Gestation pour autrui : le gouvernement se prend les pieds dans le tapis de ses propres contradictions

Communiqué de presse des Juristes pour l’enfance

Juristes pour l’enfance

Alors que l’examen du projet de loi de bioéthique commençait mardi 21 janvier au Sénat, le gouvernement a déposé in extremis un amendement sur la gestation pour autrui pour contrer le texte issu de la commission spéciale qui avait adopté un amendement de bon sens dans ce domaine (article 4 bis).

Rappelons que l’article 47 du code civil énonce que « tout acte de l’état civil […] fait en pays étranger […] fait foi, sauf si […] les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Et l’amendement gouvernemental de préciser que « la réalité est appréciée au regard de la loi française ».

Pourquoi cette précision ? Le gouvernement rappelle que « en matière de filiation, s’agissant de la maternité, la réalité, au sens de la loi française (article 325 du code civil), est celle de l’accouchement » (exposé des motifs) : le but de l’amendement est donc d’interdire la transcription des actes de naissance post gestation pour autrui indiquant des parents d’intention.

Ceci est pour le moins cocasse dès lors que l’objectif annoncé est totalement désavoué par le reste du projet de loi : l’article 4, qui instaure une double filiation maternelle portée sur l’acte de naissance d’origine de l’enfant, tend en effet à mettre fin à cette réalité de la maternité découlant de l’accouchement qui est celle du droit français. Il prévoit que « pour les couples de femmes, la filiation est établie, à l’égard de chacune d’elles, par la reconnaissance qu’elles ont faite conjointement devant le notaire lors du recueil du consentement ». Et il est prévu à ce jour que l’acte de naissance ne précise pas la femme qui a accouché mais mentionne au même niveau et sans différenciation les deux femmes comme mères.

Dès lors que le projet de loi consacre l’abandon du principe reliant la maternité à l’accouchement, et l’établissement de la filiation par le simple effet de la volonté d’un individu, l’amendement proposé par le gouvernement est tout simplement privé d’effet par le reste du projet de loi !

Le gouvernement se prend les pieds dans le tapis de ses propres contradictions, mais ce n’est pas pour nous rassurer sur l’état du droit.

Gageons que les sénateurs sauront déceler la supercherie et rejeter cet amendement pour en rester au texte de la commission qui a le mérite de dire quelque chose de précis et compréhensible.

Précisions complémentaires sur le contenu de l’amendement

Avec cet amendement, le gouvernement entend réécrire le texte adopté par la commission spéciale qui interdit déjà la transcription des actes de naissance indiquant comme mère la mère d’intention (qui n’a pas accouché) ou bien deux hommes comme parents, tout en réservant la possibilité d’établir cette parenté d’intention par l’adoption.

Ce texte adopté en commission désavoue lui-même la Cour de cassation qui, dans deux arrêts du 18 décembre 2019, a autorisé la transcription des actes de naissance post gestation pour autrui qui désignaient un deuxième homme comme « parent » en plus du père, après avoir admis un peu plus tôt l’acte de naissance désignant comme mère la femme n’ayant pas accouché [1].

Le gouvernement se rallie à la commission lorsqu’il affirme que « cette solution [de la Cour de cassation] est source de difficultés car elle soustrait les GPA faites à l’étranger au contrôle du juge français, en particulier le contrôle de l’intérêt de l’enfant et de l’absence de trafic d’enfant puisqu’il n’est plus nécessaire de prévoir une adoption pour reconnaître le lien de filiation » (exposé des motifs).

Mais pourquoi dans ce cas réécrire le texte de la commission ?

  • Selon le gouvernement, la rédaction de la commission « rendrait impossible la transcription d’un jugement d’adoption, pourtant valablement prononcé à l’étranger, pour un enfant né de GPA alors que cette transcription est aujourd’hui acceptée en droit français ». Ceci est inexact, car un jugement d’adoption n’est pas visé par cette exigence de « conformité à la réalité » de l’article 47 du code civil, dès lors qu’un jugement d’adoption n’indique pas de qui l’enfant est né mais par qui l’enfant a été adopté. Il ne se réfère donc pas à la réalité de la naissance de l’enfant. D’ailleurs, l’article 47 du code civil n’a jamais fait obstacle à la transcription des jugements d’adoption rendus à l’étranger, ni des actes de naissance d’enfants étrangers adoptés par des Français dressés en exécution de ces jugements.
  • En outre, toujours selon le gouvernement, le texte de la commission « maintiendrait la France en difficulté compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ». Ceci n’est pas non plus exact, car la Cour européenne des droits de l’homme admet l’absence de transcription du moment que la filiation à l’égard du parent d’intention peut être reconnue autrement. Or, la filiation qui découle d’un acte étranger après gestation pour autrui est parfaitement reconnue en France, y compris non transcrite : les parents désignés sur les actes étrangers exercent l’autorité parentale et peuvent agir en justice au nom des enfants ; comment pourraient-ils être leurs représentants légaux si la filiation n’était pas reconnue ? Comme le résume la mission parlementaire, « l’absence de transcription de l’acte d’état civil étranger ne fait pas obstacle à ce que cet état civil soit reconnu et utilisé par les parents dans les actes de la vie courante, que ce soit dans leurs rapports avec les administrations, les écoles ou les structures de soins » (Rapport Touraine, 2019, p. 94). Le Comité d’éthique relève la même chose : « l’état civil étranger, quel qu’il soit, peut toujours être utilisé tel quel en France. Cela permet à l’enfant de vivre avec les parents d’intention, d’avoir accès aux soins aussi bien qu’à l’inscription à l’école » (Avis CCNE nº 126, 15 juin 2017).
  • Enfin, toujours selon l’exposé des motifs présenté par le gouvernement, « l’introduction de dispositions spécifiques réglementant une situation particulière (les conventions de gestation pour autrui) dans un chapitre relatif aux dispositions générales applicables à l’ensemble des actes de l’état civil pourrait être une source d’incohérence et d’illisibilité ».

Il n’en est rien : l’ajout d’une précision relative à la gestation pour autrui dans un article additionnel est très lisible, et met fin à la confusion et à l’insécurité juridique qui découle de la jurisprudence actuelle.

Au contraire, c’est l’amendement proposé par le gouvernement indiquant que « la réalité est appréciée au regard de la loi française » qui crée une particulière insécurité juridique. Faire dépendre la réalité de « l’appréciation qui en est faite au regard de la loi française » revient à disqualifier les faits tels qu’ils se présentent, pour les transformer en matériaux interprétables selon la philosophie de la loi en vigueur. Les actes d’état civil impliqués dans les situations de gestation pour autrui sont les actes de naissance : or la naissance est un fait, qui ne souffre pas d’interprétation particulière.

Le texte de la commission n’est sans doute pas parfait mais de bien meilleure facture que la rédaction calamiteuse et source de confusion que propose le gouvernement, pour un résultat opposé à ce qu’il prétend (faire prévaloir la maternité fondée sur l’accouchement alors même que le projet de loi précisément détache la maternité de cette réalité charnelle !).

Afin d’améliorer le texte en cours et de rendre à la prohibition française de la gestation pour autrui son efficacité, Juristes pour l’enfance rappelle qu’il convient :

  • d’interdire toute transcription pendant la minorité de l’enfant, pour laisser à l’enfant et à lui seul la possibilité de la demander, s’il le souhaite ;
  • d’affirmer dans le code civil la raison de la prohibition de la gestation pour autrui, à savoir sa contrariété à la dignité humaine ;
  • de sanctionner le recours par des Français à la gestation pour autrui, y compris à l’étranger, en complétant le code pénal sur ce point.
Note de P@ternet
  1. Arrêt nº 1111, pourvoi nº 18-11815 ; arrêt nº 1112, pourvoi nº 18-12327 ; arrêt nº 1113, pourvoi nº 18-14751/18-50007 (voir notre chronique du jour).

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