avocats doivent, aux côtés des médiateurs familiaux, devenir des acteurs majeurs de tous les modes non-contentieux de règlement des conflits familiaux.

Il lui est donc demandé de bien vouloir lui indiquer quelle est sa position sur cet enjeu de société.


Réponse du ministère de l’agriculture et de l’alimentation lors de la séance publique du 3 juin 2021.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la question nº 1600, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Hélène Conway-Mouret. La période sanitaire exceptionnelle que vit notre pays a bouleversé la vie de millions de familles dans leur organisation quotidienne.

C’est en particulier le cas des parents séparés de leurs enfants, qui ont dû s’adapter aux restrictions de déplacements. L’année dernière, pendant le premier confinement, j’appelais dans une tribune les parents à des dialogues constructifs, afin qu’ils aménagent dans l’intérêt de leurs enfants les règles prévues dans les conventions de divorce.

Le dialogue et la recherche du compromis sont nécessaires à tout moment et peuvent être grandement facilités par la médiation. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi relative à la médiation familiale et au principe de résidence alternée des enfants de parents séparés le 13 juillet 2020, notamment afin de rendre obligatoire partout en France l’entretien d’information préalable sur la médiation familiale avant toute saisine du juge aux affaires familiales.

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a instauré à titre expérimental une tentative de médiation familiale obligatoire avant la saisine du juge. Onze ressorts ont été choisis pour cette expérimentation. L’article 237 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 prolonge cette expérimentation jusqu’au 31 décembre 2022.

La proposition de loi que j’ai déposée généralise une telle expérimentation, mais le caractère obligatoire se limiterait à l’entretien d’information préalable et exclurait les situations de violence parentale et conjugale ; cet ajout me semble essentiel. Le dispositif proposé aurait pour mérite de favoriser la « culture de la médiation », insuffisamment développée en France, avec, à l’appui, des formations pour nos juges et avocats.

Enfin, nous savons que la médiation peut favoriser la recherche d’un temps de partage équilibré lorsque cela est possible. En effet, la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a fait entrer la résidence alternée dans le code civil. Pourtant, près de vingt ans après le vote de cette loi, seuls 12 % des enfants de parents séparés sont en résidence alternée, d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques. C’est l’un des chiffres les plus faibles en Europe. Comment expliquer une telle situation ? N’est-il pas nécessaire de compléter le dispositif législatif, afin de respecter l’esprit de la loi de 2002 ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

Julien Denormandie (© Jacques Paquier)

Julien Denormandie (© Jacques Paquier)

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention du garde des sceaux, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence, sur la proposition de loi que vous avez déposée le 13 juillet 2020. Celle-ci a trois objets.

Premièrement, vous souhaitez rendre obligatoire l’entretien d’information préalable sur la médiation dans toute procédure familiale, sauf en cas de violence. Cette généralisation risque d’alourdir et d’allonger les procédures. Elle imposerait de multiplier les permanences d’information à la médiation, car les séances d’information collectives se révèlent souvent moins efficaces que les entretiens individuels. Il convient d’achever l’expérimentation de la tentative de médiation familiale obligatoire, actuellement en cours dans onze juridictions et prochainement élargie à d’autres juridictions, afin d’avoir de premiers résultats.

M. le garde des sceaux est, comme vous, favorable au développement de la médiation, comme en témoignent les amendements qu’il a déposés sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Ceux-ci ont également été défendus par le secrétaire d’État Adrien Taquet.

Deuxièmement, vous invitez à légiférer sur la résidence alternée, afin de mettre fin à l’aléa judiciaire. Le taux de 12 % d’enfants en garde alternée que vous évoquez s’applique toutefois à l’ensemble des situations de séparation, qu’elles soient judiciaires ou non. De nombreux parents séparés organisent en effet la vie de leurs enfants sans recourir au juge. Dans le cadre judiciaire, dans 80 % des situations, les parents s’accordent et ne choisissent la résidence alternée que dans 19 % des cas.

En cas de désaccord, le juge applique les critères fixés par l’article 373-2-11 du code civil, tels que la pratique antérieure des parents, les sentiments exprimés par l’enfant, l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre, etc.

Il n’est donc pas opportun de définir un cadre rigide comportant un seuil d’âge ou une distance géographique. Les situations familiales sont par nature complexes et le juge doit pouvoir apprécier au cas par cas l’intérêt de l’enfant. En pratique, les juges motivent tout particulièrement ces décisions sensibles sans que la loi ait à l’imposer.

Le recours à la résidence alternée, qui a augmenté de 15 % sur les quatre dernières années, évolue avec la société.

Troisièmement, en cas de déplacement durable de l’un des parents, vous souhaitez que soit favorisé le maintien des repères de l’enfant. Cette orientation est conforme à la pratique des juridictions, qui veillent, dans le cadre de l’article 373-2-11 du code civil, au maintien de la stabilité du cadre de vie de l’enfant. Il n’est donc pas nécessaire de légiférer en la matière.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions et des éclaircissements que vous venez d’apporter sur la position du Gouvernement.

Il me semble important de toujours garder à l’esprit la Convention internationale des droits de l’enfant, qui consacre le droit d’être élevé par ses deux parents. Je pense donc que le sujet mérite un traitement approfondi de la part de M. le garde des sceaux.

Nous avons, me semble-t-il, besoin d’en finir avec un certain nombre d’idées reçues et de promouvoir un débat apaisé sur un sujet malheureusement un peu trop passionnel.

Pour ma part, je continuerai à défendre la médiation et un temps parental aussi équilibré que possible – il n’est évidemment pas indispensable de parvenir à une stricte parité –, et ce dans l’intérêt des enfants.

Mise à jour du 4 juin 2021

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