Droit de visite de l’ex-compagne et intérêt supérieur de l’enfant

Cour de cassation

Nous nous étions fait l’écho l’année dernière d’un litige opposant deux homosexuelles autour de l’enfant d’une d’elles lorsque la Cour de cassation avait refusé de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été présentée par l’une des ex-compagnes (voir notre chronique du 6 novembre 2019). Lors de son audience publique de ce 24 juin 2020, la Cour de cassation a rendu son arrêt définitif dans cette affaire.

Rappelons les faits de l’espèce. Deux femmes avaient vécu ensemble de 2004 à 2015. Une enfant était née durant cette relation et sa filiation avait été établie à l’égard d’une des deux femmes. Après la séparation du couple en septembre 2015, l’ex-compagne de la mère avait assigné icelle devant le juge aux affaires familiales afin que soient fixées les modalités de ses relations avec l’enfant. La cour d’appel de Rennes ayant rejeté ses demandes au début de cette année, l’ex-compagne avait alors formé un pourvoi en cassation. Elle avait présenté à cette occasion une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de l’article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas d’obligation de maintenir des liens entre un enfant et un « parent d’intention », ni ne confère à ce dernier un « droit de visite et d’hébergement de principe ».

La première chambre civile de la Cour de cassation avait – heureusement – constaté que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux :

« 3. La disposition dont la constitutionnalité est contestée est l’article 371-4 du code civil qui, dans sa rédaction issue de la loi nº 2013-404 du 17 mai 2013, dispose :

« “L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit.

« “Si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.”

[…]

« 8. […] En premier lieu, l’article 371-4 du code civil ne saurait porter atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors qu’il fonde les décisions relatives aux relations personnelles de l’enfant avec un tiers, parent ou non, sur le seul critère de l’intérêt de l’enfant.

« 9. En deuxième lieu, ce texte n’opère en lui-même aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique, en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère.

« 10. En troisième lieu, ce texte qui tend, en cas de séparation, à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant et le maintien des liens de celui-ci avec l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père, lorsque des liens affectifs durables ont été noués, ne saurait méconnaître le droit de mener une vie familiale normale. »

La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu aujourd’hui son arrêt définitif dans cette affaire, confirmant la position des juges de la cour d’appel de Rennes :

« 4. Aux termes de l’article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

« 5. Aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

« 6. Aux termes de l’article 14 de la même Convention, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

« 7. Aux termes de l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction issue de la loi nº 2013-404 du 17 mai 2013, si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.

« 8. Ce texte permet le maintien des liens entre l’enfant et l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père lorsque des liens affectifs durables ont été noués, tout en le conditionnant à l’intérêt de l’enfant.

« 9. En ce qu’il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New York et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

« 10. Il ne saurait davantage méconnaître les exigences résultant de l’article 14 de cette même Convention dès lors qu’il n’opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique, en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère.

« 11. L’arrêt relève que Mme W…, bien que réticente à l’idée d’accueillir un enfant au sein de son foyer, s’est impliquée dans le projet de Mme R… dès la conception de l’enfant, étant présente pour l’insémination, le suivi médical de la grossesse et au moment de l’accouchement. Il constate que la naissance de l’enfant a été annoncée par les deux femmes au moyen d’un faire-part mentionnant leurs deux noms. Il ajoute que chacune d’elles s’est investie dans le quotidien de l’enfant après sa naissance et qu’un droit de visite et d’hébergement amiable une fin de semaine sur deux a été instauré au bénéfice de Mme W… à l’issue de la séparation du couple, en septembre 2015.

« 12. Il relève cependant que le droit de visite et d’hébergement de Mme W… a cessé d’être exercé dès le mois de janvier 2016, Mme R… refusant que sa fille continue de voir son ancienne compagne en raison du comportement violent de celle-ci. Il précise que, si le caractère conflictuel de la séparation n’est pas contesté par les parties, la violence des interventions de Mme W… à l’égard de Mme R… est attestée par les pièces produites, qui font état d’intrusions sur le lieu de travail de celle-ci et au domicile de ses parents, en présence de l’enfant, qui a été le témoin de ses comportements véhéments et emportés.

« 13. Il estime que ces confrontations, en présence de l’enfant, ont généré une crainte et une réticence réelle de celle-ci à l’idée de se rendre chez Mme W…, et que cette dernière n’a pas su préserver [l’enfant] du conflit avec son ancienne compagne, ce qui est de nature à perturber son équilibre psychique.

« 14. Il retient enfin que, si Mme W… a pu résider de manière stable avec l’enfant du temps de la vie commune du couple et a pourvu à son éducation et à son entretien sur cette même période, la preuve du développement d’une relation forte et de l’existence d’un lien d’affection durable avec [l’enfant] n’est pas rapportée.

« 15. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a souverainement déduit qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant d’accueillir la demande de Mme W…. Elle a ainsi, par une décision motivée, statuant en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit être primordial, légalement justifié sa décision, sans porter atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme W…. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 24 juin 2020
Nº de pourvoi : 19-15198

Pro memoria : voir nos chroniques du 13 juillet 2017 et du 26 juin 2019.

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