La succession n’est pas un long fleuve tranquille

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 6 novembre 2019, la Cour de cassation a rendu deux arrêts en matière de droit des successions qu’il nous paraît intéressant de signaler à l’attention de nos lecteurs. Le deuxième arrêt mérite même une attention toute particulière…

Des effets de la législation allemande relative à l’adoption sur la succession en France

Les parents d’une jeune fille née en France avaient divorcé en 1972. La mère s’était remariée l’année suivante en Allemagne, où avait dès lors résidé la jeune fille ; icelle fut adoptée « en qualité d’enfant commun » du couple, par contrat d’adoption homologué par le tribunal d’Offenburg en 1975. Resté en France, le père s’était également remarié, et une deuxième fille était née de cette nouvelle union.

Au décès du père, l’acte de notoriété établit pour unique héritière la fille cadette, ce que contesta l’aînée. La cadette assigna alors sa demi-sœur devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin qu’il fût constaté qu’icelle n’avait plus la qualité d’héritière du défunt. La cour d’appel de Versailles confirma l’année dernière que l’aînée n’avait pas la qualité d’héritière réservataire et qu’elle devait être seulement tenue pour légataire à titre particulier de certains biens, lesquels lui seraient délivrés par sa demi-sœur qui recevrait l’intégralité de la succession.

Le pourvoi en cassation formé par l’aînée a été rejeté aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation. Voici les principales dispositions de l’arrêt :

« Sur le cinquième moyen […] : la cour d’appel était saisie de la question de la reconnaissance, à l’occasion d’un litige successoral, d’un jugement d’adoption prononcé à l’étranger, de sorte qu’elle avait seulement à vérifier si se trouvaient remplies les conditions requises pour que ce jugement soit reconnu en France, ainsi que, le cas échéant, les effets qu’il produisait, sans pouvoir examiner le fond ; d’où il suit que l’article 425, 1°, du code de procédure civile n’était pas applicable.

« Sur le premier moyen : […] l’arrêt relève que [la cadette] produit le contrat d’adoption […] et deux décisions du tribunal d’Offenburg […] portant validation et homologation judiciaire de ce contrat ; […] il constate qu’il résulte des démarches entreprises par celle-ci auprès des services compétents que le jugement […] ayant remplacé l’autorisation du père par le sang a été détruit, raison pour laquelle il n’est pas produit ; […] il ajoute que ce jugement est visé dans le contrat homologué et que seule la régularité internationale de la décision d’homologation doit être examinée ; […] la cour d’appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que [l’aînée] avait été adoptée par [sa mère] et son second conjoint, conformément au contrat d’adoption judiciairement homologué.

« Sur le deuxième moyen : […] la cour d’appel a retenu, d’abord, que le recours à une décision judiciaire afin de suppléer le consentement du père n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public international français et qu’elle n’avait pas à apprécier les motifs de cette décision étrangère, ensuite, qu’aucune violation des principes fondamentaux de la procédure ayant compromis les intérêts d’une partie n’était démontrée ; […] elle en a déduit que l’ordonnance portant homologation du contrat d’adoption devait produire effet en France, justifiant ainsi légalement sa décision au regard des règles gouvernant l’ordre public international.

« Sur le troisième moyen : […] l’arrêt retient que, si l’adoption avait, en Allemagne, jusqu’à la loi du 2 juillet 1976, des effets juridiques limités, sans incidence sur les droits successoraux de l’enfant, cette loi a instauré une adoption plénière qui, pour les mineurs, rompt les liens entre ceux-ci et les parents par le sang ; […] il ajoute qu’aux termes de ses dispositions transitoires, cette loi nouvelle s’applique de plein droit, à compter du 1er janvier 1978, aux enfants mineurs adoptés sous l’empire de l’ancienne loi, de sorte que, sauf opposition, l’adoption, qui avait les effets d’une adoption simple, se transforme de plein droit en adoption entraînant la rupture des liens juridiques avec la famille d’origine ; […] il constate qu’aucune déclaration s’opposant à cette “conversion” de l’adoption de [l’aînée] n’a été enregistrée, de sorte que sa situation est régie par la loi nouvelle ; […] la cour d’appel […] en a exactement déduit que, l’ordonnance [d’homologation de l’adoption] produisant en France des effets identiques à ceux produits en Allemagne, [l’aînée] n’avait pas la qualité d’héritière réservataire de [son père].

« Sur le quatrième moyen : […] après avoir rappelé les dispositions de l’article 12, § 2, de la loi allemande du 2 juillet 1976, aux termes desquelles la loi nouvelle s’appliquait de plein droit aux enfants mineurs adoptés sous l’empire de l’ancienne loi, la cour d’appel a retenu qu’en présence d’une décision de justice ayant suppléé le consentement du père, la “conversion” opérée par cette loi, d’une adoption produisant les effets d’une adoption simple en une adoption produisant les effets d’une adoption plénière, n’était pas contraire à l’ordre public international français. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 6 novembre 2019
Nº de pourvoi : 18-17111

Nullité d’une donation consentie à une association

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En l’espèce, un père de famille, marié sous le régime de la communauté légale, avait consenti en 2013 une donation de 50 000 euros à cette association, sans avoir préalablement obtenu le consentement de son épouse, placée sous tutelle depuis 2008. Après le décès des deux époux, leurs deux enfants assignèrent la Ligue nationale contre le cancer en annulation de la donation. Ils obtinrent gain de cause devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence l’année dernière.

L’arrêt a été confirmé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation :

« Sur le premier moyen : […] l’action en nullité relative de l’acte que l’article 1427 du code civil ouvre au conjoint de l’époux qui a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, est, en raison de son caractère patrimonial, transmise, après son décès, à ses ayants cause universels ; […] la cour d’appel en a exactement déduit que les […] héritiers […] avaient qualité à agir, de sorte que leur action était recevable.

« Sur le second moyen : […] selon l’article 1422 du code civil, les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ; […] après avoir justement énoncé qu’en application de l’article 1427 du même code, si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation, et que la présomption de communauté résultant de l’article 1402 dudit code est opposable aux tiers, l’arrêt constate que [le père] a, le 3 novembre 2013, fait donation à l’association de la somme de 50 000 euros sans l’accord de son épouse représentée par son tuteur, et que l’association ne rapporte pas la preuve que les deniers objet de la donation étaient des biens propres du donateur ; […] en l’état de ces énonciations et constatations, dont elle a déduit qu’au regard du montant de la libéralité et du régime matrimonial des époux, [le père] avait outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs et que la donation devait être annulée, la cour d’appel, qui n’avait pas à s’expliquer sur l’allégation de libre disposition, par [le père], de ses gains et salaires, qui n’était assortie d’aucune offre de preuve, a légalement justifié sa décision de ce chef. »

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 6 novembre 2019
Nº de pourvoi : 18-23913

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