Petite chronique de jurisprudence : droit de visite et d’hébergement, liquidation de régime matrimonial, mariage et nationalité

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 10 février 2021, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Suspension du droit de visite et d’hébergement

En l’espèce, un jugement de divorce avait fixé la résidence d’un enfant au domicile de sa mère et accordé au père un droit de visite et d’hébergement à exercer selon libre accord des parties. À la suite du déménagement de la mère du Gers vers la Réunion, le père avait saisi le juge aux affaires familiales aux fins d’obtenir à titre principal la fixation de la résidence de l’enfant à son domicile, à titre subsidiaire un droit de visite et d’hébergement, et à titre infiniment subsidiaire un droit de communication régulier avec l’enfant, par téléphone ou par Skype. Débouté en première instance, puis par la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion en mai 2019, il avait alors formé un pourvoi en cassation.

La première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé aujourd’hui le bien-fondé des décisions précédentes et rejeté le pourvoi :

« 5. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, d’une part, que l’enquête sociale avait mis en évidence que [le père] s’était vu refuser l’accès à la salle de prière de sa commune à la suite de discours préoccupants auprès de jeunes et pouvait, selon plusieurs témoins, adopter un comportement menaçant, d’autre part, que l’intéressé tenait à son fils des propos particulièrement dénigrants envers [sa mère], allant jusqu’à lui refuser sa qualité de mère, ce qui suscitait chez l’enfant un comportement agressif à l’égard de celle-ci, la cour d’appel a caractérisé les motifs graves tenant à l’intérêt [de l’enfant] et justifiant la suspension du droit de visite et d’hébergement du père ainsi que le rejet de la demande de communication régulière de celui-ci avec l’enfant, par téléphone ou par “skype”. »

La Cour de cassation confirme ici une jurisprudence bien établie. Le maintien des relations personnelles avec son enfant est certes un devoir de chacun des parents (article 373-2 du code civil), ainsi qu’un droit que le juge aux affaires familiales doit faire respecter (article 373-2-6 du code civil), mais l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement, ou même d’un simple droit de garder un contact téléphonique, peut être supprimé pour un motif grave tenant à l’intérêt supérieur de l’enfant (article 373-2-1 du code civila contrario, voir par exemple : arrêt du 14 mars 2006, pourvoi nº 04-19527 ; arrêt du 28 mai 2015, pourvoi nº 14-16511).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 10 février 2021
Nº de pourvoi : 19-21902

Manœuvres dilatoires lors de la liquidation du régime matrimonial

En l’espèce, un jugement avait prononcé en mars 2002 le divorce de deux époux de nationalité portugaise, mariés en France en 1970 sans contrat préalable, et ordonné la liquidation de la communauté ayant existé entre eux. Des difficultés s’étant élevées pour la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux, un jugement irrévocable avait statué en décembre 2012 sur la composition de la communauté de biens existant entre eux et renvoyé les copartageants devant un notaire pour établir l’acte constatant le partage, mais l’ex-mari avait assigné son ex-épouse en novembre 2013 aux fins de voir dire que la loi applicable à leur régime matrimonial était la loi portugaise et, en conséquence, que ledit régime était la séparation de biens.

Débouté par la cour d’appel de Paris en février 2019, l’ex-mari avait alors formé un pourvoi en cassation, lequel a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 6. Pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir, pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable.

« 7. L’arrêt relève, par motifs adoptés, qu’au cours de la procédure tendant à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux, [les époux], chacun assisté par un avocat, ont tous deux conclu au regard des codes civil et de procédure civile français. Il en déduit que les deux parties ont entendu soumettre la détermination et la liquidation de leur régime matrimonial à la loi française

« 8. La cour d’appel a ainsi caractérisé l’existence d’un accord procédural des parties sur la loi applicable à la détermination de leur régime matrimonial, lequel avait vocation à produire effet tant pour l’instance en partage au cours de laquelle il était intervenu que pour celle, engagée ensuite par [l’époux], qui n’en était que la conséquence.

[…]

« 11. L’arrêt relève que [l’époux] a, par son fait, délibérément contribué à retarder les opérations de liquidation du régime matrimonial des époux pourtant arrêtées par [un] jugement […], dont il n’a pas interjeté appel, mais qu’il n’a pas hésité à remettre en cause en assignant [son ex-épouse] devant le juge aux affaires familiales.

« 12. Ayant ainsi fait ressortir que [l’époux] avait agi dans une intention dilatoire en cherchant à remettre en cause un jugement irrévocable, la cour d’appel a pu retenir le caractère manifestement abusif de l’exercice par ce dernier de son droit d’agir en justice. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 10 février 2021
Nº de pourvoi : 19-17028

Nationalité acquise par mariage

En l’espèce, un homme né au Kosovo avait épousé une femme de nationalité française. Le mari avait souscrit en avril 2009 une déclaration d’acquisition de la nationalité française, sur le fondement de l’article 21-2 du code civil, et cette déclaration avait été enregistrée en mars 2010. Les époux avaient divorcé en janvier 2013, et l’homme s’était remarié en Suisse en juin 2014. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris avait assigné l’homme en août 2015 aux fins d’annulation de l’enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française et de constat de son extranéité, sur le fondement de l’article 26-4, alinéa 3, du code civil, au motif que l’homme avait eu deux enfants avec celle qui allait devenir sa seconde épouse, alors qu’il était toujours marié avec la première…

Le tribunal de grande instance de Paris avait annulé en février 2017 l’enregistrement de la déclaration souscrite en avril 2009 et dit que l’homme n’était pas français. Le jugement ayant été confirmé en toutes ses dispositions par la cour d’appel de Paris en novembre 2019, l’homme avait alors formé un pourvoi en cassation. Il avait à cette occasion demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions des articles 21-2, 212 et 215 du code civil – en ce qu’elles sont interprétées comme impliquant l’existence d’un devoir de fidélité dont la méconnaissance mettrait nécessairement fin à la communauté de vie affective qui caractérise le mariage – méconnaissent-elles, d’une part, les droits constitutionnels à l’autonomie personnelle, au respect de la vie privée et au mariage ainsi que, d’autre part, le principe constitutionnel d’égalité ? »

La Cour de cassation avait – fort heureusement – déclaré la question irrecevable dans un arrêt du 15 octobre 2020. Elle a rejeté aujourd’hui le pourvoi dans son ensemble :

« 5. Aux termes de l’article 21-2, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, issue de la loi nº 2006-911 du 24 juillet 2006, l’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

« 6. L’arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le ministère public rapporte la preuve que, pendant son mariage avec [une Française], [le demandeur] a maintenu une relation affective, durable et suivie avec [une autre femme], qu’il connaissait depuis 1999 et retrouvait lors de ses séjours au Kosovo, et que de cette relation sont nés deux enfants, dont l’une […] avant la déclaration de nationalité.

« 7. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a souverainement déduit, sans se fonder uniquement sur la circonstance que [le demandeur] entretenait une relation adultère, qu’il n’existait pas de communauté de vie affective des époux au jour de la déclaration souscrite le 3 avril 2009, de sorte que la fraude était caractérisée. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 10 février 2021
Nº de pourvoi : 20-11694

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