Être grand-mère n’est pas un droit

Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a communiqué aujourd’hui une décision du 12 novembre dernier déclarant irrecevable la requête d’une mère qui souhaitait faire transférer en Israël les gamètes de son fils décédé pour faire procéder dans ce pays – où cette pratique est autorisée – à une procréation médicalement assistée post-mortem.

Félix Lanzmann (© D.R.)

Félix Lanzmann (© D.R.)

La requérante est Dominique Petithory Lanzmann, veuve du réalisateur Claude Lanzmann. Né en 1993, le fils unique du couple, Félix, était décédé d’un cancer le 13 janvier 2017 [1]. Risquant d’être rendu stérile par sa chimiothérapie, le jeune homme avait procédé en 2014 à un dépôt de gamètes au centre d’études et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Cochin, à Paris. Il avait envisagé d’autres démarches similaires à l’étranger, mais sa maladie ne lui permit pas de les réaliser.

Affirmant qu’elle souhaitait respecter la volonté de son fils d’être père, Dominique Petithory Lanzmann voulut faire transférer ces gamètes vers un établissement de santé situé en Israël. L’hôpital Cochin et l’Agence de la biomédecine – seule habilitée à autoriser un tel transfert – refusèrent sa requête au printemps 2017.

La loi française interdit en effet la procréation médicalement assistée post-mortem :

« L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué.

« L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »

En outre :

« Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité. »

En tel cas, l’exportation des gamètes ne peut être autorisée que s’ils sont destinés à être utilisés conformément à la législation française (article L2141-11-1 du code de la santé publique). Enfin, l’article R2141-17 du code de la santé publique dispose qu’« il est mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne ».

La mère du défunt initia alors un recours en référé devant le tribunal administratif de Paris, alléguant que l’interdiction d’avoir accès aux gamètes de son fils constituait une atteinte à sa vie privée et familiale, en ce qu’elle la privait du droit d’être grand-mère… Le tribunal administratif de Paris rejeta sa requête en novembre 2018, au motif que la procréation médicalement assistée post-mortem est interdite en France et qu’un transfert de gamètes ne peut être autorisé pour une opération illégale en France. Il releva également que Félix Lanzmann n’avait jamais donné son consentement pour que sa mère fasse procéder à une procréation médicalement assistée post-mortem et que le refus de la procréation médicalement assistée pour une personne souhaitant être grand-mère ne porte pas atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au respect de la vie privée et familiale.

La requérante interjeta appel de l’ordonnance devant le Conseil d’État, mais sa requête fut rejetée par une ordonnance du 4 décembre 2018. Le juge des référés y releva notamment que le défunt n’avait pas « eu un projet parental précis » (§ 10).

La requérante saisit alors en avril dernier la Cour européenne des droits de l’homme, en faisant valoir ce grief :

« L’impossibilité de disposer des gamètes de son fils décédé en vue de procéder, dans le respect des dernières volontés de celui-ci, à une PMA via notamment un don à un couple stérile ou une gestation pour autrui […] ne se justifie ni au regard de l’évolution de la société et de la famille, ni au regard de l’intérêt de l’enfant à naître qui aurait un ou plusieurs parents à même de s’occuper de lui et de lui transmettre la mémoire particulière de la famille Lanzmann ».

La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé ce matin les décisions des juridictions françaises. Les juges ont rappelé que « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent […] relève de la catégorie des droits non transférables » (§ 16) et que le transfert des gamètes vers un autre pays pour une utilisation qui serait illégale en France ne saurait être autorisé, car cela détournait l’objectif de la procréation médicalement assistée en France, qui est – à ce jour – de « remédier à l’infertilité pathologique d’un couple » (§ 19). En outre, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne garantit pas « le droit à une descendance pour des grands-parents » (§ 20).

« 14. La Cour observe que le grief de la requérante tient à l’impossibilité d’exporter les gamètes de son fils décédé et de faire pratiquer, conformément à la volonté qu’il avait exprimée, une insémination post-mortem dans un État qui l’autorise, aux fins de perpétuer la mémoire de la famille Lanzmann.

« 15. La Cour estime qu’il y a lieu de scinder le grief de la requérante en deux branches selon qu’elle le formule en tant que victime indirecte d’une violation de l’article 8 de la Convention au nom de son fils défunt ou en tant que victime directe privée de descendance.

« 16. S’agissant de la première branche du grief, la Cour, renvoie à son approche concernant les victimes directes et indirectes […]. Elle estime que les droits revendiqués par la requérante concernent les droits de son fils défunt. Le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu’elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables […]. En conséquence, la requérante ne peut se prétendre victime d’une violation de l’article 8 au nom de son fils défunt […].

« 17. S’agissant de la seconde branche du grief, la Cour estime qu’elle pose avant tout la question de sa compétence ratione materiæ et plus précisément celle de savoir si le refus litigieux opposé à la requérante concerne sa “vie privée” ou “familiale”.

« 18. La Cour rappelle que si la notion de vie privée aussi bien que celle de vie familiale recouvre le droit au respect des décisions de devenir parent au sens génétique du terme (Evans c. Royaume-Uni [GC], nº 6339/05, § 72, CEDH 2007‑I) et que le droit des couples de recourir à la PMA constitue une forme d’expression de ces notions (S.H. et autres c. Autriche [GC], nº 57813/00, § 82, CEDH 2011), l’article 8 de la Convention ne garantit pas le droit de fonder une famille […].

« 19. En l’espèce, la Cour note que les juridictions nationales ont estimé, d’une part, que l’interdiction légale de procréation post mortem était conforme à la Convention et, d’autre part, que le refus d’exportation des gamètes du fils défunt de la requérante ne portait pas atteinte à la vie privée et familiale de cette dernière. En particulier, le juge des référés a relevé que les éléments du dossier ne montraient pas que [Félix Lanzmann] avait autorisé sa mère à utiliser ses gamètes aux fins d’une insémination post mortem. Il a également retenu que l’impossibilité pour la requérante d’être grand-mère ne portait pas atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Convention compte tenu des intérêts qui fondent la loi française, à savoir, au regard de l’objectif jusque-là assigné à la procréation médicalement assistée en France, remédier à l’infertilité pathologique d’un couple. En d’autres termes, le juge interne a considéré que l’impossibilité d’accéder au souhait de son fils défunt de se perpétuer par un enfant ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. La Cour n’entend pas se démarquer de cette position.

« 19. Devant elle, la requérante souligne davantage les conséquences du refus litigieux quant à la perte de la mémoire de la famille Lanzmann. Aussi respectable que soit cette aspiration personnelle à la continuité de la parenté génétique, la Cour ne saurait considérer qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Celui-ci ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents. »

La Cour européenne des droits de l’homme maintient donc dans cette décision sa jurisprudence en matière de procréation. Elle a en effet déjà jugé que la Convention européenne des droits de l’homme ne garantit pas « the right to have grandchildren or the right to procreation [2] », « ni le droit de fonder une famille ni le droit d’adopter [3] », et « ne protège pas le simple désir de fonder une famille [4] ».

Au regard du droit interne, le refus de reconnaître à une mère des droits sur les gamètes de son fils aux fins d’obtenir une descendance est conforme au principe d’indisponibilité du corps humain affirmé par le troisième alinéa de l’article 16-1 du code civil : « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. » Les héritiers ne peuvent d’ailleurs disposer des gamètes d’une personne décédée puisque l’article R2141-17 du code de la santé publique en prévoit la destruction.

Au regard des droits de l’enfant, cette décision respecte aussi l’article 7-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, lequel énonce que l’enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Or, la conception d’un enfant avec les gamètes d’un homme décédé aboutit à la naissance d’un orphelin de père, ce qui n’est certainement pas dans l’intérêt de l’enfant. En l’espèce, on peut même penser que l’enfant était surtout voulu pour consoler la requérante de la perte des êtres qui lui étaient chers – son mari Claude Lanzmann est décédé le 5 juillet 2018, au début de la procédure.

Les lecteurs attentifs de notre revue de presse se souviennent peut-être de deux affaires similaires assez récentes. On apprenait ainsi le 9 septembre 2018 qu’un couple britannique avait fait prélever les gamètes de leur fils après l’accident qui lui avait coûté la vie et les avait exportés en Californie, où un petit-fils leur était né d’une mère porteuse. Une requête sur « Peter Zhu » dans notre moteur de recherche permettra de retrouver plusieurs articles sur des parents chinois qui ont été autorisés en mai 2019 à disposer des gamètes de leur fils décédé aux États-Unis, aux fins d’avoir eux aussi une descendance en faisant appel à une mère porteuse.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’étant cependant pas immuable, il sera intéressant de voir comment sera jugée l’affaire Valérie Dalleau c. France, toujours pendante et concernant également le droit à disposer des gamètes d’un tiers décédé. Cette requête a été introduite cette fois par la partenaire du défunt, représentée devant la Cour européenne des droits de l’homme par Me David Simhon, l’avocat de Dominique Petithory Lanzmann… En l’espèce, un homme atteint d’un cancer avait procédé en décembre 2016 à un dépôt de ses gamètes au centre d’études et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Cochin car il avait projeté d’avoir un enfant avec sa compagne et le traitement de son cancer risquait de le rendre stérile. L’homme étant décédé en septembre 2017, avant qu’une procréation médicalement assistée ait pu être réalisée, sa compagne demanda le transfert des gamètes vers l’Espagne, où la procréation médicalement assistée post-mortem est autorisée. Les juridictions françaises ont bien sûr rejeté sa requête, et l’affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme en décembre 2018.

Rappelons enfin que le projet de loi nº 63 relatif à la bioéthique qui va bientôt être discuté au Sénat maintient encore l’interdiction de la procréation médicalement assistée post-mortem. Mais jusques à quand ?

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
5 décembre 2019
Affaire Dominique Petithory Lanzmann c. France (requête nº 23038/19)
Notes
  1. Les lecteurs intéressés pourront se reporter à l’hommage collectif « Pour Félix Lanzmann » publié dans la revue Les Temps Modernes, nº 692, mars 2017, pp. 1-34.
  2. Margarita Šijakova et autres c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (requête nº 67914/01, 6 mars 2003, § 3).
  3. E.B. c. France (requête nº 43546/02, 22 janvier 2008, § 41).
  4. Paradiso et Campanelli c. Italie (requête nº 25358/12, 24 janvier 2017, § 141).

Pro memoria :

Mise à jour du 11 décembre 2019

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