La question du genre dans les litiges d’affaires familiales. Triste tropisme de la domination masculine ?

La justice domaine de l'illusion

Résumé
Si l’on entend régulièrement que les litiges d’affaires familiales sont arbitrés en faveur des mères au détriment des pères, rares sont les analyses statistiques qui illustrent le propos. L’intérêt de la présente étude est précisément de livrer des statistiques récentes, mais plus encore de s’intéresser aux motifs des décisions fixant la résidence des enfants de couples en désaccord sur la question. La prise en compte du genre est vérifiée. Elle n’est toutefois pas surprenante pour deux raisons liées. D’une part, dans une société qui privilégie les hommes par rapport aux femmes dans les rapports socioprofessionnels, il n’y a pas lieu de s’étonner que les femmes se trouvent avantagées dans les affaires familiales : il s’agit simplement de l’envers de la « domination masculine ». D’autre part, le législateur n’aide pas à arbitrer les litiges d’affaires familiales en ne proposant aucun cadre normatif précis pour arbitrer les conflits parentaux, la notion d’« intérêt de l’enfant » n’étant qu’une coquille vide.

« Les décisions prononcées par les juges [aux affaires familiales] reflètent très largement le choix établi en commun par les parents. […] On observe que 93 % des demandes des pères ont été satisfaites [et] 96 % des demandes des mères ont été satisfaites. »

L’assertion du rapport ministériel surprend au regard de la ritournelle de la fin des relations entre les pères et leurs enfants que l’on entend, de-ci de-là, lorsque l’on prête l’oreille dans les travées des palais de justice ou des associations de parents séparés. Celui qui fréquente le milieu (ou pas) a plutôt tendance à croire intuitivement à une justice de genre qui privilégierait les mères au détriment des pères. Cette impression n’est d’ailleurs pas démentie par les statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques, exploitées sensiblement à la même période que le rapport : en cas de séparation des parents, 74 % des enfants vivent avec leur mère, 11 % avec leur père, 15 % sont en résidence alternée [1]. On peine donc à comprendre d’où peut venir cet extraordinaire consensus de 95 % de parents satisfaits, lorsque les pères ont une chance sur quatre de vivre encore avec leur enfant suite à un jugement (lato sensu) quand les mères en ont neuf sur dix. D’autant que si l’on exclut les hypothèses de résidence alternée, les chances des pères tombent à une sur dix, alors que celles des mères se maintiennent à sept et demi sur dix. Dans l’ensemble des démocraties libérales, aucune autre offre de services, marchands ou non, n’affiche un tel taux de satisfaction. La justice aux affaires familiales, nouveau paradis terrestre ?

Une autre raison paraît toutefois susceptible d’expliquer le hiatus entre la lumière diffusée par le rapport qui renvoie l’image de parents satisfaits ressemblant davantage à Oui-Oui au pays des licornes, qu’à l’ombre du zek de L’archipel du goulag qui est évincé de la vie de son enfant après la séparation. Elle vient de la définition que l’on peut donner aux notions d’« accord » et de « satisfaction ».

D’abord, le rapport indique que dans 80 % des cas, les parents sont d’accord au stade de la procédure contentieuse, qui ne fait que valider une position commune des parties. Il y aurait donc, a minima, 80 % de « satisfaction ». Ou une première assimilation contestable des notions d’« accord » et de « satisfaction ». Le juriste sait pourtant bien que la dimension juridique de l’accord (du contrat) est sans grand rapport avec la satisfaction (morale ou matérielle) de celui qui le valide. Nombreux sont les contrats (d’adhésion par exemple) que les individus sont obligés de souscrire sans en être pour autant satisfaits.

Il est ensuite noté que dans 9 % des cas, une des parties, le père le plus souvent, ne s’est pas présenté devant le juge, ni n’a fait parvenir de conclusions écrites. Si qui ne dit mot consent, qui est absent doit être considéré satisfait ? On grimpe ainsi à 89 % de satisfaction de manière bien rapide. Enfin sur les 10 % d’hypothèses restantes dans lesquelles les parties seraient en désaccord, le constat est dressé que le père obtient la résidence des enfants dans 24 % des cas, la mère dans 63 %, et la résidence alternée est prononcée dans les 13 % restants. D’où l’addition de 2,4 et 1,3 pour les pères, ce qui donne 93 % de « satisfaits », et de 6,3 et 1,3 pour les mères, ce qui donne 96 % de « satisfaites » (et même 97).

Michel Audiard l’a fait dire mieux que nous à Jean Gabin dans Le Président : « Le langage des chiffres a ceci de commun avec le langage des fleurs, on lui fait dire ce que l’on veut. Les chiffres parlent, mais ne crient jamais. » D’abord, outre nos réserves sur l’assimilation des notions d’« accord » et de « satisfaction », on est perplexe sur la considération que la part des 9 % d’hypothèses dans lesquelles l’un des parents est totalement absent de la procédure représente des hypothèses de satisfaction des deux parents. Le chiffre est difficile à interpréter. Mais le ranger dans la catégorie des « accords » et des « satisfaits » dessine un raccourci dans lequel on ne peut s’engager sans d’infinies précautions.

Ensuite, et surtout, le rapport n’explique pas comment, parmi l’ensemble des 6 042 jugements rendus lors des deux premières semaines de juin 2012, il est parvenu à déterminer que dans 80 % des hypothèses les parents étaient d’accord. Or la question est centrale. Le rapport indique être fondé sur les demandes des parents en justice. On veut bien le croire, mais lorsque nous avons voulu, à notre tour, exploiter et analyser les jugements, nous avons malheureusement été confrontés à un obstacle dirimant : ils ne mentionnent que rarement les demandes respectives initiales des parents. Comment savoir, dans ces cas (très nombreux), si les parents sont satisfaits à l’arrivée si l’on ignore ce qu’ils demandaient au départ ?

Pour ce qui nous concerne, nous nous sommes procuré l’ensemble des décisions rendues par les juges aux affaires familiales d’un tribunal de grande instance tout au long d’une période récente de cinq semaines prises au hasard [2]. Sur les 488 décisions rendues, 220 concernaient la résidence d’enfants, les autres étant principalement des décisions de radiation, d’irrecevabilité, de fixation de pension alimentaire, de liquidation de régime matrimonial, etc. Dans les 220 décisions concernant la résidence des enfants, nous avons lu, outre les visas, les motifs des jugements pour savoir si les parents étaient d’accord ou non sur la question de la résidence des enfants. Parfois (souvent), il est impossible de le savoir. Soit que l’une des parties n’ait présenté aucune conclusion, ni écrite ni orale (étant alors, la plupart du temps, désignée comme « absente » ou « défaillante » – on retombe sur le problème du parent absent de la procédure), soit que le jugement ne l’indique tout simplement pas.

Trois hypothèses (au moins) posent difficulté. La première est la plus marginale. Elle se rencontre lorsque le jugement mentionne que l’un des parents est en désaccord avec l’autre, mais sans préciser sur quoi porte le désaccord.

La deuxième hypothèse est moins rare. C’est lorsque le jugement mentionne l’ensemble des demandes de l’un des parents, dont la fixation de la résidence de l’enfant à son domicile, puis écrit que l’autre parent « ne s’oppose pas aux demandes ». Celui qui ne s’oppose pas, est-il d’accord ? Le juriste peut le penser, l’anthropologue un peu moins. Et posons alors cette question au juriste : pourquoi le parent qui est d’accord avec l’autre sur la résidence de l’enfant se retrouve-t-il attrait au contentieux ? Une convention suffirait. Or nous parlons d’hypothèses différentes des demandes d’homologation de convention en justice.

La troisième hypothèse, enfin, se rencontre régulièrement. C’est lorsque le jugement reconduit les mesures provisoires énoncées dans l’ordonnance de non-conciliation, sans préciser ce que demandaient initialement les parties. Doit-on considérer qu’il y a accord entre les parents ? On peut en douter : on lit que chaque parent conclut à ce que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de l’autre conjoint. L’un accuse l’autre de s’être laissé entretenir en étant infidèle, l’autre répond que le premier est « injurieux », « suspicieux » et « jaloux ». Le climat d’accord et de satisfaction entre les parents est inexistant, chacun ayant au surplus constitué avocat.

Cette première observation illustre la difficulté de saisir la réalité de la justice aux affaires familiales. Les statistiques sont loin d’être inutiles, mais elles ne constituent qu’un premier pas. Le suivant, qui permet de mieux rendre compte de la complexité de cette justice, consiste à analyser de manière approfondie les motifs des décisions.

D’où la complémentarité des deux approches que nous avons croisées dans la présente étude : d’abord la catégorisation de l’ensemble des décisions sur une période récente ; ensuite, l’analyse des motifs de chacune des 220 décisions rendues en matière de résidence de l’enfant.

Le travail a été fastidieux, les résultats sont d’autant plus intéressants. Il rejoint en partie l’approche statistique du rapport national. Toutefois, là où celui-ci esquivait l’image de la prise en compte du genre dans les litiges d’affaires familiales, notre travail a davantage tendance à l’esquisser (1). L’analyse de la motivation des décisions permet de passer de l’esquisse au tableau (2).

1. Les statistiques des litiges d’affaires familiales : de l’esquive à l’esquisse de la prise en compte du genre

Tout comme le rapport, nous considérons que les hypothèses dans lesquelles les parents sont d’accord sur la résidence des enfants doivent être distinguées de celles dans lesquelles ils sont en désaccord. Les premières ne peuvent confirmer, ou infirmer, la tendance de la prise en compte du genre : si les parents sont (vraiment) d’accord pour confier ultramajoritairement la résidence des enfants à la mère, le jugement n’y est pour rien.

Les décisions et les statistiques les plus intéressantes se rencontrent lorsqu’il y a un désaccord entre les parents. Les hypothèses d’accord ne doivent toutefois pas être totalement négligées en ce qu’elles cristallisent en général une étape primordiale dans les divorces alors qu’elle est souvent négligée : l’audience de conciliation.

Avant de présenter nos résultats, on expliquera la manière dont on a classé les décisions entre les hypothèses d’accords et celles de désaccords, car la chose est plus malaisée qu’on peut intuitivement le penser.

1.1. Quelques précautions épistémologiques sur la notion d’« accord »

À l’instar du rapport, nous avons éprouvé certaines difficultés à catégoriser les hypothèses dans lesquelles l’un des parents était totalement absent de la procédure. L’hypothèse n’est pas la plus fréquente, mais elle n’est pas négligeable (9 % au niveau national selon le rapport, sensiblement équivalent au niveau local).

Soit l’absence est assumée par le parent défaillant, soit elle l’est moins. Elle est assumée lorsque le parent décide délibérément de ne pas se présenter, pour des motifs qui lui appartiennent. Dans ce cas, il accepte qu’un jugement fixe la résidence de son enfant sur la seule base de ce que demande son ex-conjoint et l’on est alors plus proche d’une situation d’accord que de désaccord. Soit l’absence est moins assumée, par exemple lorsque le parent a « disparu » sans laisser d’adresse (il peut notamment s’agir de ressortissants étrangers en situation irrégulière). Il est alors plus délicat de déterminer si ces situations révèlent un accord des parents. L’on peut néanmoins considérer que la « disparition » d’un parent est rarement le fruit de seuls événements extérieurs. N’importe quel individu, quelle que soit sa nationalité, sa situation financière ou sociale, a les mêmes droits que tout justiciable lorsqu’est évoquée la résidence de ses enfants. Évidemment, l’absence de logement, par exemple, rend impossible la formalisation d’une demande de résidence des enfants. Dans ce cas, même si la situation est dramatique, nous considérons que ce parent préfèrera que son enfant vive dans le foyer de son ex-conjoint plutôt qu’avec lui dans des conditions précaires et clandestines, et l’on retombe sur une situation plus proche de l’accord que du désaccord entre les parents.

Nous avons donc considéré qu’en l’absence de l’un des parents dans la procédure, la décision relevait de la catégorie de celles dans lesquelles les parents sont « d’accord ».

Dernière précision épistémologique, il est un point sur lequel nous soulevons une interrogation non traitée par le rapport. Comment catégoriser les décisions dans lesquelles il est impossible de savoir, à la lecture du jugement, si les parents ont formulé des demandes qui se rejoignent sur la question de la résidence ou qui sont antagoniques ? L’on revient sur l’une des difficultés abordées en introduction. Un nombre non négligeable de décisions ne vise pas la demande de l’un des deux parents sur la résidence de l’enfant, ni ne mentionne dans les motifs, un accord ou un désaccord entre les ex-conjoints. Ainsi la décision nº 88 vise l’ordonnance de non-conciliation, puis les conclusions que chaque partie a déposées par avocat distinct, sans préciser toutefois ce qu’elles demandent. Puis, dans la partie « Motifs », la décision comporte différents titres, y compris ceux pour lesquels il est indiqué que les parties ne forment aucune demande. Par exemple « Sur la prestation compensatoire : Aucune demande n’est formée à ce titre. ». Parmi ces titres, il en est un « Pour les enfants ». Il comporte trois phrases sur le droit de visite et d’hébergement du père, une phrase sur la pension alimentaire, rien sur la résidence des enfants. Enfin, le « dispositif » précise : « Fixe la résidence des enfants au domicile de la mère. » Doit-on considérer qu’il s’agit d’une hypothèse d’accord des parents sur la question de la résidence ?

En faveur d’une classification dans les hypothèses d’accord, trois éléments : l’absence de mention de désaccord, aucun motif expliquant la fixation de la résidence chez la mère, et l’existence d’une ordonnance de non-conciliation qui a statué sur les mesures provisoires un an auparavant. En faveur de l’hypothèse du désaccord, cinq éléments : l’absence de mention d’accord, l’absence de précision que les mesures provisoires de l’ordonnance de non-conciliation doivent être pérennisées, la circonstance que chaque partie a fait le choix de se défendre par avocat et de présenter des conclusions distinctes, la circonstance que lorsqu’il n’y a pas de demande particulière des parties sur un point, la décision le mentionne (exemple : la prestation compensatoire), la circonstance que le dispositif prévoit que la résidence des enfants est fixée chez la mère, ce qui révèle que le point était en débat.

On précise que l’hypothèse est loin d’être rare. Ainsi, la décision nº 73, qui vise les conclusions de chaque partie représentée par avocat distinct et révèle une guerre larvée entre les parents (chaque partie demande que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de l’autre conjoint). La décision vise l’ordonnance de non-conciliation, puis, dans la partie des « motifs », comporte un titre « Sur les enfants », qui indique : « Les mesures prises dans l’ordonnance de non-conciliation seront reconduites car il ne sera pas fait droit à la demande d’augmentation de la pension alimentaire formée par [la mère]. » Et le dispositif de préciser : « Fixe la résidence habituelle des enfants mineurs au domicile de la mère. » Y avait-il accord sur la question de la résidence des enfants ? On peut sérieusement en douter. Mais comment être catégorique ? Il faudrait disposer des conclusions des parties, mais elles ne sont pas annexées aux jugements, ni même conservées par les tribunaux.

Ces hypothèses se sont nécessairement présentées dans le rapport. Or il ne précise pas si elles ont été traitées comme des cas d’accord ou de désaccord. Plus précisément, il indique avoir considéré que lorsque le parent n’exprime pas de demande, c’est qu’il est d’accord. Mais comment a-t-il su que le parent n’avait pas exprimé de demande quand le jugement ne formalise pas l’ensemble des demandes alors que les motifs du jugement laissent penser qu’une telle demande a existé ?

Pour ce qui nous concerne, nous tenons à expliquer cette difficulté et le choix qu’il nous a fallu faire, même si nous sommes bien conscients que notre choix sera exposé à la critique. Mais la passer sous silence aurait biaisé notre recherche et trompé le lecteur.

On pouvait neutraliser ces hypothèses en considérant qu’elles sont sui generis. Mais on perdait alors un grand volume de décisions et les statistiques s’en trouvaient d’autant plus faussées qu’il s’agit bien de décisions qui statuent sur la résidence des enfants et la fixent quasi-systématiquement chez la mère. Nous avons donc choisi de les intégrer dans l’une des deux catégories. L’absence de précision d’accord des parents incite plutôt la rigueur à les catégoriser comme des hypothèses de désaccord. Toutefois, la conscience professionnelle des magistrats conduit plutôt à considérer que s’il y avait un antagonisme des parents sur la résidence des enfants, la décision serait fondée sur un motif révélant le désaccord. D’un point de vue épistémologique, les deux catégorisations auraient donc leurs justifications propres. Ce donc des considérations d’une autre nature qui nous ont finalement conduit à faire un choix.

Nous sommes partis de deux constats. D’abord, la question centrale de notre étude est de savoir si le genre est pris en considération dans la fixation de la résidence des enfants entre des parents qui se séparent. Seules sont donc révélatrices les décisions qui arbitrent un désaccord. Si l’on intègre des décisions dans lesquelles il y a eu un accord implicite des parties dans la catégorie des désaccords, on fausse les statistiques. Ce premier motif nous a conduit à considérer qu’il ne fallait intégrer dans la catégorie des hypothèses de désaccords parentaux que celles dans lesquelles on est absolument certain qu’il existait un désaccord.

La deuxième raison tient à ce que dans ces hypothèses de « ni-ni » (ni certitude d’accord, ni certitude de désaccord), la résidence de l’enfant est quasi-systématiquement fixée chez la mère. Si l’on intègre ces décisions dans les hypothèses de désaccords, on risque de créer artificiellement (ou au moins contribuer à) un déséquilibre dans les statistiques, dans le sens d’une résidence ultra-majoritairement fixée chez la mère et cela nous sera reproché. Autrement dit, si nous intégrons un important volume de décisions qui fixent toutes la résidence des enfants chez la mère dans la catégorie des hypothèses de désaccords entre les parents alors que nous ignorons de bonne foi s’il existait un réel désaccord, nous faisons chuter le pourcentage des décisions qui fixent la résidence des enfants chez le père en cas de désaccords. L’on risque alors de créer artificiellement l’idée de la prise en compte du genre dans les affaires familiales si, en réalité, les parents sont d’accord pour fixer la résidence de l’enfant chez la mère.

Nous avons donc fait le choix de classer ces hypothèses d’ignorance dans la catégorie des accords entre les parents. On pense que le rapport a dû faire le même choix que nous car, sinon, nos statistiques respectives seraient complètement différentes. Or elles sont finalement assez proches. Le rapport indique ainsi que dans 80 % des cas les parents sont « d’accord ». Pour ce qui nous concerne, si l’on intègre les hypothèses d’ignorance légitime dans la catégorie des accords, on arrive à un résultat sensiblement équivalent (81,3 %). Si on avait classé ces « ni-ni » dans la catégorie des désaccords, le taux baisserait significativement et se trouverait en rupture avec le taux national.

Hypothèses sur la résidence de l’enfant Statistiques nationales 2012 Statistiques locales récentes
Accord parental 80 % 81 %
Désaccord parental 19 % 19 %

1.2. Des statistiques illustrant la prise en compte du genre

On l’a dit, pour déterminer si le genre joue un rôle dans l’arbitrage du désaccord parental sur la résidence de l’enfant, il faut qu’il y ait un désaccord. S’il y a accord entre les parents, le jugement ne peut se voir reprocher d’avoir arbitré en faveur du genre. La valeur heuristique de cette catégorie est donc faible.

1.2.1. Les hypothèses d’accords parentaux

Dans les hypothèses d’accord entre les parents, le rapport indique qu’en moyenne, en France, la résidence des enfants est fixée dans 71 % des cas chez la mère, dans 10 % des cas chez le père et dans 19 % des cas en alternance chez chacun des parents.

Les chiffres que nous avons obtenus, plus récents, sont sensiblement équivalents. Sur 179 décisions étudiées, dans 70 % des cas la résidence est fixée chez la mère (125), 6 % chez le père (11), pour 24 % de résidence alternée (43).

Les chiffres de la résidence fixée chez la mère sont donc quasiment identiques par rapport à l’étude nationale. Ils diffèrent sensiblement pour ce qui concerne la résidence fixée chez le père et la résidence alternée, en faveur de celle-ci. Nous ne disposons de guère de pistes pour expliquer cette différence. Un tropisme local en faveur de l’alternance ? Il est alors bien peu marqué puisque la résidence alternée ne « gagne » qu’un point par rapport aux résidences fixées chez la mère et quatre points par rapport aux résidences fixées chez le père.

Une évolution liée au temps qui passe nous semble plus pertinente. Notre étude est sensiblement plus récente que l’étude nationale. Or, on observe qu’au fil du temps la résidence alternée est devenue mieux acceptée par le corps social. Les cris d’orfraie qui accompagnaient l’idée lorsqu’elle a émergé s’estompent progressivement, même si l’on observe encore des réticences chez certains spécialistes (néanmoins idéologiquement marqués). D’ailleurs, le rapport notait déjà une évolution dans le temps : 10 % en 2003, 19 % en 2012. Elle se confirme dans notre étude.

En plus d’une forme de rééquilibrage du nombre de résidences en faveur de l’alternance au fil du temps, on doit poser la question de la valeur heuristique de ces hypothèses d’accord quant à l’identification de la prise en compte du genre dans les litiges d’affaires familiales en s’intéressant à une étape souvent négligée de la procédure de divorce : l’audience de conciliation.

En audience de conciliation, lorsque les parties sont en désaccord sur la résidence des enfants, il faut arbitrer. En règle générale, le dossier des parties ne fournit pas beaucoup d’éléments à ce stade. Y a-t-il une tendance à fixer « provisoirement » la résidence des enfants chez la mère, ce qui expliquerait qu’à l’arrivée les statistiques montrent que, dans les cas d’« accord », la résidence est fixée dans 70 % des cas chez la mère contre 10 % chez le père ? La mention récurrente de la formule « le père ne s’oppose pas » plaide en ce sens, mais l’indice est trop maigre. Elle permet néanmoins d’expliquer des taux surprenants de 100 % d’accords des parents dans le rapport, dans les tribunaux de grande instance de villes dont les chiffres sont significatifs : à Annecy, 49 accords sur la résidence des enfants sur 49 litiges ; à Bergerac, 44 sur 44 ; à Colmar, 55 sur 55 ; à Tours, 52 sur 52. On veut bien croire que les berges du lac d’Annecy, la douceur des bords de Loire, le foie gras du Périgord et les vins d’Alsace sont des facteurs d’entente cordiale entre des parents qui, lors de la séparation, se tombent dans les bras quand vient la question pourtant pathogène de la résidence des enfants, mais on imagine surtout que les « accords » de ces parents ont été négociés en audience de conciliation et ont été pérennisés, l’écoulement du temps ayant joué son rôle stabilisateur et ayant permis de transformer un « désaccord initial » en « accord final ». Une étude des audiences de conciliation aurait toute sa place.

Hypothèses d’accord parental sur la résidence de l’enfant Statistiques nationales 2012 Statistiques locales récentes
Résidence chez la mère 71 % 70 %
Résidence chez le père 10 % 6 %
Résidence alternée 19 % 24 %

1.2.2. Les hypothèses de désaccords parentaux

Il s’agit des hypothèses qui seules permettent de vérifier avec certitude l’hypothèse d’une tendance à la prise en compte du genre dans les litiges d’affaires familiales. Deux parents s’opposent et réclament que la résidence de l’enfant soit fixée à leur domicile. Il faut trancher.

Le rapport national a dressé le constat que, dans ces cas d’opposition entre les parents, la résidence de l’enfant est fixée chez la mère dans 63 % des cas, chez le père dans 24 % des cas et en alternance dans 12 % des cas. Il en tire pour seule conclusion que, dans les cas de désaccord, la résidence est deux fois plus souvent fixée chez le père que dans les cas d’accord.

Certes. On reste tout de même sur un écart de 39 points entre les résidences fixées chez le père et celles fixées chez la mère. Cet écart n’est pas souligné dans le rapport. Surtout, on s’interroge sur l’utilité de la comparaison entre les hypothèses d’accord et les hypothèses de désaccords. Quand les parents sont en accord, il n’y a pas de litige. Quand ils sont en désaccord, le litige naît. On s’interroge donc sur l’utilité de la comparaison. D’ailleurs, le rapport n’en tire aucune conclusion. Quelle pourrait-elle être ? Que l’enfant a deux fois plus de chances de vivre avec son père en cas de conflit entre les parents ? On ne croit pas qu’il s’agisse de dresser la figure d’un protecteur des relations entre les enfants et leurs pères dès lors que celui-ci n’interviendrait que dans 24 % des situations.

Notre seule interrogation tient à la justification d’un tel écart entre les pères et les mères. Celles-ci présenteraient-elles davantage de garanties que ceux-là dans l’éducation des enfants ?

Elles sont d’ailleurs mieux servies lorsqu’elles demandent une résidence alternée que lorsque c’est le père qui formule la demande. Le rapport observe en effet que, lorsque la mère demande une résidence alternée et le père une résidence chez lui, la résidence alternée est fixée dans 40 % des cas. Lorsque c’est le père qui demande la résidence alternée et la mère qui demande une résidence chez elle, la résidence alternée est prononcée dans 25 % des cas.

Nos propres résultats de l’analyse locale dans lesquels les parents sont en désaccord sont les suivants : en cas de désaccord, la résidence est fixée chez la mère dans 68 % des cas (28 décisions), chez le père dans 15 % (6) et en alternance dans 17 % (7).

Soit une confirmation de la tendance observée au niveau national : la fixation de la résidence chez la mère reste stable (légère hausse), elle est en baisse (sensible) chez le père, et les situations de résidence alternée progressent significativement. On ne peut exclure un tropisme local, encore moins le facteur lié à l’évolution des mœurs en faveur de la résidence alternée. On peut également faire le constat que la matière, 41 décisions, est quantitativement faible et que les statistiques seraient peut-être (légèrement) révisées si l’on avait disposé d’un panel plus important. On précise d’ailleurs que, sur ces 41 décisions, nous avons dû opérer un choix peu évident à propos de la classification de deux d’entre elles qui apparaissent comme faisant droit à la demande du père de voir la résidence de l’enfant fixée chez lui.

D’abord, à propos de la décision nº 94. Le dispositif « fixe la résidence de l’enfant mineur au domicile du père ». A priori, rien ne justifierait de douter de l’affirmation. Toutefois, la lecture des motifs apprend que l’enfant est âgé de seize ans et demi et est scolarisé au lycée en internat. Les seuls moments qu’il passera chez son père ou sa mère, en attendant sa majorité et la fin du lycée, sont les weekends et les vacances scolaires. Or, sur ce point, la décision indique que le droit de visite et d’hébergement de la mère interviendra un weekend sur deux et la moitié des vacances scolaires. Autrement dit, dans les faits, l’enfant vivra autant de temps chez son père que chez sa mère. La résidence alternée aurait d’autant plus facilement pu être prononcée qu’aucun enjeu de pension alimentaire ne parasitait le conflit. Nous avons été tenté de classer cette décision dans celle des résidences alternées. Nous avons toutefois maintenu la décision dans la catégorie de celles fixant la résidence chez le père, même si elle ne correspond pas à la réalité des faits. Non parce que la décision autoriserait le père, en droit, à obliger l’enfant à venir vivre chez lui plutôt qu’à l’internat – l’hypothèse est trop improbable. D’abord, l’enfant âgé de seize ans et demi, scolarisé en classe de première, a d’autant plus son mot à dire par rapport à une modification de ses conditions de vie qu’il est doué de discernement au regard de la jurisprudence. Ensuite, un bouleversement des conditions de sa scolarisation ouvrirait certainement la voie d’une nouvelle décision de justice au regard de l’environnement parental conflictuel, d’autant qu’en référé, cela ne prend que quelques semaines. Si nous nous sommes finalement abstenus de déclasser la décision, c’est pour éviter la critique d’avoir cherché à réduire le nombre des décisions fixant la résidence chez le père dans les hypothèses de désaccord, même si cette raison finale est peu scientifique.

En revanche, nous avons fait le choix d’un déclassement pour la décision nº 38. Dans cette affaire, officiellement, la résidence de l’enfant a été fixée chez le père alors qu’elle était jusqu’alors fixée chez la mère. Il se trouve que la décision a été rendue en début d’année civile et la décision indique que, pour ne pas perturber la scolarité de l’enfant, le transfert de la résidence n’aura toutefois lieu que pendant les vacances d’été. La précision est de taille car l’enfant est alors âgé de plus de dix-sept ans et deviendra majeur à la fin de l’été, soit à une date où la justice ne peut plus fixer la résidence. Et alors même que l’enfant a été auditionné, la décision relevant que « l’enfant a clairement exprimé son souhait de partir vivre chez son père ». Autrement dit, la décision prévoit officiellement le transfert de la résidence de l’enfant du domicile de la mère vers celui du père, mais, en réalité, elle la maintient chez la mère jusqu’à l’été, c’est-à-dire jusqu’à sa majorité. Du coup, nous avons décidé de classer cette décision comme faisant droit à la demande de la mère, qui demandait que la résidence de l’enfant demeure fixée chez elle, et pas comme faisant droit à la demande du père. C’est un choix que nous assumons car, dans cette affaire, c’est bien la demande de la mère de maintenir la résidence de l’enfant mineur à son domicile qui a, en réalité, été satisfaite.

Au final, on observe qu’au niveau local, en cas de désaccord entre les parents, la résidence de l’enfant est fixée dans 68 % des cas chez la mère, et dans 15 % des cas chez le père. Soit un écart de 53 points. Au niveau national, il est de 39 points.

Si notre étude porte sur un panel de décisions trop faible pour être véritablement représentative, nous acceptons que l’on se reporte aux seuls chiffres nationaux : comment expliquer l’ampleur de l’écart, qu’il soit de 39 ou de 53 points ?

La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’elle concerne des affaires dans lesquelles le père a formalisé une demande motivée, présentée la plupart du temps par avocat. Sont donc exclues toutes les hypothèses de dossiers « perdus d’avance », lorsque le père se présente (ou non) à l’audience sans aucun argument en sa faveur, sans aucune chance de succès.

Nous pensons que la principale raison tient à la prégnance des idées de genre dans la société, dans la répartition des rôles, plus ou moins consciente, de moins en moins assumée, entre l’image d’un homme dont la vie est principalement vouée à la réussite professionnelle et celle d’une femme dont la vie est principalement vouée à la réussite du foyer. Les inégalités professionnelles sont connues et confirment cette idée : la différence salariale entre les hommes et les femmes s’établirait aujourd’hui encore aux alentours de 15 % [3].

Alors que dire d’une différence de 39 %, voire de 53 %, dans la répartition des rôles dans le couple parental à l’occasion des litiges d’affaires familiales ?

On n’imagine pas une réponse selon laquelle ce résultat ne serait que le fruit de l’application d’un raisonnement juridique logique qui ferait abstraction du genre et que ce résultat ne serait donc ni juste ni injuste. L’analyse de la motivation des décisions rendues le démontre.

Hypothèses de désaccord parental sur la résidence Statistiques nationales 2012 Statistiques locales récentes
Résidence chez la mère 63 % 68 %
Résidence chez le père 24 % 15 %
Résidence alternée 12 % 17 %

2. La motivation dans les litiges d’affaires familiales : de l’esquisse au tableau de la prise en compte du genre

L’étude des motifs des décisions fixant la résidence des enfants dans les situations de désaccord des parents confirme l’impression de la prise en compte du genre. On le perçoit tant par le volume de la motivation, qui diffère selon que la résidence est fixée chez la mère ou chez le père, que dans la qualité de la motivation en ce que les mêmes arguments sont utilisés de manière hétérogène.

2.1. Une motivation quantitativement plus importante dans les cas de fixation de la résidence chez le père

Lorsque la décision fixe la résidence chez la mère, les motifs tiennent, en moyenne, en 115 mots. Encore peut-on corriger le chiffre à la baisse car il est gonflé par deux décisions (nº 17 bis et 32) qui reprennent les termes d’un rapport d’expertise rédigé à l’avantage exclusif du père mais qui est finalement écarté sans motif (citation de 532 mots pour la nº 17 et 334 mots pour la nº 32). La citation est donc inutile et ne peut constituer le motif de la solution. Si l’on retranche ces deux citations inutiles, la statistique du nombre moyen de mots par décision fixant la résidence des enfants chez la mère s’établit à 82 mots.

Lorsque la décision fixe la résidence chez le père, les motifs tiennent, en moyenne, en 205 mots. Encore peut-on de nouveau corriger le chiffre, à la hausse cette fois, car il est minoré par la décision de justice nº 94 dont nous avons déjà traité : il s’agit de la décision qui « fixe la résidence de l’enfant mineur chez le père », étant précisé qu’en réalité l’enfant vit en internat au lycée et que la décision fixe sa résidence le reste de son temps, c’est-à-dire les weekends et périodes de vacances, à moitié entre le domicile de sa mère et de son père. Or, cette décision ne comporte pas de motif sur la question de la résidence. Cela s’explique puisqu’en réalité l’enfant réside au lycée. Cette décision peut donc être neutralisée pour le décompte du nombre moyen de mots motivant la décision fixant la résidence de l’enfant chez le père. La moyenne s’établit alors à 247 mots.

Si ces corrections ne sont pas considérées pertinentes, on peut s’en abstraire, la différence demeure très importante. Lorsque la décision fixe la résidence de l’enfant chez le père plutôt que chez la mère, elle est deux à trois fois plus motivée : il est plus inconfortable d’arbitrer en faveur du père que de la mère. Le prisme culturel est réel.

Il est intéressant d’observer que la résidence alternée offre une voie médiane : la décision est motivée alors en 142 mots de moyenne.

Désaccord parental Nombre moyen de mots motivant la décision
Résidence chez la mère 115 (corrigé : 82)
Résidence alternée 142
Résidence chez le père 205 (corrigé : 247)

Le tropisme de genre est également illustré par la variabilité des motifs des décisions.

2.2. La variabilité des motifs des décisions

On a coutume d’entendre, parfois de lire, que pour fixer la résidence de l’enfant de parents en désaccord, le jugement se fonde sur des critères « classiques » : l’âge de l’enfant, l’éloignement géographique de l’un des parents, l’importance de maintenir une fratrie, d’être éclairé par l’avis d’un expert ou l’audition de l’enfant.

L’analyse des 41 décisions obtenues relativise cette iconographie.

Avant de la présenter, un mot sur le vocabulaire des décisions. On lira dans celles-ci, après l’exposé des demandes de la mère, celles du père ainsi précisées : il « demande même la résidence des enfants chez lui » (nº 95). Telle autre use d’un vocabulaire paternaliste pour désigner les « fillettes » plutôt que les enfants (nº 32). Telle autre enfin considère que « par principe, l’intérêt de jeunes enfants habitués à une présence importante de leur mère est de demeurer avec elle en cas de séparation » (nº 14).

Ce vocabulaire n’est pas neutre. Surprend-il ? Pas véritablement si l’on demeure conscient que nous sommes tous pénétrés, en toute inconscience, par un système de valeurs cultivé et développé par notre milieu depuis notre plus jeune âge :

« Dès notre naissance, l’entourage fait pénétrer en nous, par mille démarches conscientes et inconscientes, un système complexe de référence consistant en jugements de valeur, motivations, centres d’intérêt […]. Nous nous déplaçons littéralement avec ce système de références, et les réalités culturelles du dehors ne sont observables qu’à travers les déformations qu’il leur impose, quand il ne va pas nous mettre jusque dans l’impossibilité d’en apercevoir quoi que ce soit. »

2.2.1. La relativité du critère de l’âge de l’enfant

L’antienne est connue : l’enfant en bas âge (quand s’achève le « bas âge » ?) éprouverait un besoin « congénital » de vivre avec sa mère. Nous ne questionnerons pas la pertinence de ce paradigme séculaire régulièrement asséné par les spécialistes auto-proclamés. Nous avons au contraire observé avec surprise que l’argument est assez peu utilisé dans les litiges aux affaires familiales, en tout cas pas explicitement, ou alors pour des résultats paradoxaux.

En 41 décisions, il est utilisé dans les motifs de 7 décisions, soit 17 %. Il en ressort effectivement que l’argument n’est jamais mis en avant pour justifier une résidence au domicile du père. La plupart du temps, il est indiqué que l’âge de l’enfant fait qu’il est de son « intérêt » de vivre chez sa mère (décisions nº 40, 71, 80). Parfois le critère de l’âge est utilisé pour rappeler qu’il doit jouer en faveur de la fixation de la résidence chez la mère, mais la décision considère que d’autres critères doivent primer et conduire à fixer la résidence chez le père. Ainsi, pour des enfants âgés d’un an et neuf mois et de quatre ans, la décision indique que l’âge des enfants inclinerait à fixer leur domicile chez la mère, mais elle met l’argument de côté en considérant que d’autres critères (fautes de la mère qui cherche à évincer le père de la vie des enfants) doivent, en l’espèce, primer (décision nº 32). Il est enfin utilisé, parfois, pour justifier une résidence alternée (décision nº 61).

Utilisation de l’âge de l’enfant dans la fixation de la résidence Absence d’utilisation de l’âge de l’enfant dans la fixation de la résidence
17 % (7) 83 % (34)

L’argument de l’âge qui justifierait une résidence de l’enfant chez la mère est donc bel et bien répandu, mais il n’est pas un critère absolu. Il également utilisé dans des sens différents au gré des décisions ainsi que ce tableau l’illustre :

Âge de l’enfant Résidence chez la mère Résidence chez le père Résidence alternée
* Dans ces affaires, la décision indique que l’argument de l’âge devrait conduire à fixer la résidence des enfants chez mère, mais qu’en l’espèce d’autres éléments plus importants doivent primer.
Un an et deux mois X *
Un an et neuf mois X *
Quatre ans X
Quatre ans et demi X *
Cinq ans et demi X
Six ans et demi X
Sept ans et demi X
Dix ans X

2.2.2. L’inséparabilité (relative) des fratries

La règle du maintien de la fratrie, rare règle écrite pour arbitrer l’enjeu de la résidence des enfants (article 371-5 du code civil), est peu utilisée. Sans doute parce que les parents demandent rarement une telle séparation.

Les hypothèses se rencontrent parfois néanmoins. Ainsi celle dans laquelle le père demande la résidence des deux enfants alors que la mère, si elle est d’accord pour que l’enfant cadette réside chez le père, demande la fixation de la résidence de l’enfant aîné chez elle. La décision sépare alors la fratrie pour satisfaire la demande de la mère en se fondant sur l’âge de l’enfant aîné (cinq ans et demi) tout en entérinant l’accord de résidence chez le père de la cadette, âgée de quatre ans et demi (nº 40).

La seule autre décision dans laquelle la question de la séparation de la fratrie s’est posée a été résolue en faveur du maintien de la fratrie.

2.2.3. Les expertises sont rares et relativisées

Sur les 41 décisions de désaccord sur la résidence des enfants, deux ont donné lieu à une expertise psychologique des parents et des enfants, une à une enquête sociale, que nous assimilons à une expertise en ce qu’elle est diligentée en cours de procédure pour apporter un éclairage sur la situation familiale.

Cet éclairage a toutefois été plutôt clair-obscur vu que dans deux affaires sur trois, après avoir cité longuement l’expertise qui est très favorable au père, la décision conclut que la résidence des enfants doit être fixée chez la mère.

Ainsi, dans l’affaire nº 17 bis, l’expert psychologue écrit être préoccupé par le discours des enfants qui « fonctionne à l’unisson avec celui de la mère » qui « promeut un discours négatif et culpabilisant à l’endroit du père », l’aîné des enfants, « en difficulté », « reprend, sans distance et discernement, le positionnement de la mère », « la mère fait reposer la décision sur les épaules des enfants. Évidemment le poids est trop lourd pour eux », le cadet « est complètement assujetti à cette situation : il n’a pas besoin de réfléchir puisque sa sœur décide pour lui. Or l’enfant est déjà perdu dans la configuration familiale globale et l’est encore davantage du fait du prêt-à-penser proposé par sa sœur aîné ». La conclusion de l’expert est sans équivoque : « L’impression que nous avons eue est que la mère n’assumait pas sa position qui au final fait barrage aux liens père/enfants et que l’instrumentalisation des enfants, consciente et inconsciente, et l’emprise qu’elle exerce à leur égard est un moyen pour elle de ne pas se considérer responsable de la situation » et que « la mère manipule non seulement les enfants mais également la justice ». La décision règle l’expertise en une phrase (« une nouvelle demande de transfert de résidence des enfants au domicile du père pourrait être accueillie dans l’intérêt des enfants ») et maintient la résidence des enfants chez la mère. Il n’y a pas d’autre motif. Autrement dit, la mise en avant des difficultés de la mère par l’expert ne sert qu’à une mise en garde : si jamais le père saisissait de nouveau la justice dans le futur, il pourrait peut-être obtenir gain de cause. L’expertise, défavorable à la mère, est donc mise de côté.

Le deuxième rapport écarté l’a été dans l’affaire nº 32. Il mettait en évidence tout autant de difficultés chez la mère qui est « enfermée dans un discours assez peu convaincant quant aux faits évoqués », vit dans un « univers psychique assez opaque et très ésotérique », rencontre de « nombreux troubles somatiques », des « troubles hystériformes » et « narcissiques » qui « la condamnent à une posture victimaire, pouvant l’inscrire dans une revendication médicale à partir de troubles factices dans laquelle elle peut tout à fait entraîner ses filles, comme cela a pu être constaté avec l’hospitalisation de l’une d’entre elles ». De son côté, « le père ne présente pas de troubles psychologiques de comportement apparents » et « un satisfecit lui est donné dans sa mission parentale » alors même que la mère met en œuvre des « difficultés réelles et répétées » « pour limiter ses fonctions parentales ». Il est conclu que « l’univers parental paternel semble plus adapté du point de vue éducatif, et notamment en ce qui concerne l’avenir psycho-développemental des deux fillettes » alors que « le contexte de vie, symboliquement précaire, et potentiellement pathogène dans lequel paraît s’inscrire la mère avec ses filles », constitue « un risque délétère à plus long terme ».

La décision écarte toutefois le rapport de l’expert en considérant qu’« aucun problème majeur ni éducatif ni psychique n’est relevé chez les enfants » et que, « dans ces conditions », « rien ne s’oppose » à ce que la résidence des enfants soit maintenue chez la mère. Il n’y a pas d’autre motif au soutien de la fixation de la résidence des enfants.

Au final, seulement 7 % des affaires ont donné lieu à expertise. Les deux défavorables à la mère ont été écartées, celle défavorable au père a été suivie.

Expertise Résidence chez la mère Résidence chez le père
Défavorable à la mère 2 0
Défavorable au père 1 0

2.2.4. Le déménagement des parents est pris en compte de manière hétérogène

Dans huit affaires sur 41 (20 %), la question du déménagement, ou de l’éloignement géographique de l’un des deux parents, a été abordée. Dans l’analyse, on retombe sur une utilisation divergente de l’argument de la rupture de stabilité.

En effet, dans cinq affaires, l’éloignement n’est pas reproché au parent qui déménage (décisions nº 16, 38, 39, 79, 81 bis) mais il l’est dans trois affaires (nº 14, 48, 69). On remarque que les cinq décisions dans lesquelles le déménagement est considéré indifférent sont des hypothèses dans lesquelles le déménagement est le fait de la mère chez qui la résidence de l’enfant est néanmoins maintenue. On relève également dans ces cinq affaires que, si l’argument de l’éloignement géographique est écarté, ce n’est pas pour faire primer d’autres éléments favorables à la mère. Il n’y a pas de motivation qui vienne en substitution pour justifier la fixation de la résidence chez la mère.

La seule hypothèse dans laquelle un père a déménagé, cela lui a été reproché (nº 48). La décision est d’autant plus intéressante que l’enfant était placé en famille d’accueil dans l’attente du jugement. Il est relevé que la mère est inapte à l’accueillir chez elle en raison de problèmes psychologiques. Inversement, il est indiqué que le père a construit un environnement favorable à l’accueil de l’enfant. Mais il est conclu que si la résidence était fixée chez le père, alors la mère aurait du mal à exercer son droit de visite en raison de l’éloignement géographique. La résidence de l’enfant est donc fixée chez la mère, nonobstant ses difficultés psychologiques.

Fixation de la résidence chez la mère Fixation de la résidence chez le père
Déménagement de la mère 5 2
Déménagement du père 1 0

Au final, on constate, au fil des décisions, l’absence de grille d’analyse des situations qui serait homogène. Ni l’âge, ni le déménagement de l’un des parents, ni l’expertise, ni la séparation des fratries, ne sont utilisés de la même manière. Si l’argument de l’âge est systématiquement regardé comme favorisant la fixation de la résidence de l’enfant chez la mère, il est parfois mis au second plan : la résidence des deux enfants les plus jeunes (un an et demi et un an et neuf mois) a été fixée chez le père.

Deux autres éléments sont largement utilisés pour fixer la résidence des enfants.

2.3. Deux éléments largement utilisés : les situations de fait déjà constituées et les tensions parentales

De l’analyse de la motivation des jugements fixant la résidence de l’enfant en cas de désaccord parental, il ressort que deux motifs sont davantage utilisés que les autres, et de manière homogène : la pérennisation d’une situation de fait déjà existante d’une part, et, d’autre part, l’existence de tensions entre les parents.

On retrouve la référence, implicite ou expresse, à une situation de fait déjà existante qu’il faut stabiliser dans 14 décisions sur 41, soit 34 %. Et si l’on s’intéresse aux seules décisions fixant la résidence chez l’un des deux parents et que l’on met de côté les hypothèses de résidence alternée pour lesquelles la référence à une situation de fait déjà existante est très rare, on arrive à 13 décisions sur 34, soit 38 %.

Décisions fixant la résidence de l’enfant chez l’un des parents en cas de désaccord Décisions utilisant le critère de la pérennisation d’une situation de fait Rapport
34 13 38 %

Le deuxième élément largement utilisé dans les motifs des décisions est l’existence de tensions parentales : il est mentionné dans 8 des 34 décisions arbitrant en faveur de l’un des parents, soit 23,5 %.

L’utilisation de ce critère interroge. En effet, si les parents s’entendaient bien, ils ne seraient pas en procès. L’existence de tensions est consubstantielle au contentieux. Dès lors que ces tensions sont simplement relevées et qu’il n’en résulte aucune situation de « violence » relevée par le jugement, on peut être réservé sur le motif qui met en avant ces tensions pour fixer la résidence de l’enfant au profit de l’un des parents. D’autant que bien souvent les tensions sont imputées au parent qui demande la modification de la résidence à son profit. Il est évident que s’il était satisfait, il n’irait pas devant le juge. Lui reprocher des « tensions » peut sembler paradoxal.

Décisions fixant la résidence de l’enfant chez l’un des parents en cas de désaccord Décisions utilisant le critère de l’existence de tensions entre parents Rapport
34 8 23,5 %

Enfin, la combinaison de ces deux « critères » peut alimenter l’instrumentalisation de tensions par le parent chez qui l’enfant réside. En effet, partant du constat que l’on ne remet pas en cause les situations constituées et que les tensions parentales sont force d’inertie, le parent chez qui l’enfant réside a tout intérêt à mal s’entendre avec son ex-conjoint s’il veut que la résidence de l’enfant demeure à son domicile. Comme le parent chez lequel l’enfant réside est quasiment en situation de toute-puissance dans la gestion du quotidien de l’enfant, il lui est facile d’être à l’origine de tensions chez son ex-conjoint sur des enjeux qui, s’ils paraissent souvent mineurs à l’œil extérieur (vêtements, jouets, activités périscolaires, etc.), permettent d’alimenter un conflit utile, sinon à l’intérêt de l’enfant, à l’intérêt du parent chez qui l’enfant réside.

Au final, l’existence d’une tendance à la prise en compte du genre dans les litiges d’affaires familiales, déjà établie par le rapport national, est vérifiée. On relève que, dans les hypothèses de désaccord entre les parents, la résidence de l’enfant est largement fixée chez la mère, rarement chez le père, et que la résidence alternée a tendance à se développer. L’analyse des motifs des décisions confirme la tendance : la fixation d’une résidence de l’enfant chez le père est deux à trois fois plus motivée qu’une résidence chez la mère.

L’institution judiciaire n’y est pas pour grand chose : elle doit arbitrer ce contentieux pathogène sans l’aide du législateur. On ne trouve en effet dans la loi aucune règle, ni aucun principe, qui devrait conduire, ou aider, le raisonnement juridique, en dehors de la règle de non-séparation des fratries. La notion d’intérêt de l’enfant est mentionnée à l’article 373-2-1 du code civil, mais le standard est tellement malléable qu’il n’a aucune signification. Du coup, se met en œuvre un arbitrage qui reproduit inconsciemment le déséquilibre de genre que l’on trouve à l’état diffus dans l’ensemble des rapports sociaux et dans notre culture. Il n’est pas anodin de relever que ce sont dans les pays les plus en avance dans l’égalité des sexes, que la résidence des enfants est plus largement partagée entre les pères et les mères. L’exemple de la Suède est largement connu [4], de même que celui de la Norvège [5].

Ces dernières années, les propositions de loi ayant précisément pour objet de traiter le problème semblent échouer les unes après les autres [6]. Pourtant, le « besoin d’invention politique [7] » est d’autant plus prégnant qu’une intervention du législateur permettrait à l’institution judiciaire, si elle disposait d’une grille d’analyse homogène des situations qui lui sont soumises, ou de principes directeurs (par exemple si la résidence alternée était le principe auquel toute dérogation devrait être spécialement motivée), d’être protégée.

On a pu lire que certaines associations féministes seraient opposées à une remise en question du privilège de genre dans l’arbitrage des conflits parentaux en matière d’affaires familiales [8]. On doute du caractère véritablement féministe d’un tel positionnement : en faisant pression pour un maintien du privilège des femmes dans l’arbitrage des litiges d’affaires familiales, ces associations contribuent au maintien de l’idée selon laquelle le foyer demeure l’univers de la femme quand celui de l’homme ne peut être que celui du travail. On ne peut vouloir une chose et son contraire et qu’il soit plutôt permis de s’inspirer de Simone de Beauvoir (Pour une morale de l’ambiguïté) : si « aucune action ne peut se faire pour l’homme sans se faire aussitôt contre des hommes », une action en faveur des hommes pour l’établissement d’une égalité réelle dans la répartition des droits parentaux serait également en faveur des femmes… et des enfants.

Notes
  1. Cf. Toulemon (Laurent), « Les pères dans les statistiques », Informations sociales, nº 176, 2013, pp. 8-13.
  2. Nous ne souhaitons pas indiquer le lieu ni la date précise, dans un souci de protection de l’institution, même si n’importe qui pourrait se procurer les décisions en vertu du caractère public du prononcé des jugements. Bien sûr, cet anonymat pourrait nourrir une certaine critique. Celle-ci paraitrait toutefois d’autant plus déplacée que la lecture de la suite de notre étude le montre : les chiffres sont assez proches de ceux du rapport. Il serait donc curieux que cet anonymat de protection pose problème.
  3. Cf. « Inégalités de revenus salariaux entre hommes et femmes », Wikipédia : « En France, à même niveau hiérarchique, même entreprise et mêmes fonctions, l’écart salarial entre femmes et hommes à temps plein est de 2,7 % d’après The Economist. Cet écart s’accroît à 4 % lorsque seul le niveau hiérarchique est identique, et à 17 % tous niveaux hiérarchiques confondus. Le salaire mensuel net moyen des femmes en France est, selon l’INSEE, de 16,8 % inférieur à celui des hommes, et le salaire médian des femmes est, selon l’OCDE, de 11,5 % inférieur à celui des hommes. »
  4. Cf. Lorenzo (Sandra), « En matière de garde alternée, c’est vers la Suède et les études scientifiques qui y sont menées qu’il faut regarder », Huffington Post, 2 décembre 2017.
  5. Cf. Nilsen (Sondre Aasen), et alii, « Divorce and Family Structure in Norway: Associations With Adolescent Mental Health », Journal of Divorce & Remarriage, Vol. 59, nº 3, avril 2018 (en ligne le 6 décembre 2017), pp. 175-194.
  6. Notamment : amendement nº 108 (rectifié) du groupe RDSE au projet de loi sur l’Égalité Femmes-Hommes, voté par le Sénat le 16 septembre 2013 ; proposition de loi nº 307 relative au principe de garde alternée des enfants, 17 octobre 2017 ; proposition de loi nº 3163 favorisant l’émergence d’un modèle de coparentalité dans l’intérêt supérieur de l’enfant, 30 juin 2020.
  7. Cf. Grangeat (Michel), « Résidence des enfants après séparation des parents : un besoin d’invention politique », Mediapart, 21 juin 2017.
  8. Cf. Collectif, « Contre la garde alternée automatisée », Le Monde, nº 22669, 30 novembre 2017, p. 25.

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