Petite chronique de jurisprudence : délivrance de legs, recel communautaire, résidence habituelle des enfants

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 30 septembre 2020, la Cour de cassation a rendu trois arrêts qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

Prescription de l’action en délivrance de legs

En l’espèce, un père était décédé en janvier 2005, laissant pour unique héritière sa fille, en l’état de trois testaments olographes – deux de novembre 2000 et un troisième de septembre 2003 – instituant une autre femme légataire universelle. Un premier litige était né entre l’héritière réservataire et la légataire universelle. Le tribunal correctionnel de Nancy avait déclaré la légataire universelle coupable d’abus de faiblesse et de tentative d’escroquerie en février 2004. La fille avait ensuite assigné la légataire universelle en avril 2005 pour voir annuler les trois testaments sur le fondement des articles 901 et 1109 du code civil. La cour d’appel de Nancy avait cependant infirmé le jugement de février 2004 en mars 2008 : après avoir analysé les éléments de preuve qui leur étaient soumis et constaté que le jugement n’était pas motivé, les juges du fond avaient estimé que la fille n’avait pas établi que la volonté de son père était altérée au moment de la rédaction des testaments. Le pourvoi formé par la fille fut rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 décembre 2010.

La validité de son titre reconnue, la légataire universelle assigna à son tour l’héritière réservataire en octobre 2014 en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision existant entre elles, puis sollicita en octobre 2015 la délivrance de son legs. Relevant que la légataire universelle ne pouvait agir judiciairement en délivrance de son legs tant que son titre n’était pas définitivement établi, soit lors du prononcé de l’arrêt du 15 décembre 2010, la cour d’appel de Nancy déclara bien fondée et recevable l’action en délivrance du legs universel en décembre 2017. Considérant que la prescription lui était acquise, l’héritière réservataire contesta la décision en formant un nouveau pourvoi en cassation.

L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa des articles 1004 et 2234 du code civil :

« 7. Il résulte du premier de ces textes qu’à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires.

« 8. L’action en nullité du testament engagée par un héritier réservataire, qui n’empêche pas le légataire universel d’exercer l’action en délivrance de son legs au sens du second de ces textes, n’en suspend pas la prescription.

« 9. Pour déclarer recevable et bien fondée la demande de [la légataire universelle] en délivrance du legs universel dont [le défunt] l’a gratifiée, l’arrêt retient que celle-ci ne pouvait agir judiciairement en délivrance de son legs tant que son droit de légataire universelle n’était pas définitivement établi, ce qui n’est intervenu que lors du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 mettant fin au litige sur ce point. Il ajoute que cette demande ayant été expressément formulée devant le tribunal par conclusions du 29 octobre 2015, elle n’est donc pas prescrite.

« 10. En statuant ainsi, alors que le délai de l’action en délivrance du legs, qui avait commencé à courir le jour du décès [du défunt], n’avait pas été suspendu par l’action en nullité des testaments engagée par [l’héritière réservataire], la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 30 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-11543

Résidence habituelle d’enfants binationaux

En l’espèce, un homme de nationalités française et suisse avait épousé en juin 2004 une femme de nationalités danoise, irlandaise et suisse. Deux enfants étaient issus de leur union. À la suite de la séparation des époux, un tribunal suisse avait rendu en novembre 2015 une décision par laquelle il s’était déclaré compétent pour statuer sur les obligations alimentaires entre les époux mais incompétent à l’égard des mesures concernant les enfants.

Le mari avait ensuite déposé une requête en divorce au tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse en janvier 2016. Le père ayant été incarcéré dans cette ville, la résidence principale des enfants avait été fixée exclusivement en Suisse à compter d’octobre 2016. Dans l’ordonnance de non-conciliation rendue en mars 2017, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse s’était estimé incompétent pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Le père ayant interjeté appel, la décision avait été réformée en mars 2019 par la cour d’appel de Lyon, laquelle avait considéré que les juridictions françaises étaient compétentes au regard du règlement (CE) nº 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit règlement Bruxelles II bis, icelui désignant pour statuer en matière de responsabilité parentale les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant à la date où la juridiction est saisie : or, lors du dépôt de la requête en divorce, les enfants résidaient par alternance chez leur mère en Suisse et chez leur père en France, dans l’ancien domicile conjugal ; ils étaient également scolarisés en France, où ils avaient depuis plusieurs années le centre habituel de leurs intérêts et étaient intégrés dans un environnement familial et social, de sorte qu’il pouvait être considéré que leur résidence habituelle était bien en France.

La mère avait alors formé un pourvoi en cassation, soutenant notamment que la cour d’appel de Lyon ne pouvait invoquer le règlement Bruxelles II bis puisque la résidence habituelle des enfants était aussi partiellement en Suisse au moment de l’introduction de l’instance en divorce et que la Suisse n’est pas membre de l’Union européenne, de sorte que le seul texte applicable en l’espèce est la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, entrée en vigueur le 1er juillet 2009 en Suisse et le 1er février 2011 en France.

L’arrêt a été partiellement cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, ensemble l’article 61 du règlement Bruxelles II bis :

« 4. Selon le premier de ces textes, les autorités tant judiciaires qu’administratives de l’État contractant de la résidence habituelle de l’enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. En cas de changement licite de la résidence habituelle de l’enfant dans un autre État contractant, sont compétentes les autorités de l’État de la nouvelle résidence habituelle.

« 5. Selon le second texte, les dispositions du règlement et, en particulier, l’article 8.1 qui désigne, en matière de responsabilité parentale, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle à la date où la juridiction est saisie, priment sur celles de la Convention de La Haye dans les seules relations entre les États membres.

« 6. Pour dire les juridictions françaises compétentes en matière d’autorité parentale et statuer sur les modalités de son exercice, après avoir énoncé que la règle de compétence générale édictée à l’article 8, paragraphe 1, du règlement nº 2201/2003 du 27 novembre 2003 s’applique à des litiges impliquant des rapports entre les juridictions d’un seul État membre et celles d’un pays tiers, l’arrêt retient qu’à la date de l’introduction de la requête en divorce, en janvier 2016, les enfants étaient en résidence alternée, chez leur mère en Suisse et chez leur père en France à l’ancien domicile conjugal, qu’ils étaient scolarisés en France, qu’ils avaient depuis plusieurs années le centre habituel de leurs intérêts dans ce pays, où ils étaient intégrés dans leur environnement social et familial. Il ajoute que ce n’est qu’à compter d’octobre 2016, à la suite de l’incarcération de leur père, que les enfants ont résidé exclusivement en Suisse, où ils ont été scolarisés avec l’accord de celui-ci donné par lettre du 1er août 2017.

« 7. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la résidence habituelle des enfants avait été licitement transférée en cours d’instance dans un État partie à la Convention du 19 octobre 1996 mais non membre de l’Union européenne, de sorte que seule cette Convention était applicable, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

L’ordonnance de non-conciliation rendue en mars 2017 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a donc été confirmée en ce qu’elle disait la juridiction française incompétente pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 30 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-14761

Sanction du recel communautaire

En l’espèce, un père avait divorcé d’avec la mère de ses deux enfants en juin 1987 puis était décédé en juin 2009. Un jugement de juillet 2013 avait annulé l’acte de partage établi entre les époux, le père ayant été reconnu coupable de recel communautaire, et avait ordonné un nouveau partage. Apprenant alors que son père avait souscrit un contrat d’assurance sur la vie en 2008 et désigné en qualité de bénéficiaire une tierce personne, sa fille avait assigné celle-ci en restitution des primes versées auprès de l’assureur au regard de leur caractère exagéré (article L132-13, alinéa 2, du code des assurances).

La cour d’appel de Poitiers ayant rejeté cette demande en décembre 2018, la fille du défunt avait formé un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 6. L’article L. 132-13 du code des assurances dispose :

« “Le capital d’un contrat d’assurance sur la vie ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

« “Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.”

« 7. Le caractère exagéré des primes s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur.

« 8. Il en résulte qu’une condamnation ultérieure du souscripteur à la sanction du recel communautaire, emportant privation rétroactive de tout ou partie de son patrimoine, ne peut avoir d’incidence sur cette appréciation.

« 9. Après avoir relevé que, lorsqu’il avait versé à l’assureur une somme de 31 325 euros, [le père] disposait de la moitié des biens composant la communauté dissoute par le divorce, soit au moins 350 000 euros, outre une maison d’une valeur de 230 000 euros, et percevait une retraite de plus de 1 000 euros, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, en a souverainement déduit que cette prime n’était pas manifestement exagérée. »

La Cour de cassation maintient ici une jurisprudence constante – voir par exemple : arrêt du 23 novembre 2004, pourvoi nº 01-13592 ; arrêt du 23 novembre 2004, pourvoi nº 02-17507 ; arrêt du 6 novembre 2019, pourvoi nº 18-16153.

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 30 septembre 2020
Nº de pourvoi : 19-13129

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

Faire un don

Totalement indépendant, ne bénéficiant à ce jour d’aucune subvention publique et ne vivant que de la générosité privée, P@ternet a besoin du soutien de ses lecteurs pour continuer, et se développer. Si cet article vous a intéressé, vous pouvez soutenir P@ternet grâce à un don ponctuel en cliquant sur l’image ci-dessous.

helloasso

Laissez un commentaire (respectez les règles exposées dans la rubrique “À propos”)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.