Contestation de paternité et détermination de la loi applicable

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 4 mars 2020, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans une affaire assez particulière et sur un sujet assez technique, qu’il nous paraît néanmoins intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs.

En l’espèce, une enfant était née en Allemagne en août 2010 du mariage d’une femme de nationalité allemande et d’un homme de double nationalité, australienne et italienne. Un homme avait ensuite contesté la paternité de l’époux devant le tribunal de grande instance de Paris, ville de résidence de l’enfant et de ses parents.

Un jugement de mars 2012 avait déclaré recevable l’action en contestation de la paternité de l’époux et en établissement de paternité du requérant, et ordonné avant dire droit une expertise biologique. Les époux avaient refusé de se soumettre aux opérations d’expertise, au motif que « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant » (article 311-14 du code civil) et que, selon le droit allemand, la filiation ne pouvait être contestée faute de remise en cause de la relation socio-familiale entre l’enfant et l’époux.

La cour d’appel de Paris ayant cependant donné raison au requérant en avril 2016, les époux avaient formé un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la Cour de cassation avait cassé l’arrêt en juillet 2017, pour un motif de procédure lié à l’autorité de la chose jugée (le jugement de mars 2012 s’était borné à admettre la recevabilité de l’action et à ordonner une expertise, sans se prononcer sur la loi applicable au litige), et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

Un deuxième arrêt de la cour d’appel de Paris rendu en décembre 2018 appliqua la loi française à l’action en contestation de paternité en raison du renvoi fait à la loi française par la règle de conflit de lois allemande. L’Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuche (loi d’introduction au code civil contenant les règles du droit international privé allemand) dispose en effet que la contestation de paternité est régie soit par la loi du domicile commun des époux en l’absence de nationalité commune desdits époux, soit par la loi de la résidence habituelle de l’enfant. Le domicile commun des époux – de nationalités différentes – et la résidence de l’enfant étant en France, la loi française devait donc s’appliquer.

Contestant l’admission du renvoi s’agissant de la loi applicable à la filiation et l’interprétation faite par les juges d’appel de la règle de conflit de lois allemande, les époux formèrent alors un second pourvoi en cassation, qui a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« 3. Aux termes de l’article 311-14 du code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant.

« 4. Ce texte, qui énonce une règle de conflit bilatérale et neutre, n’exclut pas le renvoi.

« 5. Après avoir retenu que le droit allemand était désigné par l’article 311-14 du code civil en tant que loi nationale de [la mère] au jour de la naissance de l’enfant […], c’est par une interprétation souveraine des articles 20, 19 et 14, § 1, du EGBGB, loi d’introduction au code civil contenant les règles du droit international privé allemand, dont elle a analysé les termes, que la cour d’appel a relevé que, pour trancher le conflit de lois relatif à l’établissement de la filiation, celle-ci renvoie à la loi de la résidence habituelle de l’enfant et à la loi régissant les effets du mariage qui, en l’absence de nationalité commune des époux, est la loi de l’État de leur domicile commun.

« 6. L’arrêt constate que l’enfant a sa résidence habituelle en France, que [le père légitime] est de nationalité italienne et australienne, [la mère] de nationalité allemande, et que leur domicile est situé en France. Il retient exactement que la résolution du conflit de lois par l’application des solutions issues du droit allemand, lesquelles désignent la loi française, permet d’assurer la cohérence entre les décisions quelles que soient les juridictions saisies par la mise en œuvre de la théorie du renvoi.

« 7. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que la loi française était applicable à l’action en contestation de paternité exercée par [le requérant]. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 4 mars 2020
Nº de pourvoi : 18-26661

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