Des enlèvements internationaux d’enfant à répétition devant la Cour européenne des droits de l’homme

Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme a approuvé aujourd’hui une décision judiciaire française ordonnant le retour d’un enfant franco-mexicain auprès de sa mère aux États-Unis, dans le cadre d’un divorce particulièrement conflictuel au cours duquel plusieurs enlèvements internationaux avaient été perpétrés par chacun des parents.

En l’espèce, le requérant est un ressortissant français, Jean-Philippe Lacombe, qui s’était marié en avril 1998 au Mexique avec une ressortissante mexicaine, Berenice Diaz. Un garçon, prénommé Jean-Paul, naquit de leur union au Mexique en mars 1999. En février 2004, la mère emmena l’enfant aux États-Unis pendant deux mois sans prévenir le père.

Le divorce des époux fut prononcé au Mexique en décembre de la même année : l’exercice conjoint de l’autorité parentale fut reconnu aux deux parents mais la résidence de l’enfant fut fixée chez son père, des droits de visite étant accordés à la mère pendant les vacances scolaires ; le juge mexicain interdit en outre aux ex-époux de sortir l’enfant du territoire sans l’accord écrit de l’autre parent devant notaire.

La mère saisit les juridictions mexicaines quelques mois plus tard en se plaignant de ce que le père ne respectait pas les termes du jugement. Un nouveau jugement rendu en juin 2005, confirmé en appel un an plus tard, inversa la situation : la résidence de l’enfant fut transférée chez sa mère et un droit de visite fut accordé au père, l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire sans accord de l’autre parent étant maintenue.

Son ex-épouse et le frère d’icelle ayant tenté de le tuer, Jean-Philippe Lacombe quitta le Mexique en août 2005 avec son fils, et rentra en France. Une première procédure d’enlèvement international fut alors engagée par la mère. Par jugement rendu en octobre 2006, le tribunal de grande instance de Marseille reconnut le caractère illicite du déplacement de l’enfant, au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Compte tenu de la procédure pénale en cours au Mexique mettant en cause la mère pour tentative de meurtre sur son ex-mari, le tribunal de grande instance considéra cependant qu’il existait un risque grave que le retour de l’enfant ne l’exposât à un danger et refusa d’ordonner le retour de l’enfant auprès de sa mère.

Les parents finirent quand même par trouver un accord et le père retourna au Mexique avec l’enfant en acceptant de le confier à la mère. Un juge aux affaires familiales du district fédéral de Mexico déchut toutefois le père de l’autorité parentale à l’égard de son fils en avril 2007, en raison du risque d’un nouveau départ à l’étranger. Mais ce fut la mère qui quitta à nouveau le Mexique pour les États-Unis avec l’enfant en octobre 2007, coupant tout lien avec le père. Jean-Philippe Lacombe finit par localiser son fils au Texas en février 2009. Les autorités mexicaines émirent en septembre un mandat d’arrêt à l’encontre de la mère pour enlèvement d’enfant. Le père obtint par ailleurs le mois suivant que la District Court du comté de Bexar (Texas) lui confiât provisoirement l’enfant, dans l’attente d’une audience ultérieure – quatre jours plus tard – pour statuer sur sa résidence. Jean-Philippe Lacombe en profita pour ramener aussitôt son fils au Mexique, où il obtint en novembre la confirmation de son droit de garde, la délivrance des passeports français et mexicains de l’enfant, ainsi qu’une autorisation temporaire de quitter le pays avec son fils – alors âgé de dix ans. Tous deux retournèrent alors en France.

Une seconde procédure d’enlèvement international avait été cependant engagée par la mère auprès des États-Unis dès le départ du père et de l’enfant au Mexique. Les autorités américaines émirent en décembre un mandat d’arrêt contre le père pour enlèvement d’enfant. En août 2010, une ordonnance américaine fixa la résidence de l’enfant chez sa mère, puis le tribunal de grande instance de Marseille ordonna le retour de l’enfant aux États-Unis. La mère récupéra l’enfant à la fin du mois.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant confirmé le jugement de première instance en novembre 2011 et la Cour de cassation ayant rejeté son pourvoi en septembre 2013, Jean‑Philippe Lacombe saisit la Cour européenne des droits de l’homme en mars 2014, au motif que la décision des juridictions françaises d’ordonner le retour de son fils aux États-Unis constituait une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il se plaignit notamment d’un défaut de motivation quant à l’existence d’un risque grave pour l’enfant en cas de retour, au sens de l’article 13 b) de la Convention de La Haye.

Dans son arrêt rendu aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Voici les principaux éléments de la décision :

« 57. La Cour constate à titre liminaire que le lien entre le requérant et son fils relève d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Par ailleurs, il ne prête pas à controverse que les décisions rendues par les juridictions internes ordonnant le retour de l’enfant aux États-Unis constituent une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie familiale, tel que garanti par l’article 8 de la Convention.

[…]

« 65. En l’espèce, la Cour relève, ainsi que l’a fait la Cour de cassation, que le juge de première instance a pris en compte les sentiments exprimés par l’enfant, qui ne manifestait aucune opposition formelle à son retour […]. La Cour observe qu’il ressort de cette audition que [l’enfant] est pris dans un conflit de loyauté entre sa mère avec laquelle il vivait heureux au Texas et dont il n’avait plus aucune nouvelle depuis plusieurs mois et son père qui […] lui parlait très négativement de sa mère et passait son temps au téléphone et sur l’ordinateur à la suite de la multiplication des instances judiciaires. Aux yeux de la Cour, le tribunal de première instance a bien examiné les allégations de danger soutenues par le requérant et y a répondu par une motivation circonstanciée et non stéréotypée.

[…]

« 69. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a produit un certificat [d’un pédopsychiatre] rédigé à sa seule demande et daté du 16 juillet 2010, soit avant l’audience devant le TGI de Marseille, mais ne l’a présenté pour la première fois que lors du débat devant la cour d’appel qui s’est tenu le 6 octobre 2011. Or, à cette date, l’enfant n’était plus sur le territoire français à la suite de sa remise à la mère […] et une expertise contradictoire s’avérait difficile, voire impossible, à effectuer. Ce certificat faisait état d’un risque de “décompensation” en cas d’un nouveau changement de cadre de vie chez un enfant déjà fragilisé par “de multiples séparations” et faisait apparaître l’existence possible d’un risque grave au sens de l’article 13 b) de la Convention.

[…]

« 72. […] La Cour note qu’en l’espèce, à aucun moment la cour d’appel n’a exclu ce certificat médical ou refusé d’examiner une allégation de risque grave. Il ressort au contraire de son arrêt qu’elle a considéré que l’enfant ne courait aucun danger auprès de sa mère, après avoir visé les pièces fournies au dossier. En conséquence, […] l’allégation de risque grave en cas de retour de l’enfant a fait l’objet d’un examen effectif, fondé sur les éléments invoqués par le requérant au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la juridiction d’appel ayant à ce titre fourni une décision motivée. La Cour considère également que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à ordonner le retour de l’enfant a été équitable. Il a en effet permis au requérant, comme à la mère, de présenter pleinement leur cause, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant qui ne se confond pas avec celui de son père ou de sa mère et qui ne saurait être appréhendé d’une manière identique selon que le juge est saisi d’une demande de retour ou d’une demande de statuer au fond sur la garde ou l’autorité parentale.

[…]

« 74. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les juges internes ont dûment pris en compte les allégations du requérant et que le processus décisionnel ayant conduit à l’adoption des mesures incriminées par les juridictions nationales a été équitable et a permis au requérant de faire valoir pleinement ses droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle estime que, eu égard à la marge d’appréciation des autorités en la matière, la décision de retour se fondait sur des motifs pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8, considéré à la lumière de l’article 13 b) de la Convention de la Haye et de l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant, et qu’elle était proportionnée au but légitime recherché. »

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Cinquième section
10 octobre 2019
Affaire Lacombe c. France (requête nº 23941/14)

Pro memoria :

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